Un document, 20 pages et de nombreuses questions

Rome: L’Eglise se prononce sur les xénogreffes

Ce document est le fruit d’une demande du Conseil de l’Europe à tous ses Etats membres. Il leur a en effet demandé leurs avis pour créer un consensus dans la législation européenne par rapport à la question des xénogreffes. Le Saint-Siège étant observateur permanent au Conseil de l’Europe, la Secrétairerie d’Etat du Vatican a demandé à l’Académie pontificale pour la vie de rédiger le nouveau document.

«Le manque constant d’organes et de tissus humains attendus par un grand nombre de malades» a conduit l’académie pontificale pour la vie à étudier la possibilité d’utiliser des organes d’animaux qui pourraient être acceptées par le corps humain. «Il est nécessaire de résoudre quelques problèmes pratiques», précise toutefois le document, mettant en garde en particulier contre la possibilité d’introduction, à travers la greffe, de nouveaux virus dans la population humaine. Outre les problèmes scientifiques, la xénogreffe soulève par ailleurs des questions de nature théologique, anthropologique, psychologique et éthique, reprises dans ce document.

«Il est évident que de nombreuses recherches sont encore nécessaires», affirme le document en introduction à la première partie, consacrée aux «aspects scientifiques» de la xénogreffe. La majeure partie de ce chapitre présente l’état actuel de «l’art» de la xénogreffe.

Le document met tout d’abord en garde contre «la transmission d’agents infectés» d’une espèce à l’autre. Un risque «non encore bien déterminé» qui pourrait avoir des conséquences semblables aux virus du sida ou de l’hépatite. Il s’agit d’une «menace» et d’un problème éthique, soulignent les auteurs.

Attention aux virus

Des études sur des organes de porcs sont actuellement en cours. Cet animal a été choisi pour sa facilité de reproduction et de modifications génétiques. En revanche, les expériences sur les organes du chimpanzé, considérés comme étant les plus proches de l’homme, ont été interdites, l’espèce étant en voie de disparition.

Plus de 60 virus «à risque» pour l’homme ont été découverts chez le porc, permettant aux scientifiques de trouver le moyen de les contrer par modification génétique. «On ne peut cependant pas exclure qu’il existe un virus inconnu ne provoquant aucune maladie chez l’animal, mais qui pourrait être pathogène pour l’homme», expliquent les auteurs du document du Saint-Siège, affirmant que le «risque sanitaire» des xénogreffes représente un «défi» pour les années à venir.

«En absence de données qui permettent une quantification fiable du risque, il est nécessaire d’avancer avec précaution, sans toutefois que celle-ci se transforme en blocage total de toute expérimentation», ajoute le document appelant à une «exigence éthique de procéder avec une extrême attention».

Ces risques scientifiques posent des questions d’ordre anthropologique et éthique. C’est pourquoi la deuxième partie du document publié par le Saint-Siège aborde la vision de l’Eglise face à la pratique des xénogreffes.

Trois questions

Trois questions particulières sont relevées par l’Académie pontificale pour la vie: jusqu’où accepter l’intervention de l’homme sur la création? Jusqu’où va l’éthique dans l’utilisation d’animaux pour améliorer la survie et le bien-être de l’homme ? Quel est l’impact éventuel qu’un organe d’origine animale peut avoir sur l’identité de l’homme qui le reçoit ?

Répondant à la première question, le document affirme qu’il y a possibilité d’intervention de l’homme sur la création, à condition qu’elle ne soit faite «dans le but d’orienter la création vers le bien authentique et intégral de l’homme». Le document va jusqu’à parler de «droit» et de «devoir» de l’homme «d’agir dans la création et sur la création, notamment en se servant des autres créatures» dans l’objectif de la «promotion de l’homme». Il met toutefois en garde contre ceux qui veulent «faire la loi arbitrairement sur les autres créatures, les réduisant à une sorte d’esclavage avilissant et destructeur, dans le but de satisfaire leurs propres caprices».

«Le service de l’animal à l’homme trouve une nouvelle application dans la récente pratique des xénogreffes», continue l’Académie pontificale pour la vie répondant à la seconde question. Pour l’Eglise, la transplantation d’un organe animal sur l’homme «n’est pas en contraste avec l’ordre de la création». «Au contraire, elle représente pour l’homme une occasion de faire usage raisonnablement du pouvoir que Dieu lui a donné», explique le document. Il s’agit ainsi «d’une sorte de coopération naturelle qui a constamment marqué les diverses étapes du progrès et du développement de la civilisation».

Oui mais…

Même si le «sacrifice» d’un animal dans le cadre d’une greffe est donc «justifié», à condition d’être fait en vue du bien de l’homme, le Saint-Siège demande toutefois d’»éviter aux animaux des souffrances nécessaires, de respecter les critères de vraie et raisonnable nécessité, et d’éviter des modifications génétiques incontrôlables qui puissent altérer la biodiversité et l’équilibre des espèces animales».

Quant à l’identité d’une personne qui a reçu un organe animal, le document précise que ce problème doit être étudié au «cas par cas», «en fonction de la charge symbolique que les nouveaux organes viennent assumer dans l’homme».

«L’identité personnelle constitue un bien de la personne, une qualité intrinsèque à son être et donc, une valeur morale sur laquelle se fonde le droit et le devoir de promouvoir et de défendre l’intégrité de l’identité de la personne qui reçoit un organe», expliquent les auteurs du texte.

Conscient de l’ambiguïté de la question, ils prônent, au cas où la xénogreffe fonctionnerait, la mise en place d’une thérapie psychologique «pour soutenir dans son processus d’intégration le patient transplanté».

En revanche, l’Académie pontificale pour la vie dénonce toute transplantation d’organes «qui pourraient avoir une influence sur l’équilibre de l’homme», tels que l’»encéphale» ou les «gonades», qui pourraient modifier «l’identité de la personne».

En conclusion, le document aborde la question du «brevetage» des organes animaux destinés aux transplantés et des découvertes qui pourront éventuellement permettre les xénogreffes. «Quelque soient les résultats, il faudra au moins garantir le respect du droit fondamental de chaque personne à avoir accès de manière équitable aux soins sanitaires, sans discriminations ou empêchements dûs aux coûts excessifs», concluent les auteurs du document.

L’avis de Jean Paul II

Le Saint-Siège a encouragé à plusieurs reprises les recherches permettant une éventuelle transplantation d’organes animaux sur l’homme. Le 1er juillet 2001, Jean Paul II avait confirmé «la nécessité de résoudre le problème des graves insuffisances d’organes humains valides pour la transplantation», encourageant une collaboration entre la science, «guide nécessaire», et l’éthique, «pour offrir un éclairage complémentaire». Auparavant, Jean Paul II avait décrit les transplantations d’organes humains comme «une grande conquête de la science au service de l’homme», le 29 août 2000. Il avait à cette occasion dénoncé les «projets éventuels ou les tentatives de clonage humain dans le but d’obtenir des organes à transplanter», ainsi que «toute pratique tendant à commercialiser les organes humains ou à les considérer comme unité d’échange ou de vente». (apic/imed/pr)

26 septembre 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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