Sion: Le cardinal valaisan Henri Schwery fête ses 80 ans le 14 juin
Saint Léonard, 6 juin 2012 (Apic) A 80 ans, le cardinal Henri Schwery garde bon pied, bon œil, le verbe haut, la parole franche. L’ancien évêque de Sion n’a rien d’un « prince de l’Eglise ». Etre cardinal, c’est autre chose que porter une soutane rouge, souligne-t-il. A l’occasion de son anniversaire qu’il fêtera le 14 juin à 14h, le cardinal valaisan se livre sur sa vocation, la crise de la curie romaine ou le schisme des intégristes d’Ecône.
Apic: Faut-il vous classer parmi les optimistes ou les pessimistes ?
Cardinal Henri Schwery : Du point de vue humain, c’est moitié-moitié. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas. Au fur et à mesure que le monde évolue, il y a de nouveaux malheurs mais aussi de nouveaux progrès. Par exemple dans le développement des sciences. A la fin du XIXe siècle, les scientistes s’opposaient à l’Eglise et à la croyance. Aujourd’hui, beaucoup de scientifiques nous disent que ce monde n’existerait pas s’il n’y avait pas une intelligence derrière. J’ai discuté la question récemment avec deux chercheurs du CERN qui reconnaissent l’idée d’une intelligence créatrice. Dans ce sens, je suis plutôt optimiste.
Apic : Et du point de vue chrétien ?
H.S. : Comme croyant, je n’ai en quelque sorte pas le choix. L’espérance est une vertu théologale. Le Christ est ressuscité.
Apic: Depuis quelques années vous avez atteint l’âge de la retraite, vous n’avez plus d’activité officielle. Vous n’êtes cependant pas inactif ?
H.S. : Je suis ’sur le quai de la gare’, comme on pourrait dire. Je rends quelques services en pastorale: je dis la messe dans la paroisse et au home pour personnes âgées voisin de chez moi. Mais je n’en suis pas l’aumônier. Je donne encore quelques conférences. En Suisse, je n’existe plus. Il faut donc que je sois assez intelligent pour rester dans mon coin. En 1995, lorsque j’ai démissionné de mon poste d’évêque de Sion, bien que cardinal, j’ai dû quitter la Conférence des évêques suisses. Il aurait fallu changer le règlement pour que les évêques émérites puissent rester membres de la Conférence épiscopale, mais cela n’a pas été fait.
Apic: Comme évêque et comme cardinal, vous êtes aussi l’auteur de plusieurs ouvrages. Avez-vous encore des projets d’écriture ?
H.S. : Non. J’avais lancé aux éditions St-Augustin la collection « Cardinal Henri Schwery ». Quatre volumes ont paru, mais comme ils se vendent assez mal, la collection ne continuera pas plus loin.
Apic: A 80 ans, quel regard jetez vous sur les principales étapes de votre carrière ?
H.S.: Utiliser le mot carrière me fait penser à mon père qui exploitait une carrière de pierres à Saint-Léonard, en Valais. Parler de carrière dans l’Eglise, et surtout en ce qui me concerne, me gêne beaucoup. Du point de vue de ma vocation, je suis un peu un ’phénomène’, car je n’ai jamais eu aucune certitude. J’ai passé mon temps à hésiter et en quelque sorte à dire au Seigneur ’Débrouille-toi avec moi !’
A 12-13 ans je pensais aller cher les Rédemptoristes qui avaient une maison près de chez nous. J’ai suis allé trouver le Père supérieur qui a demandé à voir ma maman qui m’a ensuite rapporté la conclusion : ’Arrête de rêver de devenir religieux, ce n’est pas pour toi’. Je venais de perdre une sœur ainsi que mon père âgé de 64 ans et j’étais plutôt chétif.
Je suis tout de même entré ensuite au petit séminaire puis au séminaire. Mais j’hésitais toujours jusqu’à l’âge de 24 ans. Au moment de mon sous-diaconat, j’ai fait d’abord un pèlerinage à Lourdes et j’étais incapable de me décider. A mon retour, je suis allé voir mon évêque, Mgr Nestor Adam, pour lui faire part de mon hésitation. Il m’a répondu : ’Faites votre retraite et je vous ordonnerai samedi prochain !’
Apic: Vous avez exercé de hautes responsabilités, mais vous insistez beaucoup sur la notion d’obéissance ?
H.S. : Le jour de mon ordination sacerdotale dans l’église de mon village natal de St-Léonard – c’était la première ordination hors de la cathédrale – j’ai fait la promesse de l’obéissance à l’évêque. Je me suis dit : ’Mais qu’est-ce que tu viens de faire ?’ J’ai navigué ainsi ensuite sur ce bateau de l’obéissance. J’aurais d’abord dû être envoyé à Rome pour me former en théologie. Mais trois jours après mon ordination, l’évêque me convoque pour m’annoncer que je devais aller étudier les sciences à Fribourg. Pendant mes deux premières années à Fribourg, je cherchais par tous les moyens à rentrer en Valais. Je disais à l’évêque : ’Nommez-moi vicaire à Chandolin et libérez-moi des mathématiques, de la chimie et de la physique.’ Il m’a répondu : ’Chandolin est trop petit pour avoir besoin d’un vicaire. Retournez à Fribourg ’. J’ai été envoyé ensuite comme enseignant au collège de Sion. Et là encore, en vertu de l’obéissance, au bout de quelques années, l’évêque m’a demandé d’accepter le poste de recteur du collège proposé par le Conseil d’Etat.
Apic: Comment est intervenue votre nomination comme évêque de Sion en 1977 ?
H.S.: Cette nomination a encore une fois suivi la même loi de l’obéissance. Le nonce m’a convoqué pour me dire avec son accent napolitain : ’M. l’abbé, le pape Paul VI vous a nommé évêque de Sion’. J’ai pleuré devant lui, lui disant que j’avais 45 ans, que j’étais recteur d’un collège, que j’avais de nombreux projets en route, mais en fin de compte j’ai obéi. Le fait de n’avoir pas eu besoin de choisir moi-même ne m’a pas rendu plus malheureux, bien au contraire.
Apic: En 1991, vous devenez cardinal.
H.S. : L’élection comme cardinal fut exactement pareille. J’ai reçu un téléphone du nonce,
un samedi soir, pour me dire que le pape Jean Paul II m’avait créé cardinal. J’étais bouche bée. J’ai demandé de discuter, mais le nonce a coupé court : ’Le cardinalat est un cadeau du pape. Un cadeau ne se discute pas, il s’accepte avec reconnaissance!’
Apic: Évêque, cardinal, ce furent des charges assez lourdes
H.S. : Ce n’est pas seulement la soutane rouge qui fait le cardinal. Je devais prendre au sérieux le rôle premier de conseiller du pape. Je ne me suis jamais gêné de lui demander des entrevues et de lui dire ce que je pensais à propos de telle ou telle question. J’ai siégé en même temps dans cinq dicastères romains, dont celui des affaires économiques et la Congrégation pour les causes des saints. Cela demandait pas mal de travail. J’étais en moyenne une semaine par mois à Rome. C’était une activité passionnante. Le Vatican est d’abord un lieu où on travaille.
Apic: Vous avez fréquenté assidûment la curie romaine pendant de longues années. Comment jugez-vous les affaires actuelles ?
H.S. : J’ai toujours été assez critique à l’égard de certains aspects. Mais il ne faut pas généraliser. Dans l’ensemble, il y a, au Vatican, beaucoup de gens qui travaillent bien. Il y a 40-50 ans, la curie était considérée comme une carrière où les jeunes prêtres entraient à 25 ans et gravissaient tous les échelons, jusqu’au rang de cardinal sans avoir aucune expérience du terrain, ni avoir vu une paroisse de près. C’est inadmissible. C’est une question sur laquelle l’Eglise doit faire son examen de conscience. Le pape Jean Paul II a internationalisé la curie comme jamais auparavant et a nommé à Rome des cardinaux qui avaient l’expérience d’un diocèse. Aujourd’hui les ’carriéristes’ italiens ne sont plus la majorité au sein de la curie. Mais il faut reconnaître que dans la dernière liste des cardinaux plus de la moitié sont des Italiens de la curie. On revient en arrière. Benoît XVI l’a certainement compris. Mais avec son âge, il faudra probablement attendre son successeur pour reprendre la chose en main.
Apic: L’image donnée par l’affaire des fuites impliquant le majordome du pape est très négative.
H. S. : C’est une chose très gênante, certes, mais ce qui m’ennuie beaucoup, c’est que l’Eglise est la seule institution sur laquelle on tire à boulets rouges sans même savoir de quoi on parle. En réalité, on ignore ce que le majordome a fait. Je ne le sais pas non plus. Mais le fait qu’il ait été arrêté devrait être interprété comme le fait que la justice existe au Vatican.
Apic: Beaucoup d’évêques ou de cardinaux appellent à une réforme de la curie.
H.S. : La curie doit se réformer à chaque époque. Il semble actuellement qu’il y ait un ralentissement et qu’on ne fasse plus l’effort de l’internationalisation et de recrutement des personnes ayant une expérience de terrain. Il y a eu des erreurs très graves au plan des finances avec l’IOR et Mgr Paul Marcinckus. Jean Paul II a créé la commission cardinalice, dont j’ai été membre, pour redresser les affaires, avec entre autres la nomination de responsables compétents sur le plan professionnel. Encore une fois, dans l’ensemble, cela ne fonctionne cependant pas si mal. Dans les congrégations, ce sont les membres, c’est-à-dire les évêques et les cardinaux venus du monde entier qui ont le droit de vote. Ce sont eux qui décident, et non pas les fonctionnaires romains. Il n’y a qu’en Eglise que l’on peut travailler comme ça. (apic/mp)
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