Suisse romande: A l'occasion du solstice d'été, rencontre avec les druides de nos contrées

Le druidisme, une religion de la terre tournée vers le ciel

Fribourg, 17 juin 2013 (Apic) Au solstice d’été, le 21 juin, des milliers de représentants de mouvements ésotériques se réuniront comme chaque année dans des sites «sacrés» tels que Stonehenge, en Angleterre. Dans l’imaginaire collectif, ces cérémonies sont liées aux cultes druidiques. A cette occasion, l’Apic est allé à la rencontre des personnes qui se revendiquent aujourd’hui, en Suisse romande, comme les héritiers de l’ancienne religion des Celtes.

Les quatre menhirs se dressent majestueusement dans l’écrin de verdure offert par la campagne vaudoise. Au centre de la formation, la femme druide effectue quelques mouvements mystérieux, les bras étendus, comme si elle marchait sur un fil invisible. Puis, elle s’approche de l’un des rochers, y appose les mains, probablement pour en capter une force inconnue. C’est au milieu des menhirs de Corcelles-près-Concise au sud-ouest du lac de Neuchâtel, que Liza, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas mentionné, a reçu l’Apic. La directrice de l’école druidique d’Helvétie pratique souvent des rituels sur le site de pierres levées.

La rencontre avec une autre femme druide de Suisse romande, Kermailune, qui pour des raisons personnelles désire être désignée par son nom druidique, s’est déroulée plus prosaïquement dans un café lausannois. Quel que fut l’endroit, la discussion a permis de corriger certains clichés autour des pratiques contemporaines de la spiritualité des anciens Celtes.

Au delà de Panoramix

Ni Panoramix, ni Gandalf, ni Merlin l’enchanteur…Les deux femmes druides expliquent que leur religion- car pour elles il s’agit bien de cela- va au-delà des images développées par la culture contemporaine. Et elles n’iront pas à Stonehenge pour le solstice d’été. Liza, la directrice de l’école basée à Neuchâtel, explique que le site est surtout intéressant «au niveau archéologique». En ce qui concerne la pratique des rituels, l’ensemble de pierres levées serait un peu «cassé» sur le plan énergétique. Elle n’y est d’ailleurs allée que deux fois, en touriste.

Kermailune, druide de la «clairière Helvetia» habitant Lausanne, n’est même jamais allée dans ce haut lieu de l’ésotérisme. Elle relève que l’aspect extrêmement touristique du site y rendrait la pratique de rituels très difficile. Même si le site a certainement été «utilisé» par les druides, il a été construit avant l’arrivée des Celtes en Grande-Bretagne, souligne-t-elle.

Héritiers d’une tradition millénaire

Car la manifestation contemporaine du druidisme entend être tout à fait autre chose qu’un ensemble de pratiques «folkloriques», sorties tout droit des films, des livres ou des bandes-dessinées. Les principaux druides de Suisse romande, que sont Liza et Kermailune, se considèrent en effet comme les héritiers des druides de l’antiquité, dont le savoir millénaire se serait transmis de façon orale jusqu’à nos jours. C’est pour cette raison que les tenants de cette spiritualité rejettent le terme de «néo-druidisme» qui leur est parfois appliqué. Mais la filiation avec les druides antiques est avant tout spirituelle, affirme Kermailune. «Nous avons l’archéologie et d’autres éléments qui nous donnent une indication sur ce que faisaient les druides. Ensuite, il y a une réflexion constante sur ce que l’on fait ou ne fait pas: sommes-nous dans la façon de penser et de pratiquer des anciens druides? Il y a eu une certaine transmission, mais pas forcément au travers ‘d’initiés’. Je ne vois pas quelque chose de semblable à une succession apostolique chez les catholiques.»

Une religion du mouvement

Une filiation directe, comme revendiquée par les deux femmes druides romandes, est improuvable. Mais, comme dans toutes les religions, l’adhésion à un ensemble de croyances particulières relève de la foi et des attentes personnelles. Ces attentes, les deux druides rencontrées par l’Apic ne les ont pas retrouvées dans la religion chrétienne. Liza est issue d’un milieu catholique et Kermailune d’une famille protestante. La Lausannoise évoque principalement le besoin de «quelque chose d’enraciné ici», soulignant l’apport conséquent des Celtes, une peuplade indo-européenne, à la culture suisse et occidentale. Liza se dit, elle, «tombée dans la marmite du druidisme». Depuis toute petite, elle est fascinée par les rivières, les sources, les forces de la nature. Elle a ainsi toujours recherché une spiritualité pouvant la rapprocher de ces éléments.

Les deux femmes druides ont aussi été attirées par la «liberté» présente dans le druidisme. Cette spiritualité se veut en effet profondément non figée. Le druidisme est une religion «du mouvement», non dogmatique, ouverte aux apports des autres pratiques et philosophies.»Chaque druide est appelé à amener sa pierre à l’édifice», relève Liza. Selon son propre aveu, même si les principes de l’enseignement seraient restés les mêmes depuis l’antiquité, les rituels ont évolué à travers les siècles avec les hommes qui les ont pratiqués.

Astres et ancêtres

Même si les choses se passent différemment suivant la tradition à laquelle les adeptes du druidisme sont rattachés, la religion comporte un certain nombre de constantes. Il s’agit principalement d’un culte aux forces de la nature. Les rituels se pratiquent ainsi dans des endroits ouverts considérés comme «spéciaux», souvent d’anciens lieux de cérémonie celtiques. Le culte des ancêtres y est aussi important. Selon Liza, le but ultime du druide est d’atteindre «la conscience, l’amour et l’énergie absolus».

A l’école druidique d’Helvétie, les élèves travaillent sur les trois éléments que sont les arbres, l’eau et les pierres. La druide leur enseigne principalement comment «se connecter» à ces éléments, notamment par les mains et à travers la lecture de textes initiatiques dans la nature. Mais comment se passe concrètement un enseignement ou une cérémonie, «il faut le vivre pour le comprendre, c’est impossible à expliquer», souligne Liza. Les mouvements astraux, principalement les solstices et les équinoxes ont une importance particulière dans leur ritualité. La directrice de l’école explique que ce sont des moments où les «énergies sont plus fortes», l’enseignement des ses élèves en serait facilité.

Les rituels druidiques se pratiquent toujours en cercle. Kermailune explique que dans son groupe, le cercle de participants est consacré avec l’eau et le feu avant de faire appel aux forces des quatre points cardinaux.

Ce que l’on trouve dans la marmite du druidisme

Comme les Celtes vénéraient plusieurs dieux, les adeptes du druidisme se considèrent souvent comme polythéistes. C’est le cas de Kermailune. Mais Liza se prétend plutôt partisane du monisme, une doctrine qui considère l’univers, le cosmos, le monde, comme un tout unique, constitué d’une seule substance. Il est vrai qu’en l’absence d’une base théologique commune, les membres du mouvement druidique peuvent avoir des conceptions et des principes très divers. «Nous sommes quand même arrivés à une base commune, souligne Kermailune, même si des différences subsistent. Comme il peut également y en avoir entre les différents mouvements et groupes dans le catholicisme». Le respect de la nature et de l’autre est un des principes au coeur de la philosophie druidique, mais son application dépend largement du libre arbitre des druides eux-mêmes. Les groupes se positionnent ainsi de façon variée par rapport aux pratiques et croyances de leurs adhérents. Kermailune, même si elle n’exclut a priori personne, doute qu’un tenant du monothéisme se sente très à l’aise dans sa ‘clairière’, du fait que les rites pratiqués font clairement référence au polythéisme inhérent à la religion celtique. La directrice de l’école druidique d’Helvétie assure ne pas tenir compte de la philosophie ou religion des personnes qui s’y présentent. «Celui ou celle qui vient prendre des cours de druidisme, est là pour le druidisme, explique-t-elle». Les croyances intimes des participants ne sont pas évoquées. Si les deux druides sont par ailleurs ouvertes aux pratiques et techniques amenées parfois par les adeptes, elles admettent qu’elles doivent parfois faire un certain tri, afin de ne pas tomber dans une dangereuse dispersion.

Bien sûr, les Celtes n’ayant laissé aucun écrit, ce que l’on sait de leur culture provient des textes d’autres peuples qui les ont côtoyés- principalement les Romains et les Grecs- et des travaux archéologiques. Les rituels pratiqués sont donc en grande partie reconstitués à partir de ces connaissances.

Un mouvement très diversifié

Il existe un certain nombre de «traditions», de filières d’enseignement druidique diverses de par le monde. S’il n’y a pas d’organisation faîtière, il y a un réseau de reconnaissance mutuelle entre les principaux groupes. Même si la résurgence moderne de la religion date du début du XVIIIe siècle, les mouvements ont connu un essor particulier dans le cadre du courant d’exaltation mystique des années 1970. Aujourd’hui, les responsables des deux principaux groupes druidiques de Suisse romande ne savent pas exactement comment se porte leur mouvement, même s’il est «à la mode», comme le relève Liza.

Les adeptes du druidisme seraient quelques deux millions dans le monde, dont un millier en France. Ils seraient pourtant moins d’une cinquantaine en Romandie. De toute façon, le druidisme se veut non prosélyte et le nombre de ses adeptes ne constitue pas sa priorité. Comme le chêne, leur arbre sacré, les adeptes de cette religion entendent «pousser» à leur rythme, les racines dans la terre et la tête dans les étoiles.

Encadré 1

Le «Néo-druidisme»

Les premiers mouvements dits «néo-druidiques» sont apparus en Angleterre au XVIIIe siècle. Ils sont issus des œuvres de John Toland pour la lignée du «Druid Order», de Henry Hurle pour la lignée mutualiste et de Iolo Morganwg pour la lignée galloise. Les écrits de ces fondateurs, auxquels il faut ajouter ceux de William Ab Ithel, avec les «Barddas», en 1862 forment le principal corpus de textes de référence pour les druides contemporains. La théologie qui y est développée, même si elle est censée puiser aux sources de la tradition druidique antique, est fortement mâtinée d’éléments folkloriques, bouddhistes et chrétiens.

Des groupes druidiques francophones ont également établi un genre de «charte œcuménique» (le Comarlia Druuidiactonon Ialon Marateresos) qui expose les principes de leur mouvement. Le texte confirme en particulier que le druidisme se considère comme une «tradition actuelle, dynamique et ouverte», affirmant son attachement «au respect dans toutes ses formes». Le document appelle également ses adeptes à «créer des ponts avec les autres religions de la Terre…en incitant chacun à œuvrer pour le Vrai, le Beau et le Juste».

Malgré le scepticisme des druides helvétiques à propos de Stonehenge, un certain nombre de groupes druidiques pratiquent effectivement des cérémonies sur le site, notamment lors du solstice d’été. C’est le cas du «Druid Order».

Encadré 2

Les anciens druides

Les druides étaient des figures très importantes de la société celtique de l’antiquité. Ils étaient à la fois ministres du culte, théologiens, philosophes, juristes ou encore conseillers militaires. Ils constituaient en premier lieu l’intermédiaire entre les dieux et les hommes.

Trois types de sources sont à l’origine de ce que l’on sait sur eux: les témoignages romains et grecs et la consignation, par des clercs, de traditions orales au Moyen Âge en Irlande. Pour la première catégorie, il faut citer notamment les auteurs tels que Diodore de Sicile, Strabon, Pline l’Ancien, et surtout Jules César qui, avec ses «Commentaires sur la Guerre des Gaules» a transmis de nombreuses informations sur la société et la religion gauloises. Des auteurs grecs, tels que Plutarque, Pythagore ou Posidonius d’Apamée ont également laissé des témoignages intéressants sur les druides. Grâce à Strabon, on sait notamment que chez tous les peuples gaulois se retrouvaient trois classes d’hommes faisant l’objet d’honneurs extraordinaires, à savoir les bardes, les ovates et les druides. Les bardes étaient les chantres sacrés, les ovates des devins qui présidaient aux sacrifices et interrogeaient la nature. Les druides étaient ceux qui professaient la philosophie morale. (apic/arch/rz)

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