Sous pression des religieux, le Liban n'est pas prêt de reconnaître le mariage civil

Le Liban ne connaît pas le mariage civil, et dans ce pays où coexistent dix-huit communautés religieuses, seul le mariage religieux est légalement reconnu. La ministre libanaise de l’Intérieur Raya el-Hassan a déclenché une vive polémique en déclarant son intention «d’ouvrir la porte au dialogue pour faire reconnaître le mariage civil facultatif au Liban».

Son interview diffusée le 15 février 2019 sur la chaîne télévisée Euronews a relancé une vieille polémique et suscité la réprobation des milieux musulmans. Depuis des années, cependant, un vaste mouvement milite pour légaliser le mariage civil, une question qui divise profondément la société et la classe politique.

Ministre remise à l’ordre par le mufti de la République

La ministre, une musulmane sunnite du Liban-Nord, s’est fait rapidement rappeler à l’ordre par le mufti de la République, le sunnite Abdellatif Deriane. «Nous refusons le mariage civil parce qu’il va à l’encontre de la charia», a fait savoir le 18 février le bureau de presse de Dar el-Fatwa, la plus haute instance sunnite du pays. Selon le quotidien francophone libanais «L’Orient-Le Jour», cette instance regrette que le débat soit lancé sur les réseaux sociaux et dans la presse, et pas au Parlement.

La position contre le mariage civil d’Abdelatif Deriane, du Conseil islamique chérié (sunnite), et du Conseil des muftis au Liban est connue depuis des années: le mariage civil va, à leurs yeux, totalement à l’encontre de la charia. Le projet de loi permettant le mariage civil facultatif, défendu en 1998 par le président de la République, le maronite Elias Hraoui, avait été rejeté par Premier ministre d’alors, le sunnite Rafic Hariri, qui avait cédé à la pression des religieux.

Le mariage civil, une «violation de la charia»

Pour Dar el-Fatwa, «le mariage civil est également contraire aux dispositions de la Constitution libanaise, sachant que l’article 9 de la Constitution a accordé aux communautés religieuses le droit de légiférer sur le statut personnel». Ainsi, note l’instance sunnite, le mariage civil ne peut pas être adopté au Parlement sans prendre l’avis de Dar el-Fatwa et des autres représentants des communautés religieuses du Liban.

Le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, Malek Chaar, a abondé dans le même sens, affirmant que le mariage civil est une «violation de la charia». Il a estimé que la ministre Raya el-Hassan ne mesurait pas ce que signifie le mariage civil, dans sa dimension islamique. «Elle n’a pas réfléchi avant de s’exprimer à ce sujet !» Le député sunnite Adnane Traboulsi a souligné que le mariage civil était une «ligne rouge» à ne pas franchir.

Dix-huit communautés religieuses coexistant au Liban

Chacune des dix-huit communautés religieuses coexistant au Liban dispose de sa propre loi liée au statut personnel, qui régit mariage, divorce, héritage et garde des enfants. Le pays n’a donc pas de code civil de statut personnel. Il reconnaît en revanche les mariages civils contractés à l’étranger, mais uniquement lorsqu’il s’agit de mariages mixtes et interchrétiens. Les mariages inter-musulmans, même contractés à l’étranger, répondent toujours aux lois communautaires régies par la charia.

Au Liban, le mariage est religieux par tradition, mais il a aussi des conséquences économiques. A chaque mariage ou divorce, l’église ou la mosquée récupère une somme d’argent conséquente. Si le mariage civil devient légal au Liban, les institutions religieuses perdraient donc de l’argent. Mais des religieux se sont prononcés en faveur du mariage civil. Près de 25’000 Libanais se seraient mariés civilement à l’étranger. La plupart vont à Chypre, et des agences de voyage se sont spécialisées dans le commerce matrimonial.

Mariage civil à l’étranger, conséquences au Liban

Comme le statut personnel est religieux, une personne est définie et reconnue en fonction de la communauté à laquelle elle appartient. Le statut personnel religieux est «patriarcal» et dans la plupart des religions dans le pays, la femme n’a pas les mêmes droits que l’homme. Même si la loi libanaise reconnaît l’union consacrée par le mariage civil à l’étranger, ses conséquences sur sol libanais restent liées au statut personnel.

Ainsi, toutes les autres dispositions liées au couple marié civilement sont régies par le statut d’inspiration religieuse, comme dans le cas de l’héritage. Un enfant ne peut pas hériter de sa mère si le couple n’a pas la même religion. Ainsi, dans le cas d’un mariage mixte, l’enfant a la même religion que son père et hérite de ce dernier. (cath.ch/orj/com/be)

Le 'statut personnel' de chacun des Libanais dépend de leur communauté. Ici le sunnite Abdellatif Deriane, mufti de la République libanaise | © Jacques Berset
20 février 2019 | 10:02
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
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