Les migrants qui arrivent en Suisse ont souvent été chahutés par la vie | © Raphaël Zbinden
Suisse

Un migrant, une histoire

«Il ne s’agit pas seulement de migrants». Tel est le thème choisi pour la messe que le pape François célébrera pour la «Journée mondiale du migrant et du réfugié», le 29 septembre 2019. cath.ch est allé à la rencontre d’une de ces personnes, dont on oublie parfois qu’elles ont, comme tout un chacun, une espérance et une histoire.

«Je ne peux pas rentrer chez moi, je n’ai plus rien là-bas», explique Monroe*, une note désabusée dans la voix. Il reçoit cath.ch dans sa chambre de maximum 10m2, au foyer d’aide d’urgence de l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants), à Vennes, dans les hauts de Lausanne. Le Sierra-Léonais de 49 ans, au visage marqué par les tribulations d’une vie, n’a qu’une vieille chaise de jardin bancale à offrir au visiteur. Lui s’assied sur le lit. Cette chambre vétuste, où il entasse ses maigres affaires, est depuis onze ans son lieu de vie. Alors que le requérant d’asile est en Suisse depuis 24 ans.

Pris dans la guerre civile

Un endroit très loin d’être idyllique, mais que Monroe* préfère malgré tout à son lieu de naissance, un petit village près de Fadugu, dans le nord de la Sierra Leone. Il y est né en 1970 dans une famille musulmane très pauvre. Son père meurt alors qu’il est âgé de six ans. Sa mère doit donc seule subvenir aux besoins de ses trois enfants.

Alors qu’il a 21 ans, une guerre civile éclate dans le pays. Elle durera jusqu’en 2002. En 1993, sa sœur est blessée à mort dans des combats. Devant le spectre d’être recruté de force par les milices, avec des chances de survie minimales, sa mère l’exhorte à partir. «Je ne voulais pas quitter mon pays, mais je ne voulais pas être forcé de choisir entre tuer et être tué», explique-t-il. S’ensuit un périple de plus de deux ans, où il s’efforce, avec quelques camarades, de rejoindre l’Allemagne, où vivent des amis.

L’enfer libyen

Il se rend tout d’abord en Guinée voisine, où il travaille six ou sept mois. Il y gagne juste assez d’argent pour traverser le Mali, puis l’Algérie. Pour atteindre la Libye, il doit notamment marcher cinq jours dans le désert. «C’était très dur, nous n’avions pas assez d’eau et nous avons eu très soif. Nous avons croisé de nombreux cadavres de réfugiés qui s’étaient perdus dans le désert».

Arrivé finalement en Libye, il travaille comme maçon pour un entrepreneur local. Mais l’homme bloque le salaire de ses employés, afin de les obliger à continuer à travailler pour lui. Finalement, il laisse Monroe* partir un jour en Tunisie. Le Sierra-Léonais en profite pour embarquer sur un bateau de pêche en direction de l’Italie. Les douaniers italiens le laissent passer. Il prend un train pour l’Allemagne, mais renonce à se rendre dans ce pays sur le conseil d’autres migrants qui lui affirment qu’il se fera refouler à la frontière. Il entre donc clandestinement en Suisse en 1995, où il demande l’asile. Il se retrouve à Lausanne, où il trouve du travail dans la maçonnerie. Il parvient ainsi à se payer un petit studio et à envoyer de l’argent à sa mère.

Empêché de travailler

Mais en 2005, dans un contexte de durcissement lié à la nouvelle Loi fédérale sur les étrangers, on lui annonce qu’il n’a plus le droit d’exercer une activité lucrative. Il est finalement renvoyé à l’aide d’urgence, et est obligé de rejoindre un foyer.

A partir de 2008, il réside donc à Vennes, où il continue sa lutte pour légaliser son statut. Son malheur est de ne pas correspondre aux critères «historiques» de la demande d’asile en Suisse, qui stipule que la personne doit être sujette à une «persécution personnelle» exercée par un «agent de l’Etat». Ses démêlés avec les milices de l’époque de la guerre civile n’ont pour l’instant pas été acceptés comme entrant dans cette catégorie.

L’Eglise en Suisse prie pour les migrants

Aujourd’hui, outre des visites régulières au Service de la population et des migrations (SPM), avec son avocat, à Berne, il occupe ses journées en faisant de petits travaux à l’épicerie du foyer et en assemblant des pièces de mosaïques dans une association proche. «Sans ça, je deviendrais fou», assure-t-il. Mais ce qui l’attriste particulièrement, c’est de ne pas gagner assez pour aider sa mère, aujourd’hui âgée de 83 ans.

Monroe* reçoit depuis quelques années une assistance, notamment administrative, de la branche vaudoise de Sant’Egidio. Cette dernière organise régulièrement des repas et des fêtes dans le foyer de Vennes, afin de «désenclaver» cette population, explique Fabien Hunenberger, membre de l’organisation catholique.

A bientôt 50 ans, Monroe* n’espère qu’une chose: légaliser son statut et pouvoir trouver un travail en Suisse. Il rentrerait bien en Sierra Leone, mais sait qu’après 24 ans d’absence, il ne lui reste plus sur place aucun contact ni aucun soutien. Il connaît beaucoup d’autres requérants d’asile et réfugiés dans le même cas et souhaite que la Suisse comprenne mieux la difficulté de leur situation.

Une souffrance à laquelle l’Eglise catholique en Suisse est néanmoins attentive. A travers sa commission Migratio, la Conférence des évêques suisses (CES) s’est jointe à l’appel du pape François à prier pour les migrants, à l’occasion de la journée du 29 septembre. Monroe* salue cette mobilisation pour sensibiliser au sort des personnes forcées de s’exiler. «Toutes les initiatives, qu’elles soient politiques ou religieuses, peuvent permettre de faire bouger les choses», souligne-t-il. (cath.ch/rz)

*prénom fictif

Les migrants qui arrivent en Suisse ont souvent été chahutés par la vie | © Raphaël Zbinden
27 septembre 2019 | 01:51
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
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