Noël Ruffieux, Shafique Keshavjee et Claude Ducarroz signent "Pour que plus rien ne nous sépare" (Photo: Pierre Pistoletti)
Suisse

«La réconciliation des Eglises doit brûler au cœur des chrétiens»

Claude Ducarroz, Shafique Keshavjee et Noël Ruffieux signent «Pour que plus rien ne nous sépare», aux éditions Cabédita. Un livre à trois mains – une catholique, une protestante et une orthodoxe – pour un dialogue œcuménique vaste et audacieux.

Deux ans, 18 rencontres et des heures de travail ont été nécessaires pour aborder plus d’une trentaine de thématiques, de la Bible à l’écologie en passant par la place des femmes dans les communautés chrétiennes. La méthode est originale: un article de fond par thème rédigé par l’un des auteurs, suivis des commentaires des deux autres protagonistes pour aboutir à une prise de position commune. En filigrane, une certitude: «la réconciliation des Eglises doit brûler au cœur de tout chrétien». Et un espoir: que leur démarche soit contagieuse.

Après les guerres sanglantes entre confessions vint le temps de la réprobation paisible. Le vingtième siècle fut ensuite une période d’espoir en matière d’œcuménisme. On pensait l’unité à portée des Eglises. Qu’en est-il aujourd’hui? 

Shafique Keshavjee (SK): Le XXe siècle a effectivement été le siècle de l’œcuménisme. Il a donné lieu à un rapprochement incroyable entre les différentes Eglises chrétiennes à travers la création du Conseil œcuménique des Églises, notamment, ou le Concile Vatican II. Il faut prendre la mesure de cet énorme progrès, malgré les déceptions et les crispations de ces vingt dernières années durant lesquelles nous nous sommes habitués à une certaine limite.

«L’unité se construit sur un manque». Claude Ducarroz

Claude Ducarroz (CD): Dans l’Eglise catholique, j’ai l’impression qu’il n’y a plus vraiment d’urgence. Je crains que nous nous habituions à la situation. Nous sommes en bonne relation avec les autres, certes, mais toujours en-deçà de la convocation du Christ à l’unité.  Nous nous sommes habitués à une forme de parallélisme tranquille, sans passion pour le progrès.

A ce parallélisme tranquille, vous opposez la quête d’unité. C’est d’ailleurs le sous-titre de votre ouvrage, «trois voix pour l’unité». Clarifions les termes. De quelle unité parlons-nous?

SK: L’unité est un des termes les plus complexes qui soit. Nous ne proposons ni une uniformité, ni une juxtaposition, mais une communion qui articule unité et diversité, sur le modèle de la Trinité.

CD: Personne n’a de recette magique pour une unité réussie. Mais une chose est sûre: l’unité se construit sur un manque. L’autre, tel qu’il est dans son altérité, me manque.

Noël Ruffieux (NR):  Le sentiment de manque est très peu répandu dans les milieux orthodoxes. Nous pensons posséder tous les moyens de salut. D’où un sentiment d’autosatisfaction qui s’oppose à toute quête d’unité. J’essaie de faire comprendre qu’à côté de «son Eglise», il y a d’autres disciples de Jésus. Ils sont «à côté»: c’est en soi le signe d’une imperfection profonde de l’institution.

Qu’espérez-vous susciter à travers votre démarche?

SK: Nous avons essayé d’élever notre regard. Très rapidement, nous nous sommes confrontés à des divergences et des blocages institutionnels ou personnels. Mais nous avons choisi de regarder au-dessus de ces obstacles pour montrer que c’est possible.

CD: Avec l’ambition de faire quelques pas ensemble pour entraîner d’autres à le faire aussi. Nous espérons que la démarche sera contagieuse.

On le remarque au fil des pages: l’unanimité l’emporte assez facilement sur des questions d’éthique sociale qui touchent à l’écologie, la solidarité ou l’économie. Ne faudrait-il pas déplacer le curseur du dialogue œcuménique, en se concentrant sur ce qui rassemble et en laissant un peu de côté les divergences doctrinales?

NR: Entre catholiques et orthodoxes, il y a eu des accords incontestables sur des questions éthiques. Il y a quelques années, le patriarcat de Moscou a même publié un document très intéressant au nom très romain: «Les fondements de la doctrine sociale de l’Eglise». Mais qu’est-ce qui fonde ces accords? Une ecclésiologie. On ne peut régler un certain nombre de sujets sans revenir aux fondements doctrinaux.

SK: Je suis lassé d’un discours qui persiste côté protestant. On répète inlassablement: «Nous vous accueillons à la Cène, pourquoi ne nous recevez-vous pas à l’Eucharistie?» Mais mes amis protestants ne veulent pas aller à la racine du problème. Il est de l’ordre de l’ecclésiologie; et de l’ordre du rapport du ministre consacré à l’évêque. L’unité ne peut faire l’économie des questions de fond.

Dans votre ouvrage, l’Eglise est tantôt accordée au singulier, tantôt au pluriel. Quel est le meilleur usage?

CD: Il convient peut-être de parler de l’Eglise des Eglises. Dès l’origine, il y avait quatre évangélistes, cinq patriarcats. Mais une recherche d’harmonie dans la symphonie des pluralités. Sur ce point, l’Eglise catholique a encore beaucoup de progrès à faire.

Deux ans de travail, ce n’est pas rien. Comment vous, personnellement, avez-vous évolué à travers ce projet?

NR: Je vis dans l’Eglise orthodoxe depuis presque 40 ans. J’y ai trouvé des choses qui me font vivre. Elles m’ont très vite paru très importantes. Ce travail m’a toutefois permis d’en relativiser quelques unes qui, pour mes frères orthodoxes, paraissent absolues. J’ai conscience qu’en profondeur il y a plus essentiel encore.

SK: Mon amour de l’Eglise a grandi. Un amour lucide, conscient des fragilités de l’institution. L’Eglise est une réalité magnifique. A travers Noël et Claude, j’ai grandi dans la découverte de la beauté de l’Eglise.

CD: Je suis plus libre par rapport à ma propre tradition, sans pour autant avoir perdu en fidélité. Avec une conscience encore plus nette de la richesse des cadeaux que nous pouvons nous offrir les uns aux autres. (cath.ch/pp)


Les auteurs

Claude Ducarroz est prêtre catholique. Prévôt émérite de la Cathédrale de Fribourg, il est engagé dans la recherche et la pratique œcuméniques, membre du Groupe des Dombes.

Shafique Keshavjee est pasteur réformé. Il a exercé un ministère dans les domaines œcuméniques et interreligieux. Ancien professeur de théologie, il consacre son temps à l’écriture.

Noël Ruffieux est laïc orthodoxe. Il donne un cours sur la diaspora orthodoxe à la Faculté de théologie de Fribourg, collabore à des revues et réalise des émissions de radio.

 

 

Voir aussi: le site 3pour1.ch

Noël Ruffieux, Shafique Keshavjee et Claude Ducarroz signent «Pour que plus rien ne nous sépare»
19 octobre 2017 | 12:12
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 4 min.
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