Messe en forme extraordinaire à Strasbourg |  photo d'illustration © Christophe117/Wikimedia/CC BY-SA 4.0
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Traditionalisme à l'américaine: un nouveau type d'opposition à Rome

Les débats autour du motu proprio du pape François Traditionis custodes restreignant l’usage de la messe tridentine ont démontré que le centre du traditionalisme n’est plus exclusivement le catholicisme francophone en Europe, mais le catholicisme conservateur aux États-Unis, estime Massimo Faggioli

La voix du traditionalisme catholique américain est devenue plus forte que celle des Français, souligne Massimo Fagglioli dans une longue analyse parue le 23 novembre 2021 dans la revue Commonweal. Pour le professeur de théologie à l’université Villanova, à Philadelphie, bien qu’il reste une composante française dans l’opposition au pape François et à la synodalité, l’axe s’est déplacé de l’autre côté de l’Atlantique.

Il n’était pas difficile de prévoir l’accueil que recevrait le motu proprio Traditionis custodes du pape François aux États-Unis: hostile de la part de ceux qui étaient déjà ›militairement’ opposés au pape ou tiède de la plupart des évêques américains, explique le professeur d’origine italienne. Seule une minorité d’évêques américains son prêts à affirmer leur communion d’intention avec le pape; une majorité restent réticents à s’engager et une frange, très petite mais très bruyante, d’évêques et d’intellectuels laïcs accusent François de briser l’Église.

Attaques contre le pape François

Le dernier acte de ce scénario est la publication d’un ouvrage collectif dont le titre est le programme «From Benedict’s Peace to Francis’s War» (De la paix de Benoît à la guerre de François). On y retrouve la signature de nombre d’auteurs éminents – cardinaux, évêques, chroniqueurs et journalistes catholiques connus pour leur animosité envers le pape François. Outre les inévitables cardinal Burke et Mgr Carlo Maria Vigano, on y découvre de manière plus étonnante Michel Onfray dont l’athéisme et l’anticatholicisme militant n’a pas semblé gêner les éditeurs, du moment qu’il professe son amour de l’ancienne messe en latin.

Il s’agit d’une escalade dans la rhétorique contre le pape François, positionné comme l’ennemi du pape émérite. Faggioli remarque surtout une évolution surprenante de la part de cardinaux, d’évêques et de fidèles qui, jusqu’à l’élection du pape François, avaient fait de l’obéissance totale au pape un élément clé de leur identité catholique.

Comparaison avec Mgr Lefebvre

Le professeur tente une comparaison avec le mouvement de Mgr Lefebvre dans les années 1970 qui a conduit à la création de la Fraternité saint Pie X et au schisme de 1988, après la consécration illicite de quatre évêques. Si les similitudes entre le traditionalisme d’aujourd’hui et celui de Mgr Lefebvre, sont évidentes – à savoir que leur rejet de la réforme liturgique équivaut en fait à un rejet de Vatican II et qu’ils ne rassemblent qu’une infime partie des cardinaux, de l’épiscopat et du troupeau catholique – il est important de noter les différences.

La première est que le centre du néo-traditionalisme n’est plus exclusivement le catholicisme francophone en Europe, mais le catholicisme conservateur aux États-Unis.

La deuxième est que les nouveaux traditionalistes américains ont une voix surdimensionnée à la fois dans les médias conservateurs grand public et sur les réseaux sociaux. Le néo-traditionalisme catholique aux États-Unis n’est plus vraiment marginal. Alors que l’opinion française ridiculise volontiers les Lefebvristes comme un vestige de la sous-culture catholique du XIXe siècle.

«Trumpisme catholique»

Une troisième différence est que le néo-traditionalisme est attaché et bénéficie de l’élan d’une crise politique aux États-Unis. Il se superpose au »Trumpisme catholique» qui se nourrit sans fin de la guerre des cultures, relève Massimo Faggioli. D’éminents membres du clergé et des laïcs catholiques opposants au pape François ont trouvé ainsi un relais politique que les partisans de Mgr Lefebvre n’ont jamais vraiment eu. (hormis au sein d’une frange du FN NDLR)

Plus troublant, ce discours semble avoir des sympathies au sein de la hiérarchie catholique. Le discours épiscopal lui-même inclut de plus en plus ce langage de la guerre culturelle. L’intervention du président de la conférence des évêques américains, Mgr Gomez, au début du mois, dans lequel il a critiqué les soi-disant «nouvelles religions» américaines, en est un exemple frappant, juge Faggioli.

Pour le professeur de Villanova, cette sympathie peut avoir des conséquences importantes pour l’avenir. Le néo-traditionalisme américain n’a pas eu besoin de créer des séminaires séparés pour la formation des futurs prêtres; il les a transformés de l’intérieur.

Une menace de schisme?

Une dernière différence: la rupture que Benoît XVI a créée en faisant progresser le traditionalisme liturgique avec le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 est aujourd’hui exploitée par les traditionalistes. Ils peuvent laisser entendre qu’un pape n’est pas tenu de défendre ›ex officio’ les enseignements conciliaires et les réformes promulguées par ses prédécesseurs. Pour Massimo Faggioli, c’est la différence la plus importante entre la première génération de traditionalistes francophones anti-Vatican II et cette nouvelle génération anglophone, qui joue le jeu non seulement à l’intérieur de l’Église, mais aussi dans les médias grand public. L’appel à Benoît XVI est particulièrement dangereux à cet égard.

Pour le catholicisme américain, la menace est réelle. S’il faut une sensibilité pastorale envers ceux qui sont affectés par le motu proprio du pape François. Il ne faut certainement pas céder aux sentiments explicitement anti-Vatican II de ces défenseurs autoproclamés d’une tradition catholique imaginaire, avertit Massimo Faggioli. (cath.ch/cw/mp)

Messe en forme extraordinaire à Strasbourg | photo d'illustration © Christophe117/Wikimedia/CC BY-SA 4.0
26 novembre 2021 | 16:01
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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