Le Genevois Pierre-Yves Fux ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège (2014-2018) | © B. Hallet
Suisse

Pierre-Yves Fux: «J’ai beaucoup de gratitude pour tout ce que j’ai reçu»

Gratitude. C’est le mot qui résume le sentiment de l’ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège au terme de son engagement. Depuis le 1er février 2014, Pierre-Yves Fux a reçu cinq conseillers fédéraux et noué de multiples relations. Un mandat atypique, jalonné par des événements marquants, comme la visite du Saint-Père à Genève, en juin dernier. Il cessera formellement d’exercer son mandat à la veille du 13 décembre, jour où son successeur remettra ses lettres de créance au pape François.

Quel bilan tirez-vous de ces presque cinq ans passés au Saint-Siège?
Pierre-Yves Fux: Ces années couvrent l’essentiel du pontificat de François, dont la personne et l’engagement suscitent un fort intérêt. Cela m’a amené à observer, dialoguer, écrire, pour tenter de montrer les nuances et surtout les occasions d’agir pour la Suisse. Ce mandat m’aura permis d’accompagner cinq conseillers fédéraux dont trois présidents de la Confédération, plusieurs présidents des Chambres, et d’autres encore.

Sans infrastructures à Rome, j’y aurai effectué 61 brefs voyages, noué de multiples relations, et beaucoup appris. Les rapports avec la Garde suisse pontificale m’ont tenu à cœur. Je me réjouis de voir son effectif renforcé et j’espère que la reconstruction de sa caserne recevra un grand soutien. Ce sera un défi et une opportunité pour notre pays! 

Comment qualifiez-vous les relations entre la Suisse et le Saint-Siège?
Elles sont très bonnes et même exceptionnelles, dans tous les sens du terme. Leur histoire comprend des témoignages de très longue fidélité, des épisodes turbulents, et ces dernières années de nombreuses visites à haut niveau. Il y a 100 ans, sans relations diplomatiques, les deux Etats neutres avaient œuvré pour les prisonniers de guerre. Aujourd’hui encore, nos priorités et valeurs sont très semblables, même si les positions peuvent diverger.

L’influence du Saint-Siège est forte et sans doute croissante, mais atypique 

Quelles sont ces divergences?
Dans notre Constitution, le préambule et l’article 54 sur les objectifs de politique extérieure ne diffèrent en rien avec ce que le Saint-Siège promeut et défend au plan international. Mais notre législation donne à des questions éthiques et sociales certaines réponses en décalage évident par rapport à l’enseignement catholique: par exemple, sur le suicide assisté ou le diagnostic préimplantatoire. Sur des thèmes discutés aux Nations Unies comme le gender ou la contraception, existent des divergences, tandis que sur d’autres, l’évolution a été parallèle – peine de mort, environnement. Le domaine humanitaire reste le plus solidement ancré de part et d’autre.

Quelle est l’influence d’un si petit Etat sur l’échiquier des relations internationales?
L’influence du Saint-Siège est forte et sans doute croissante, mais atypique. Il s’agit non de puissance économique, financière ou militaire, mais de soft power: une autorité qui tient à la personnalité du pape, à des siècles d’histoire institutionnelle, à 1,3 milliard de fidèles et à un vaste réseau humanitaire et éducatif. Comme toute influence, on peine à la mesurer, sinon par le nombre des visites de chefs d’Etat au Vatican ou lors d’événements tels que la normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba.

Le pape s’est rendu à Genève en juin dernier. Il a reçu le président de la Confédération il y a quelques jours. Ces rencontres auraient-elles pu voir le jour sans vous?
Dans les années 1960 et 1980, il y a eu des visites de ce type, sans ambassadeur près le Saint-Siège. Mais aujourd’hui, la «concurrence» est rude et les visites au sommet font partie intégrante du travail d’un représentant diplomatique: soutien à la décision, timing, discussion des thèmes, logistique, communication, suivi. Le temps est une denrée précieuse: s’accorder sur une date, éviter des retards et d’autres couacs, ménager les conditions pour un tête-à-tête serein, cordial et fructueux. Cela demande précision et créativité dans la négociation et la coordination. Avoir œuvré à un double sommet en 2018, sans précédent entre la Suisse et le Saint-Siège, me réjouit, car ce furent des réussites.

Quel est le principal enjeu de ces visites pour la Suisse?
Ces visites permettent une forte visibilité pour nos messages et un contact direct entre les plus hauts responsables. L’une et l’autre cimentent une relation et servent les valeurs et buts partagés, avec des impulsions nouvelles. De manière moins visible, la préparation et le suivi sont très utiles à notre action diplomatique. Le rayonnement de la Genève internationale, le droit humanitaire ou encore le développement de la Garde suisse auront, je l’espère, reçu un appui lors de ces visites.

Votre foi a-t-elle eu une influence particulière sur votre mission, dans un Etat qui ne connaît pas la séparation des pouvoirs?
Au Vatican, les thèmes de discussions sont multiples, mais le seul à être exclu de mes attributions est… l’Eglise catholique. Cela tient à la neutralité confessionnelle du Conseil fédéral et au souci du Vatican de ne pas laisser les Etats s’ingérer dans des questions de théologie ou d’organisation interne. Dès lors, on comprendra que les convictions et la pratique religieuse d’un ambassadeur près le Saint-Siège ne sont pas à mettre au même plan qu’une double-nationalité! Au Vatican, la qualité des relations personnelles est centrale et la confiance qu’un diplomate saura gagner ne dépend pas de sa religion, mais de son engagement professionnel, de sa fiabilité, de son caractère. A Rome et à Berne, on attend de moi que je représente la Suisse, toute la Suisse.

Mais la foi n’est pas indifférente. Pour évoquer l’introduction de l’école obligatoire par Calvin, pionnier en la matière, un ambassadeur protestant aurait pu être tout aussi crédible que moi, mais d’une autre manière. Pour un ambassadeur catholique, prendre part à des canonisations ou à l’Année sainte comporte une dimension spirituelle intime qui s’ajoute aux fonctions de représentant officiel et d’auditeur attentif. Partager la même foi m’a permis de vivre pleinement des moments tels que la messe de 6h15 avec la Garde suisse pour la Saint-Martin, ou des conversations sur les chrétiens d’Orient avec le cardinal Cottier.

Dans quel état d’esprit quittez-vous ce poste auprès du Saint-Siège?
«J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans», pour citer Baudelaire. Pas de spleen, chez moi, mais déjà une nostalgie, le désir de revenir à Rome, comme je n’ai cessé de le faire depuis mon adolescence. J’ai surtout beaucoup de gratitude pour tout ce que j’ai reçu, pour tout ce qui m’a été donné! (cath.ch/pp)

Le Genevois Pierre-Yves Fux ambassadeur de Suisse près le Saint-Siège (2014-2018) | © B. Hallet
22 novembre 2018 | 17:08
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 4 min.
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