Berne: Le Père Nawras Sammour, directeur du Service Jésuite des Réfugiés JRS en Syrie

En Syrie, personne n’a le monopole de la souffrance !

Berne, 16 mars 2013 (Apic) «En Syrie, personne n’a le monopole de la souffrance ! Il ne faut pas dire que les chrétiens sont visés en tant que tels, ou qu’ils sont au contraire des privilégiés… Tout le monde souffre, il n’y a pas un Syrien qui n’a pas peur !», a confié à l’Apic le Père Nawras Sammour, directeur régional du Service Jésuite des Réfugiés (JRS) au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Le jésuite syrien était le 15 mars 2013 l’un des invités de marque de la Journée annuelle de l’Aide humanitaire et du Corps suisse d’aide humanitaire CSA qui s’est déroulée au Kursaal de Berne en présence du conseiller fédéral Didier Burkhalter, chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). L’organisation que dirige le Père Sammour, active en Syrie dans les villes d’Alep, de Homs et de Damas, bénéficie du soutien financier de la Direction du développement et de la coopération (DDC) de la Confédération.

Aider sans distinction tous ceux qui sont dans le besoin

A l’intérieur de la Syrie, fuyant les combats, 2,5 millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants, vivent dans des conditions infrahumaines, tandis que le nombre des réfugiés dans les pays voisins dépasse déjà le million. Le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) vient en aide sans distinction à quelque 8’000 familles – dont 75% sont musulmanes – à Alep, Homs et Damas, grâce à un demi-millier de bénévoles, qui se partagent à peu près à égalité entre chrétiens et musulmans.

Le JRS assure également, grâce à ses «cuisines géantes», un repas chaud quotidien pour quelque 15’000 déplacés, dont nombre d’entre eux viennent des campagnes et des villes environnantes. A Alep, un kilo de pain coûte entre 150 et 220 livres syriennes (1,5 à 2,3 euros). «C’est le plus cher de tout le pays, soit dix fois le prix d’avant la crise».

Préparer la réconciliation au sein de la population syrienne.

«Nous distribuons également des couvertures et des matelas, et apportons un soutien médical – pour les civils uniquement, pas pour les combattants – et également un appui psycho-social aux enfants, pour leur permettre d’évacuer toutes les atrocités dont ils ont été les témoins ou qu’ils ont subies. C’est un service mixte, qui rassemble filles et garçons», confie-t-il à l’Apic. Pour le jésuite alépin, l’approche tout à fait neutre du JRS, qui se base sur les valeurs humanitaires et ne fait aucune distinction de convictions ou d’appartenance communautaire, politique ou religieuse, contribue à préparer la réconciliation au sein de la population syrienne.

Près d’un tiers de la métropole d’Alep, une agglomération qui comptait avant les combats près de 4 millions d’habitants, est déjà détruit, dont les fameux souks inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO. «Les chrétiens, qui étaient 140’000 dans la ville, ne sont plus que 70’000. Des 40’000 Arméniens, il n’en reste plus que 15’000…» Le mouvement s’est accéléré avec l’enlèvement près d’Alep, le 9 février 2013, de deux prêtres, Michel Kayyal (arménien catholique) et Maher Mahfouz (un moine orthodoxe).

Après les enlèvements, les chrétiens ont peur

«Un groupe d’hommes armés a arrêté un bus de passagers qui se dirigeait vers le Wadi Al-Nassara (la Vallée des Chrétiens), dans lequel se trouvaient trois prêtres, et ils ont laissé partir le plus âgé. Depuis, on est sans nouvelles d’eux. Personne n’a formellement revendiqué cet acte. Ont-ils été enlevés parce que chrétiens ? Personne ne peut le dire, mais cet enlèvement a suscité de l’inquiétude chez tout le monde !» Deux jours après, le Père Sammour a tout de même pris la route, en compagnie de deux religieuses. «Tout s’est bien passé, on a pu franchir les barrages de l’armée et des rebelles sans problèmes…»

Le Père Sammour confirme à l’Apic que les chrétiens syriens sont le maillon le plus faible du tissu social syrien «parce que nous n’avons pas une voix unie, un vrai leadership qui aurait été nécessaire dans les circonstances que nous vivons… Actuellement, les chrétiens syriens sont comme un troupeau sans pasteur, comme dit l’Evangile !»

Les chrétiens n’auront plus jamais le poids social d’avant la guerre

Pour le Père jésuite, les chrétiens ont désormais perdu toute possibilité de contribuer à former l’avenir de la Syrie: «On n’a plus le poids social d’avant la guerre, pour la plupart, les membres de l’intelligentsia chrétienne – intellectuels, médecins, avocats, etc. – ont quitté le pays». Ils se sont réfugiés au Liban, ou plus loin en Europe, aux Etats-Unis ou au Canada. «Pour le moment, les gens sont ciblés pour leurs prises de position politique, pour avoir pris parti, pas pour leur appartenance religieuse».

Même si les chrétiens de Syrie ne sont pas visés comme tels et que leur situation n’est pas comparable à celle des chrétiens irakiens, il n’est pas certain que ceux qui sont partis reviendront. Car dans ce pays ravagé par la guerre, les divisions prennent de plus en plus une tournure communautaire. Malgré tout, confie à l’Apic le Père Sammour, «au-delà du désespoir face à ce cercle vicieux de la violence qui se perpétue depuis deux ans, je refuse de dire que tout est perdu… La réconciliation est encore possible, et nous le voyons tous les jours dans notre travail avec les déplacés, de quelque communautés qu’ils proviennent. Non, en Syrie, tout n’est pas perdu ! " JB

Encadré

Les propos du Père Dall’Oglio qualifiés de «scandaleux»

Ami personnel de son confrère Paolo Dall’Oglio, fondateur du monastère de «Mar Moussa el-Habashi» (ou Saint Moïse l’Abyssin), non loin de Damas, expulsé de Syrie en juin dernier, le Père Nawras Sammour critique vivement ses positions «radicales». Le Père jésuite italien demande à chaque occasion que des armes soient livrées à la rébellion syrienne. Pour son confrère syrien, qui vient en aide à la population sur place, cette position représente un vrai «scandale». A ses yeux, le Père Dall’Oglio a désormais perdu toute crédibilité en Syrie, car il est devenu partie prenante dans ce conflit. Comme religieux, il aurait dû jouer un rôle de pont entre les communautés, et ne pas prendre parti à ce niveau. Le Père Nawras est d’avis que le rôle des religieux ne se situe pas au plan politique, mais au niveau de la défense des valeurs chrétiennes, de la justice et de la non-violence. JB

Encadré

Le Père Nawras Sammour, un médecin dentiste d’Alep devenu jésuite

Le Père Nawras Sammour est né en 1968 à Alep, la grande métropole du nord de la Syrie, dans une famille catholique de rite byzantin. Il a fait toutes ses études à Alep et est devenu docteur en médecine dentaire en 1990. Il a pratiqué le métier de dentiste en Syrie pendant quatre ans, soit 2 ans dans un dispensaire militaire et 2 ans dans son propre cabinet, avant d’entrer en 1994 dans la Compagnie de Jésus, dans la Province du Proche-Orient.

Après avoir fait deux ans de noviciat au Caire, il a passé une année au Liban pour étudier la civilisation arabo-musulmane à l’Université jésuite Saint Joseph (USJ) de Beyrouth, suivie d’une année de langue française à l’Université d’Aix-Marseille à Aix-en-Provence. Nawras Sammour a ensuite fait quatre ans d’études en philosophie et en théologie aux Facultés Jésuites de Paris (Centre-Sèvres). Le jésuite alépin a également obtenu un master d’éthique sociale à Ottawa. JB

Encadré

Les collaborateurs du CICR sont le meilleur visage de la Suisse

A l’occasion de la Journée annuelle de l’Aide humanitaire de la Confédération, vendredi 15 mars au Kursaal de Berne, le conseiller fédéral Didier Burkhalter a remis un important cadeau à Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour le 150e anniversaire de cette institution fondée à Genève en 1863. Cette contribution financière de 18,2 millions de francs permettra au premier partenaire humanitaire de la Suisse de recruter et de former 150 délégués, la relève du CICR. Le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a rappelé que plus de 13’ 000 collaborateurs du CICR sont en mission dans quelque 80 pays. «Tous ces travailleurs humanitaires s’engagent sur le terrain, dans des conditions souvent difficiles, pour protéger les civils et pour atténuer les souffrances. Ils distribuent de l’eau et des vivres. Ils fournissent des soins de santé. Ils rendent visite à des prisonniers ou ils s’occupent de familles de disparus…»

Didier Burkhalter a souligné que ce travail demande du courage, de l’abnégation, de l’empathie et un engagement total. «Il demande d’avoir l’humanité chevillée au corps». Par leur engagement, les employés du CICR «incarnent au quotidien le meilleur visage de l’humanité». «Et parce que nombreux parmi eux sont Suisses, parce que le lien historique, bien sûr, mais aussi le lien entre la Suisse et la Croix-Rouge sont forts, si forts, que leurs drapeaux sont le complément l’un de l’autre et que leurs valeurs se recoupent, alors je peux dire que les collaborateurs du CICR sont le meilleur visage de la Suisse et le meilleur visage du monde». (apic/be)

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