Berne: La pauvreté en Suisse, une hypothèque pour l’avenir du pays, dénonce Hugo Fasel

Le directeur de Caritas Suisse interpelle les journalistes catholiques rassemblés à Berne

Berne, 2 mars 2013 (Apic) Entre 700 et 900’000 personnes vivant en Suisse souffrent de la pauvreté. 260’000 enfants vivent au sein de familles pauvres et c’est une hypothèque pour l’avenir du pays, a déclaré le 2 mars 2013 Hugo Fasel. Le directeur de Caritas Suisse était l’invité de l’Association Suisse des Journalistes Catholiques (ASJC) qui tenait samedi son assemblée générale à la Maison de paroisse St. Marien à Berne.

Les chiffres avancés par Caritas Suisse ont été repris par la Confédération, qui n’a pas de données plus précises. Elle a reconnu officiellement – en 2010 seulement ! – que le problème existait bel et bien. Le Conseil fédéral publiait en mars de cette année-là un rapport intitulé «Stratégie globale de la Suisse en matière de lutte contre la pauvreté».

«En Suisse, on vit dans un pays où l’on sait tout sur les vaches, où l’on suit en permanence les cours de la bourse, mais où, paradoxalement, les autorités sont incapables de mesurer précisément l’ampleur de la pauvreté…»

«La dignité humaine n’est pas négociable!»

Hugo Fasel ne mâche pas ses mots: il est très difficile de faire passer l’idée qu’il y a des pauvres en Suisse, car leur existence a très longtemps été considérée comme un tabou. C’est particulièrement le cas en Suisse alémanique, où la sensibilité à ce phénomène, qui mine dangereusement la cohésion sociale, diffère beaucoup de celle de la Suisse romande. «Il ne suffit pas de faire du bon travail pour et avec les pauvres, encore faut-il parvenir à faire connaître leur situation dans le public. Pour cela, il ne faut pas avoir peur d’intervenir au plan politique, quitte à se faire mal voir». L’ancien syndicaliste n’a pas l’habitude de tergiverser, car pour lui, «la dignité humaine n’est pas négociable!»

En Suisse, la pauvreté est moins visible qu’ailleurs et est souvent cachée

Pour le directeur de Caritas, la pauvreté en Suisse n’est pas de même nature que celle d’Haïti. Elle est moins visible et souvent cachée. C’est la marginalisation qui touche les fins de droits qui doivent se tourner vers l’aide sociale, qui n’ont plus de perspectives, qui ont perdu le sentiment d’appartenir à la société.

En Suisse est pauvre celui vit en dessous des normes définies par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), soit 33 francs par jour pour une personne. Avec cette somme, une personne à l’aide sociale doit payer sa nourriture, ses habits, ses frais de transport, ses soins corporels, la télévision, le téléphone et la connexion internet. Outre le forfait mensuel de CHF 986. –, le service social prend en charge les primes de caisse maladie et le loyer.

Dans la société actuelle, posséder un téléphone portable ne doit pas être considéré comme un luxe, note le directeur de Caritas Suisse. «En effet, une personne à la recherche d’un emploi qui ne peut donner un numéro de téléphone où il peut être atteint en tout temps n’a, aujourd’hui, que très peu de chances sur le marché du travail…. «

Les causes de la pauvreté sont multiples

Expliquant les multiples facteurs à l’origine de la pauvreté qui frappe une personne sur dix en Suisse, Hugo Fasel évoque tout d’abord les changements au plan économique, où le marché cherche une main d’œuvre qualifiée et spécialisée, qui doit continuellement se former pour s’adapter aux nouvelles exigences.

Les jobs exigeant peu de formation sont devenus rares, et un certain nombre de formations ne correspondent plus à la demande. L’inégalité des chances en fonction du milieu social est un facteur de pauvreté, alors que beaucoup d’espoir avait été mis dans la démocratisation des études. Pour une famille, avoir trois enfants ou plus, est, aujourd’hui, un risque accru de tomber dans la pauvreté.

Les changements qui affectent la structure familiale sont également une cause de pauvreté. La protection qu’offrait la famille traditionnelle s’estompe et avec elle son réseau d’entraide familial. Les séparations et les divorces sont en augmentation, avec les lourdes conséquences financières qui en résultent. Les familles monoparentales sont ainsi davantage exposées à la pauvreté.

Hugo Fasel relève aussi l’existence d’une certaine discrimination sur le marché du travail: «Il suffit parfois d’avoir un nom à consonance étrangère pour être écarté de la pile des dossiers de candidature à un poste».

Caritas Suisse propose une panoplie de solutions

Caritas Suisse propose une panoplie de solutions, notamment une meilleure politique familiale ciblant les familles monoparentales à faibles revenus (prestations complémentaires), une meilleure répartition des revenus, notamment pour améliorer la situation des travailleurs pauvres (»working poors»), un soutien précoce à apporter aux enfants et aux jeunes des milieux défavorisés afin de leur permettre d’avoir une bonne formation. «Adultes, une telle formation les sortira du cercle vicieux de la pauvreté».

Hugo Fasel évoque encore d’autres pistes, comme le coaching, dans tous les cantons, des jeunes adultes lors du passage dans le monde professionnel, ainsi que l’établissement d’entreprises sociales pour les chômeurs de longue durée. Caritas a notamment pour objectif de créer 1’000 places de travail d’ici 2020 dans des entreprises sociales pour des travailleurs exclus du marché du travail.

Beaucoup reste à faire au niveau cantonal

Caritas salue le fait que la Confédération accepte désormais de jouer un rôle plus actif dans la politique de lutte contre la pauvreté, et qu’elle affirme sa volonté d’appliquer sérieusement sa «Stratégie globale» en matière de lutte contre la pauvreté. En novembre dernier, la Confédération a annoncé qu’elle allait élaborer d’ici le printemps 2013 un programme fédéral de cinq ans pour la prévention et la lutte contre la pauvreté en Suisse.

La lutte contre ce phénomène est essentiellement du ressort des cantons. En effet, l’instruction publique, les politiques de l’éducation, de la famille, la politique fiscale et l’aide sociale relèvent des cantons. Le directeur de Caritas estime que beaucoup reste à faire à ce niveau, car la plupart d’entre eux sont encore loin de formuler des objectifs politiques concrets pour réduire la pauvreté ou éviter qu’elle ne s’installe.

A l’exception du rapport sur la pauvreté du canton de Berne, aucun des autres rapports cantonaux publiés jusqu’à présent ne présente d’objectifs mesurables de lutte contre la pauvreté. C’est pourtant là une condition nécessaire pour mettre en œuvre des mesures stratégiques, mettre en évidence les succès et amener les acteurs politiques à prendre les choses en main. (apic/be)

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