Wim Wenders est l'auteur d'un documentaire sur le pape François (Photo:European Parliament/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)
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Wim Wenders: «Le film sur le pape François ne va pas changer le monde»

Wim Wenders a présenté son film «François, un homme de confiance» le 13 mai 2018 au Festival de Cannes. Il a expliqué, à cette occasion, ce que représentent pour lui le pape François et son saint patron.

Pensiez-vous un jour porter à l’écran un pape révolutionnaire du social et de l’écologie?
Wim Wenders: Non, même pas dans mes rêves les plus fous. Je n’aurais même pas pu imaginer faire un film sur un pape, encore moins un tel pape.

Le Vatican vous a demandé de le faire. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter?
Je me suis décidé suite à une conversation avec le responsable de la communication du Vatican de l’époque, un grand connaisseur du cinéma. Il ne m’a donné aucune consigne, ni sur le type de film, ni sur le concept. La production devait également être indépendante. Je n’aurais pas pu le faire autrement. J’avais en fait «carte blanche». C’était très excitant.

J’ai pu faire le film avec la même liberté que dans n’importe lequel de mes précédents documentaires. Ce n’est que pendant l’écriture, le tournage et le montage que j’ai pris conscience de la responsabilité de la tâche.

Une image du film «Le pape François, un homme de confiance», de Wim Wenders (capture d’écran YouTube)

Vous ne vouliez pas faire un film «sur», mais «avec» le pape François. Qu’est-ce qui a déterminé le passage d’une biographie distanciée vers une «profession de foi» en faveur de François?
Il existe déjà beaucoup de films sur le pape François. J’aurais peut-être pu avoir la chance d’être proche de lui et de lui poser des questions sur sa vie. Mais un film purement biographique aurait été une occasion manquée. Ce n’est pas non plus son truc. C’est un homme modeste qui n’aime pas parler de lui-même. L’»invitation» est venue à la fin de sa première année de pontificat. Mais je n’ai pu commencer à travailler qu’au cours de la troisième année. J’en savais déjà beaucoup sur lui et sur ses préoccupations.

Depuis quand vous intéressez-vous au pape François?
Je me souviens parfaitement bien du jour de son élection. Mes neuf ans de latin avaient finalement payé! J’ai compris, avec l’annonce latine, avant même de le voir, qu’il avait choisi le nom de François- et j’ai été impressionné. J’ai pensé: l’homme a du courage! S’il ose s’appeler ainsi, on peut s’attendre à beaucoup. C’était le signe de quelqu’un qui «ne tourne pas autour du pot».

«Le pape François vit ce qu’il dit»

De quelle manière l’associez-vous à saint François d’Assise?
Saint François est une figure immense, pas seulement pour l’histoire de l’Eglise. Je dirais que c’est un héros de l’humanité. Il représente tant de choses qui sont aujourd’hui plus pertinentes que jamais. Le plus impressionnant, surtout pour notre époque, c’est son rapport visionnaire à la création, à la nature, à «sœur notre mère, la Terre», comme il appelait notre planète. Cette nécessité de changer fondamentalement notre relation avec la nature, avec «notre maison commune», est également une préoccupation majeure du pape François.

Qu’est-ce qui vous a impressionné dans votre relation personnelle au «pape Bergoglio»?
Principalement la chaleur et l’attitude directe et naturelle qu’il a avec tout le monde. Cela s’est révélé déjà dans son comportement envers l’équipe de tournage, qui suggérait: «Je suis comme tout le monde, vous n’avez pas besoin de me courtiser». Le pape a serré la main à toutes les personnes sur le plateau, y compris les machinistes et les éclairagistes. Il a dit au revoir à tous personnellement. Nous nous sommes rencontrés quatre fois pour une entrevue de deux heures.

Cette attitude est-elle le fondement de son charisme?
Pour lui, toutes les personnes ont la même dignité et la même valeur. Tous ceux qui le rencontrent peuvent le ressentir. Et c’est l’aspect qui m’a le plus impressionné: il vit ce qu’il dit. C’est quelque chose que nous n’arrivons souvent, nous-mêmes, malheureusement pas à faire, même si nous le voudrions. Combien de fois regardons-nous les gens de haut? Une attitude que souvent la société nous impose.

Vous considérez le pape François comme un modèle, pertinent bien au-delà de l’Eglise. Quel est son message pour le monde?
Nous sommes à une époque où il nous apparaît de plus en plus clairement que personne ne peut vivre pour lui-même. Tout ce que nous faisons aux autres, ou à notre mère la Terre, nous le subissons en retour. C’est pourquoi la conscience d’un bien commun grandit, qui détermine notre destin à tous. En même temps, beaucoup de puissants dans le monde semblent avoir perdu cette conscience, on dirait qu’ils n’ont aucune compétence morale. Le pape, d’autre part, ne représente aucun intérêt politique ou économique. Il n’a vraiment que le bien commun à l’esprit. Cela fait de lui un communicateur et un leader d’opinion unique.

«J’ai la liturgie catholique dans mon ADN»

Comme le réalisateur américain Martin Scorsese, vous avez songé à devenir prêtre dans votre jeune âge. Quelle était votre motivation?
Mon père y avait pensé aussi pendant longtemps, mais il est finalement devenu médecin. Il m’a donné l’exemple de la foi chrétienne. J’ai grandi dans une éducation catholique et j’ai connu des hommes d’Eglise très impressionnants. C’était donc une option très sérieuse pour moi de devenir prêtre. J’ai ensuite suivi la voie de la médecine, jusqu’à ce que je réalise que ce n’était pas la mienne.

L’expérience de la liturgie, la mise en scène d’actes sacrés, a-t-elle influencé votre travail artistique, comme cela a été le cas pour Fellini ou James Joyce?
Les premières années de notre vie sont celles qui nous façonnent le plus, et je viens d’une famille très religieuse. J’ai la liturgie catholique «dans mon ADN», pour ainsi dire.

Le point commun de vos diverses vocations, c’est l’intérêt pour l’humain. Vos films mettent également en scène des personnes confrontées à des interrogations existentielles.
Si vous n’êtes pas sérieusement intéressé par la vie et les actions des personnes dans le monde actuel, si vous n’avez pas d’amour pour les gens, vous ne pouvez pas exercer ces professions, pas même celles du cinéma. J’ai grandi dans l’après-guerre, une période particulière. Tout le monde était abattu, y compris mes parents, et tous faisaient preuve de solidarité. Il y avait une belle et naturelle communion. Peut-être qu’en tant que petit garçon, j’ai expérimenté quelque chose d’utopique, un désir qui m’a façonné, de sorte que mes actions ont à présent une portée sociale.

Quel rôle la foi et la spiritualité jouent-elles pour vous personnellement?
Quand Dieu devient important dans la vie de quelqu’un, qu’il devient une réalité, cela a un effet sur tout ce qu’il fait. Et si vous êtes fermement convaincu que les ténèbres ne peuvent être combattues par les ténèbres, mais seulement par la lumière, cela a des conséquences.

Quel rôle a joué cette sensibilité religieuse dans la réalisation de votre film?
Les artistes ont une grande mission – que beaucoup omettent – de montrer que quelque chose d’autre peut exister derrière la surface, que la réalité peut être vue avec d’autres yeux. Le cinéma et la peinture sont des arts du regard. Tout peintre essaie d’apprendre au spectateur à trouver un regard neuf.

Que peut réaliser l’art aujourd’hui?
Celui qui met le monde en images est aussi responsable de l’effet qu’il produit, de la façon dont il révèle le monde aux autres. Avec des films, on ne peut pas changer fondamentalement le monde, mais l’idée du monde. J’espère que mon film sur le pape François pourra faire cela. (cath.ch/kna/cs/rz)

 

Wim Wenders est l'auteur d'un documentaire sur le pape François
19 mai 2018 | 12:27
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 5 min.
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