Pologne: 221 Romands en visite au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau

Plus jamais ça !

Auschwitz, 4 décembre 2012 (Apic) « Je ne suis ni juif, ni tsigane, ni Polonais, mais en visitant Auschwitz j’ai eu le sentiment d’avoir moi aussi perdu quelqu’un ». 221 personnes venues de cinq cantons romands ont pris part le 28 novembre 2012 à la visite du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie, dans le sud de la Pologne. Organisée par la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation) à Genève, cette 14e édition était une nouvelle fois une visite dont on ne ressort pas indifférent. Témoignages recueillis sur place.

« Nous avons été à Yad Vashem, à Jérusalem, à Washington, à Berlin, mais nous voulions terminer notre pèlerinage ici à Auschwitz-Birkenau. C’était une sorte de dette envers les survivants que nous avons connus et qui aujourd’hui sont morts. » Félix et Myriam Israël, juifs de Genève, sont de la génération d’après-guerre. Tous les deux sont issus de familles dont des membres ont disparu à Auschwitz. Ils ont connu des survivants, mais n’avaient pas encore visité Auschwitz.

Le pire pour eux est cette marque spécifique d’une élimination planifiée, organisée « dans un continent qui était le nôtre, à quelques centaines de kilomètres des grandes capitales européennes pétries de culture ». Au pied du mémorial formé d’un amas de grands blocs de pierre, Félix a coiffé sa kippa pour écouter le rabbin psalmodier le kaddish (la prière juive pour les morts). L’émotion est forte. « Cela nous a remués jusqu’au fond, mais cette très belle prière reste remplie d’espérance. Ce que nous ont transmis les survivants, c’est un message de vie, relève Myriam. Nous nous sentons le cœur chargé, mais nous sommes heureux de l’avoir fait. Nous voulons passer le témoin aux générations plus jeunes pour leur dire ’plus jamais ça’. »

La montagne de chaussures

« C’est quand j’ai vu le tas de chaussures prises aux détenus que mon émotion a été la plus forte. Je viens de l’économie et du droit, c’est probablement pour cela que ces preuves matérielles sont si impressionnantes pour moi. Je ne suis ni juif, ni tsigane, ni Polonais, mais j’avais le sentiment d’avoir moi aussi perdu quelqu’un », relève Yves Schmidle, enseignant à Nyon. « Je voulais venir voir une fois Auschwitz, mais j’avais une certaine appréhension. Cette visite est une confrontation brutale avec la part d’ombre de chaque être humain. Cette histoire, même si elle a plus de 70 ans, ne peut pas s’oublier. »

Mesurer les dimensions de la chose est particulièrement bouleversant. Tout est si grand et à la fois si petit en rapport du million de victimes disparues à Birkenau (Auschwitz II) dans la plaine marécageuse à 3 km du 1er camp. Les baraques en bois, les cantonnements en briques sont des témoins muets, la terre est silencieuse, les arbres immobiles. On peine à imaginer l’entassement, la puanteur, le froid, la faim, la maladie la mort et la fumée des crématoires.

Pour Yves Schmidle, l’espérance réside dans le fait que l’arrogance des nazis a finalement été vaincue. « Leur tour de Babel s’est écroulée. Ils ne pouvaient pas réussir. C’est horrible de le dire, mais en fin de compte, ils n’ont pas atteint leur objectif. Il s’est trouvé suffisamment de monde pour leur faire barrage. »

Dans son collège, il a mis à son programme du cours hebdomadaire de citoyenneté, le génocide du Rwanda. « J’essaie de faire comprendre aux jeunes les mécanismes qui ont rendu cela possible. D’identifier avec eux les ingrédients de cette ’cuisine du diable’. Cela commence par l’idéologie suivie par la propagande, la désinformation, pour arriver à une entreprise de déshumanisation totale. Le génocide rwandais a été plus court et moins organisé, mais la mécanique est la même.

La leçon du jour ? « Si face à la Shoah, l’extermination planifiée des juifs par les nazis, tout le monde avait la conscience d’avoir perdu quelqu’un, il n’y aurait plus antisémitisme, ni racisme. On regarderait la personne et non pas son appartenance ou sa catégorie. »

Il faut venir une fois à Auschwitz

« J’ai été choqué par les tas de cheveux, d’habits, de chaussures de centaines de milliers de disparus, admet Arnaud, élève du collège de Champittet, à Lausanne. Je ne ferai plus de blagues racistes ». Au sortir du camp d’Auschwitz, sa promesse n’a rien de la boutade.

« Nous avions déjà entendu parler de la Shoah et d’Auschwitz, vu des films ou des documentaires, étudié la période dans nos cours d’histoire, mais être sur place, poser nos pas sur cette terre, c’est autre chose, complètent ses camarades Alex et Yann. On ne se rendait pas compte que l’être humain peut être aussi sadique. Passer sous ’la porte de l’enfer’, dont on ne revient pas, nous a demandé un certaine forme de courage, pour nous confronter à l’horreur absolue. Nous avons senti la présence des morts qui ont été tués là. » Le message qu’ils réservent à leurs camarades de Lausanne:  » Il faut venir une fois à Auschwitz. C’est important. Par rapport aussi aux horreurs des conflits actuels. Notre vision a changé. »

A quatre dans une cellule de 1m2

« Avec trois autres personnes, j’ai essayé de m’introduire dans une des quatre cellules punitives de la prison du camp d’Auschwitz. Elle est grande comme une cabine téléphonique. Il fallait y passer des nuits à quatre, debout dans le noir, sans bouger. C’est une impression toute autre que de voir des images. », relève l’abbé Alain Chardonnens. Cette cellule est à cinq mètres de celle où saint Maximilien Kolbe a péri avec neuf autres détenus en août 1941.

« J’étais déjà venu à Auschwitz comme séminariste en 2001, mais j’ai été heureux de pouvoir répondre à l’invitation de la CICAD en tant que représentant du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg », note le vicaire général. Auschwitz nous met en face de toute la dimension du mal. Un mal qui a fait de l’homme une chose devant une chambre à gaz et un crématoire. On peut l’expliquer techniquement, chronologiquement, historiquement, mais comment y trouver un sens ? Ce n’est pas que de l’histoire. Cela touche toute l’humanité.

Pour l’abbé Chardonnens, le pardon n’est pas l’oubli. Au contraire il faut se souvenir pour pardonner. Cultiver la mémoire de la Shoah, c’est ’espérer contre toute espérance’, selon les mots de la Bible. Dans cette ’vallée de larmes’ certains ont rencontré Dieu. Beaucoup ont crié avec les mêmes mots que Jésus en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » Et Dieu s’est fait proche jusque-là. Sur cette boue, des roses ont fleuri.

Ce devoir de mémoire implique un même devoir de vigilance face aux situations du monde contemporain lorsque les droits humains sont bafoués.

14e visite d’Auschwitz organisée par la CICAD

221 personnes de Suisse romande ont participé le 28 novembre à la 14e visite du camp d’extermination d’Auschwitz organisée par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) à Genève. Malgré la disparition progressive des derniers survivants de l’holocauste, l’intérêt pour démarche s’accroît d’année en année, se félicite Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD. Trois groupes de personnes sont concernés : les enseignants du cycle secondaire, environ 150 cette année, les élèves de quelques collèges privés, une cinquantaine, et les accompagnants de la CICAD membres de la communauté juive. Des représentants des autres religions sont également invités. Les participants payent eux-mêmes le voyage, (certains enseignants bénéficient d’une subvention de leur canton). Grâce à des sponsors, la CICAD complète le budget.

Auschwitz –Birkenau

Auschwitz-Birkenau est le plus grand camp de concentration et d’extermination du Troisième Reich. Il se situe au sud de la Pologne annexée au Reich après l’invasion. Le ’Konzentrationslager’ se partage entre l’ancienne caserne autrichienne d’Auschwitz, et le camp de Birkenau à 3 km. Le complexe concentrationnaire a été complété en octobre 1942 par le camp de Monowitz-Buna dont les détenus travaillaient pour la firme chimique allemande IG Farben et dans la fabrique de caoutchouc Buna-Werke (Auschwitz III).

Le camp de concentration, dirigé par les SS, a été créé le 27 avril 1940 par Heinrich Himmler et libéré par l’Armée rouge le 27 janvier 1945. En cinq ans, plus de 1,1 million d’hommes, de femmes et d’enfants meurent à Auschwitz, dont 900’000 immédiatement à la sortie des trains qui les y transportaient. 90% de ces personnes étaient juives. Ces victimes de la solution finale furent tuées dans les chambres à gaz ou parfois par arme à feu, mais elles moururent aussi de maladies, de malnutrition, de mauvais traitements ou d’expériences médicales.

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’Apic au prix de 80.– la première 60.– francs les suivantes

(apic/mp)

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