Visite historique du pape Jean Paul II au Liban

Un million de Libanais, chrétiens et musulmans, applaudissent le chef de l’Eglise catholique

De notre envoyé spécial Jean-Marie Guénois

Beyrouth, 11 mai 1997 (APIC) Un million de Libanais enthousiastes, chrétiens et musulmans mêlés, ont accueilli le pape Jean Paul II qui a effectué samedi et dimanche une visite de deux jours au Pays des Cèdres, où il a lancé un appel en faveur de la paix, de la réconciliation et de la souveraineté nationale du Liban. 20’000 membres des forces de sécurité ont été mobilisés pour ce 77e voyage pontifical à l’étranger à l’occasion de la conclusion du Synode sur le Liban tenu à Rome fin 1995.

Dans un déploiement impressionnant des forces de sécurité – quasiment un soldat ou un policier posté tous les mètres, tandis que les hélicoptères militaires libanais et syriens tournoyaient dans le ciel – la papamobile blindée du pape, accompagné du cardinal Nasrallah Sfeir, patriarche d’Antioche des Maronites, a parcouru les rues encore marquées par les cicatrices de la guerre. De l’aéroport de Beyrouth au Palais présidentiel de Baabda, en traversant les quartiers chiites de la banlieue sud où son portrait côtoyait celui de l’ayatollah Khomeiny, en passant par les divers quartiers à populations sunnites et chrétiennes, l’itinéraire du pape l’a fait passer par les points névralgiques de la guerre fratricide qui a ensanglanté le pays durant une quinzaine d’années.

«Il faut d’abord changer les coeurs !»

«Faites tomber les murs, n’en élevez pas de nouveaux: c’est la consigne très claire que Jean Paul II a donnée samedi aux jeunes chrétiens désenchantés du Liban, qui venaient de lui dire leurs difficultés. Sa visite trois fois annulée (en 1982, 1989 et 1994) dans un pays ruiné par 15 années de guerre (1975-1990), a été placée résolument sous le signe du dialogue, en particulier à l’adresse de la jeune génération chrétienne, hautement qualifiée, souvent tentée par l’exil, mais que l’Eglise invite à rester au pays pour y prendre ses responsabilités.

L’objet de la visite était la conclusion du Synode spécial sur le Liban tenu à Rome en 1995. Mis à part une escale technique à Beyrouth de Paul VI en 1964, lors de son voyage à Bombay, c’était la visite d’un pape dans ce pays, naguère à majorité chrétienne, mais aujourd’hui de plus en plus dominé par sa population musulmane. Cette 77e visite pastorale de Jean-Paul II hors d’Italie était aussi la première dans un pays du Moyen-Orient. Une visite entièrement placée sous le signe de la reconstruction par le dialogue d’un pays dont Jean Paul II disait en 1989 qu’il était «plus qu’un pays: un message de liberté et de pluralisme pour l’Orient et pour l’Occident». Ce message, il l’a répété à l’adresse des responsables politiques, mais aussi religieux, musulmans aussi bien que chrétiens, et d’abord à une jeunesse chrétienne désabusée.

L’inquiétude des jeunes chrétiens

«Il va sans dire que la situation économique ne promet pas des jours meilleurs; que les libertés fondamentales nous sont arrachées une à une; que certaines détentions de jeunes se font pour des raisons politiques; que les Droits de l’homme sont bafoués à chaque instant.» Pierre Najm, un jeune laïc libanais, décrit ainsi à Jean Paul II la situation des jeunes de son pays, le 10 mai 1997, au sanctuaire marial de Harissa, à 20 km de Beyrouth, où sont réunis 15.000 jeunes, parmi lesquels 500 musulmans.

Pour Pierre Najm, «la pacification qu’on s’obstine à nommer paix» n’a pas guéri les esprits blessés. «Si elle a prétendu reconstruire les villes, elle a été incapable d’édifier une société exempte de bombes à retardement, à savoir le manque de dialogue intercommunautaire, la violence masquée, l’injustice et la frustration d’une société toujours en quête de souveraineté et d’indépendance. Ainsi, notre existence en tant que chrétiens nous paraît-elle menacée.»

Dans la foule surchauffée de la basilique Notre-Dame du Liban, on entend les mêmes propos inquiets. «Nous sommes devenus une minorité, soupire Mireille, 23 ans, originaire de la Bekaa, mais la venue du pape est la preuve que nous existons encore.» Elle ajoute: «Et puis, tant que les Syriens et les Israéliens seront sur notre sol, la guerre ne sera pas vraiment terminée.»

Une guerre qui a duré près de dix sept ans, et dont Patrick, étudiant en droit à Beyrouth, «préfère ne pas se souvenir». Elle laisse en tout cas des traces. Ghada, 18 ans, lance, très vive: «La plupart des criminels sont sortis de prisons. Nous demandons que tous les criminels, et pas seulement les chrétiens, soient en prison.» Dans la foule circulent quelques tracts pour soutenir Samir Geagea, ancien chef des Forces libanaises enfermé au ministère de la Défense depuis trois ans et à nouveau condamné la veille de l’arrivée du pape.

«Au fond, explique Josiane, 25 ans, c’est la paix que nous attendons, et quelque chose qui unisse vraiment notre pays. Dans cette perspective, le Synode est très important.» Le Synode spécial sur le Liban s’est déroulé à Rome en 1995. Jean Paul II est venu au Liban pour le conclure, en remettant aux catholiques (maronites, melkites, arméniens, syro-catholiques, chaldéens, latins) l’exhortation apostolique post-synodale, intitulée: «Une espérance nouvelle pour le Liban».

Une maison commune

Devant les jeunes réunis à Harissa, le pape s’est contenté de signer le texte de cette exhortation de 194 pages, qu’il a remise officiellement aux représentants des différentes Eglises catholiques lors de la messe de dimanche. Il a invité les jeunes à accomplir un premier travail intérieur: «Les changements auxquels vous aspirez sur votre terre nécessitent d’abord et avant tout des changements dans les coeurs», propos accueilli par un tonnerre d’applaudissements.

Jean Paul II précise aussitôt le défi que les jeunes ont à relever: «Il vous appartient de faire tomber les murs qui ont pu s’édifier pendant les périodes douloureuses de l’histoire de votre nation; n’élevez pas de nouveaux murs […]. Pour l’édification du Liban, l’arme principale et déterminante, est celle de l’amour.»r Cette reconstruction doit aller dans un sens précis: «Il vous revient, enchaîne le pape, de veiller à ce que chaque Libanais, en particulier chaque jeune, puisse participer à la vie sociale, dans la maison commune.» «Vous êtes la richesse du Liban, continue-t-il, vous avez à préparer le Liban de demain, pour en faire un peuple uni, avec sa diversité culturelle et spirituelle.» Dites-le en arabe !

Le pape demande alors aux jeunes de prendre pleinement conscience de leurs responsabilités dans la reconstruction nationale. Il insiste «les éléments qui créent l’unité»,comme «le dialogue avec tous ses frères, dans le respect des sensibilités spécifiques et des différentes histoires communautaires». Et d’inviter à «une attitude fondamentale d’ouverture», qui est «l’un des éléments moraux essentiels de la vie démocratique et du développement des solidarités, pour recomposer le tissu social et pour donner un nouvel élan à la vie nationale».

Improvisant à de multiples reprises en français, Jean Paul II galvanise les jeunes qui lui chantent «John Paul II, we love you». Il répond du tac au tac en français: «Mais pourquoi vous ne me le dites pas en arabe !». A la fin du discours, il conclut: «Je vois que vous avez été très attentifs, que vous avez réagi quand il le fallait. Vous avez réussi votre examen !»

Au palais présidentiel

Bien que bon enfant, la cérémonie au Palais présidentiel de Baadba, quelques heures plus tôt, est moins souriante, même si les petits enfants des trois responsables de la République, tous présentés au pape, dérident l’atmosphère. Rien ne filtre de l’entretien entre le pape et le président de la République Elias Hraoui, un chrétien maronite allié de la puissance tutélaire syrienne.

«Nous sentons bien que le pape a le Liban dans le coeur. Il a posé beaucoup de questions de détail sur la situation ici, et spécialement à propos de l’occupation du sud Liban. Je lui ai demandé son aide pour que la résolution 425 des Nations Unies (qui demande le retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban – ndr) soit appliquée», a-t-il précisé.

Un pèlerinage incomplet, pour le leader chiite Nabih Berri

Le président de la Chambre des députés Nabih Berri, un musulman chiite, également reçu par le pape, relève de son côté: «Le Liban accomplit son pèlerinage en recevant le pape, mais le pape n’a pas accompli son pèlerinage en se rendant dans le sud du Liban (allusion à la ville de Cana, où les Israéliens ont massacré en avril 96 de façon délibérée une centaine de réfugiés, dont nombre de femmes et d’enfants, placés sous la protection de l’ONU – ndr). Nous n’acceptons qu’une seule excuse pour ce fait, celle de la santé du pape.»

Un territoire «reconnu et respecté par tous»

En effet, pour les actuelles autorités du pays, le Liban n’est occupé qu’au Sud, par Israël. En accueillant le pape à son arrivée à l’aéroport, le président Elias Hraoui, avait d’ailleurs annoncé la couleur: «Pas de paix sans la libération des régions occupés du Sud, de la Bekaa-Ouest et du Golan.» L’occupation israélienne au Sud est un fait, mais on ne trouve absolument aucune mention, dans les discours officiels, de la présence de 35.000 soldats syriens (même si, en se rendant au palais présidentiel, le pape est passé à quelque mètres d’un campement militaire syriens, avec cinq chars, et de la mise sous tutelle par Damas de la politique libanaise.

Sur ce problème, le pape simplement rappelé lors de la cérémonie d’accueil qu’il avait «alerté la communauté internationale, pour qu’elle aide les Libanais à retrouver la paix, au sein d’un territoire national reconnu et respecté par tous». Le pape a ensuite insisté sur la nécessité pour le «nouveau Liban» de poursuivre une voie véritablement démocratique. «La condition préalable à toute pratique démocratique, a-t-il précisé, est le juste équilibre entre les forces vives de la nation, selon le principe de subsidiarité qui appelle une participation et une responsabilité de chacun dans les décisions.» Et d’ajouter: «La gestion de la ’Res publica’ repose sur le dialogue et sur le compromis, non pour faire prévaloir des intérêts particuliers ou encore pour maintenir des privilèges, mais pour que l’action soit un service des frères indépendamment des différences culturelles ou religieuses.» (apic/imedia/cip/cic/be)

6 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 7 min.
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