La réforme du secret pontifical vise à répondre aux scandales qui ternissent le Saint-Siège. Graffiti d'un prêtre pédophile | © Milliped/Flickr/CC BY 3.0
Vatican

Un secret pontifical de moins en moins mystérieux

Décryptage: les informations liées aux violences sexuelles graves du clergé ne seront plus protégées par le «secret pontifical», selon la réforme annoncée le 17 décembre 2019. Mais cette protection spécifique au Vatican, qui assure le silence de la Curie sur les dossiers sensibles, demeure.

Le secret pontifical, parfois désigné sous le terme de «secret du pape», est un ensemble de règles de confidentialité. Il couvre les affaires de la Curie jugées sensibles, celles pouvant mettre en danger le bon fonctionnement de l’Eglise. Promulgué au Vatican par saint Paul VI (1963-1978) en 1974, cette disposition légale est l’équivalent des appositions du sceau de «confidentiel» ou de «classifié» dans les autres Etats du reste du monde. Ainsi, le secret pontifical garantit la protection les intérêts du plus petit Etat du monde sur des dossiers sensibles très divers.

Ce «secret» est l’affaire du secrétaire du Saint-Siège, aujourd’hui le cardinal Pietro Parolin. Ce haut prélat, souvent désigné comme le ‘numéro deux’ du pape, est à la fois ‘chef du gouvernement’ – de la Curie – et ‘ministre de l’Intérieur’ de l’Etat du Vatican. A ce titre, il est garant de la confidentialité des informations privées qui circulent à l’intérieur des murs léonins, qu’elles soient archivées ou en cours de traitement.

Le secret pontifical ne concerne donc pas tant le pape que le Saint-Siège comme institution. L’emploi du terme de ‘secret pontifical’ et encore plus de ‘secret du pape’ est d’ailleurs erroné. Paul VI parle de fait de «contenus secrets», en latin secreta continere. Reste que ‘secret pontifical’ est le terme le plus usuel aujourd’hui.

Protéger la confidentialité des échanges diplomatiques

Dès 1974, Paul VI met donc en place un système de protections de «contenus» complété par des sanctions afin de contrôler la circulation d’informations sensibles. Les sanctions prévues dans le cadre du secret pontifical sont sévères : en cas de non respect flagrant du secret, le licenciement est immédiat. C’est ainsi qu’est protégée avec efficacité la confidentialité des échanges diplomatiques entre les nonciatures et le Saint-Siège. Sur ce point, le Vatican est souvent considéré comme une référence mondiale. De même, les dossiers privés concernant les membres du clergé, les recommandations sur des prêtres ou des évêques pouvant être promus sont eux-aussi protégées. Bref, ce qui concerne le S aint-Siège reste au Saint-Siège.

Mais ce n’est pas tout. Depuis sa création, le secret couvre aussi les processus pénaux relatifs aux tribunaux pontificaux. Il est alors une sorte de secret d’instruction étendu, qui empêche non seulement les contenus judiciaires d’être rendus publics, mais empêche aussi toute collaboration avec une justice extérieure de ces contenus – du moins jusqu’au 17 décembre 2019. A noter que l’instruction canonique de Paul VI se concentrait sur les ‘délits contre la foi’. Pour faire simple, toute enquête sur l’aspect hérétique ou non d’un propos mené par les tribunaux du Saint-Siège ne pouvait être communiqué sans l’accord du pontife en personne.

Cependant, depuis 2001 ont été ajoutés les «crimes graves» (les Normae de gravioribus delictis) par Jean-Paul II dans le Motu Proprio Sacramentorum sanctitatis tutela. La législation pontificale l’a fait pour s’emparer des questions très délicates des violences sexuelles commises par son clergé qui commençaient à prendre une ampleur certaine. Il s’agissait pour elle de trouver une réponse plus sévère à des scandales qui ternissait son ministère en ce début du 21e siècle. Mais, et cela lui est reprochée, la mesure est aussi perçue comme une façon pour l’Eglise de rendre plus opaque le traitement judiciaire interne de ces affaires. En effet, le fait de voir une affaire traitée par une juridiction au Vatican garantissait u n silence ; silence ressenti par de nombreuses institutions et personnes comme assourdissant.

Fragilité et jeunesse de la sécurité vaticane

Face à l’amplification des révélations de scandales liés à la pédophilie dans le clergé dans les années 2000 et 2010, et afin de perfectionner son appareil législatif relativement jeune, le Saint-Siège entreprend un travail depuis un assouplissement de sa juridiction. En 2010, le pape Benoît XVI effectue une première correction (un rescrit) qui vient aggraver les sanctions internes mais maintient toute l’étendue du secret pontifical. La décision du pape François de mettre fin à cette situation qui durait depuis dix-huit années semble clore cet épisode de douloureuse adaptation.

De nombreux commentateurs se sont plaints de la lenteur que prenait l’appareil étatique du Vatican à réformer l’étendue du secret pontifical.  Si cette critique est considérée, notamment par certains hauts prélats de l’Eglise comme justifiée, cette lenteur peut être quelque peu relativisée, au-delà de l’argument de la prudence traditionnelle propre à l’Eglise. Le secret pontifical est, on peut l’oublier, le seul vrai bouclier (malgré l’excellent travail des gardes suisses et de la gendarmerie pontificale) dans l’arsenal défensif du Vatican. Une protection dont on a par ailleurs vu la récente friabilité, notamment lors de la publication des révélations faites par Snowden en 2013 sur les écoutes pratiquées par la National Security Agency. 

Le Vatican sait que ses contenus secrets sont épiés. C’est donc un dispositif fragile mais aussi un dispositif très jeune (moins de 50 ans), là où les Etats modernes ont conçu leurs systèmes de confidentialité depuis plus de cent ans. Ce retard s’explique notamment par la spécificité de l’Etat romain, qui ne dispose pas de véritable armée, terreau privilégié de la conception des dispositifs de sécurité d’un Etat. 

Le fruit d’un long processus de réforme

Malgré la pression entourant les graves faits reprochés à certains membres du clergé catholique, ces deux failles – jeunesse et fébrilité – du secret pontifical ont pu pousser l’Eglise à avancer avec grande prudence pendant ces 18 dernières années. Quitte à susciter indignation et impatience de la part d’un pan conséquent non seulement de l’opinion mais aussi des fidèles. 

La décision prise par François de lever le secret pontifical pour les cas jugés graves vient mettre un terme donc à une longue réflexion. Elle est bien entendu surtout et avant tout l’aboutissement d’un vrai changement de paradigme dans le traitement des victimes de violences sexuelles de la part de membres du clergé. «Ce n’est pas une surprise, mais une étape attendue, fruit de longues années de travail», a confié à IMEDIA le Père Hans Zellner, directeur du Centre pour la protection de l’enfance de l’Université pontificale grégorienne. 

Un vrai chemin a été parcouru. 

En 2002, le Secrétaire d’Etat d’alors, le cardinal Tarcisio Bertone, concentrait sa critique sur la surmédiatisation des affaires. Aujourd’hui, c’est bien l’opposition ouverte par certains cardinaux aux excès du secret, notamment le cardinal Rheinard Marx, qui a été écoutée. Demandant un alignement plus effectif aux procédures judiciaires internationales, ce dernier s’en était ouvertement pris au secret pontifical lors du sommet sur la protection des mineurs dans l’Eglise de février dernier, relayant les demandes de victimes. 

Cette prise de conscience permet aujourd’hui de fermer la boîte de Pandore ouverte par la juridiction viciée de 2001. Le secret pontifical pourra donc désormais se concentrer plus pleinement sur sa mission première : assurer la discrétion, la sécurité et la confidentialité nécessaire à l’Eglise pour assurer son indispensable ambition spirituelle.  (cath.ch/imedia/cd/cp)      

La réforme du secret pontifical vise à répondre aux scandales qui ternissent le Saint-Siège. Graffiti d'un prêtre pédophile | © Milliped/Flickr/CC BY 3.0
18 décembre 2019 | 17:01
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 5 min.
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