APIC-Interview
catholique du 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique
Les explications de Mgr Castrillon Hoyos, président du CELAM
La récente « mise sous tutelle » par le Vatican de la Confédération latinoaméricaine des religieux (CLAR), une organisation qui affirme représenter
près de 150’000 religieuses et religieux catholiques en Amérique latine, a
suscité un grand émoi tant en Amérique latine même qu’en Europe. Dans une
interview accordée à l’agence APIC lors de son récent passage en Suisse,
Mgr Dario Castrillon Hoyos, président du CELAM, affirme que les mesures
prises par le Vatican étaient justifiées par l’attitude d’un « groupe de la
CLAR », des raisons théologiques et des visions d’Eglise distinctes.
Mgr Castrillon Hoyos, évêque de Pereira (Colombie), justifie également
la position officielle de l’Eglise catholique concernant les festivités du
500e anniversaire de la découverte de l’Amérique en 1992, un thème controversé qui a amené certains mouvements indigénistes à décréter une « campagne
continentale de 500 ans de résistance indigène et populaire ». A ce propos,
le secrétaire général du CELAM, Mgr Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, évêque auxiliaire de Tegucigalpa (Honduras) est également intervenu pour souligner qu’il n’y aura pas à proprement parler de grandes « festivités » en
1992 à Saint-Domingue, mais une célébration de la foi que l’Amérique latine
a reçue des missionnaires.
APIC:Pour l’assemblée générale de la CLAR à Mexico, du 19 au 28 février,
le pape a nommé un évêque comme délégué personnel et modifié les modalités
statutaires d’élection des cinq membres de la présidence de la CLAR. Dans
une lettre du 23 janvier dernier au P. Luis Coscia, président de la CLAR,
le cardinal Hamer, préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée, demande que le délégué du pape pour « accompagner la CLAR durant
l’assemblée générale de Mexico et dans ses activités à venir » soit accueilli « en esprit de filiale docilité au Souverain Pontife ».
MgrCastrillonHoyos:Il s’agit effectivement dans ce cas de la suspension
des procédures statutaires normales. Mais il y avait des difficultés avec
quelques membres de la CLAR et certaines Conférences épiscopales d’Amérique
latine pour des raisons théologiques et des visions d’Eglise divergentes.
Le point déterminant est que certains responsables de la CLAR présentent
l’épiscopat comme lié au pouvoir, sans intérêt pour les pauvres et désireux
d’exercer du pouvoir sur les religieux. Nous, les évêques, avons une autre
manière de penser. Le problème, ce n’est pas l’engagement en faveur des
pauvres : nous voulons que toute l’Eglise s’engage dans cette direction,
mais nous n’acceptons pas que l’on adopte le système de la lutte des classes et l’analyse marxiste pour combattre la pauvreté.
Une herméneutique « inacceptable »
Nous n’acceptons pas non plus de réduire toute l’oeuvre de l’Eglise à la
dénonciation, à la lutte contre l’injustice et au travail avec les pauvres,
bien que nous considérions ce dernier comme prioritaire. Nous savons bien
cependant que la pauvreté est causée dans la plupart des cas par l’injustice et l’oppression. Mais le problème théologique fondamental avec la CLAR
vient d’une clef d’interprétation inacceptable, de l’herméneutique utilisée
par un groupe de la CLAR.
Si la présidence de la CLAR fait un programme sur la Parole de Dieu, et
qu’une Conférence épiscopale n’est pas d’accord parce qu’elle estime que ce
n’est pas la méthode catholique – la tradition n’est pas nommée, ni le Nouveau Testament, ni le magistère – le Saint-Siège doit étudier cette situation. Et après le Vatican consulte le CELAM. C’est ainsi que nous avons
pour la première fois pris connaissance du problème posé par le projet « Palabra y Vida » (Parole et Vie). Ce qui est en cause, ce n’est pas l’ensemble
du programme de la CLAR, mais seulement la brochure intitulée « Projet Parole et Vie ».
La CLAR a promis en avril 1989, dans un accord signé à Bogota entre le
président du CELAM et le P. Luis Coscia, président de la CLAR, en présence
de Mgr Vincenzo Fagiolo, secrétaire de la Congrégation pour les instituts
de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, de retirer la brochure, mais elle ne l’a pas fait.
Une interprétation de la Parole de Dieu « sans la tradition ni le magistère »
Le fait que la Parole de Dieu se médite avec les pauvres n’est pas le
problème, ni que l’on recherche la lumière dans la Parole de Dieu à partir
de la situation des pauvres. Le problème vient d’une interprétation de la
Parole sans la tradition et sans le magistère. Ce sont différentes Conférences épiscopales – nous ne savons pas combien ni lesquelles, parce qu’elles se sont la plupart du temps adressées directement à Rome – qui se sont
plaintes. La première dénonciation est venue d’Amérique centrale, de San
Salvador pour être précis, mais il y a eu l’Argentine, le Mexique, la Colombie, etc. Quant à la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB),
elle n’est pas intervenue au sommet, mais il y a eu des dénonciations
d’évêques individuels.
APIC:Pouvez-vous parler un peu plus en détail des problèmes doctrinaux
posés par la CLAR ?
MgrCastrillonHoyos:Vous ne pouvez pas juger à partir d’une phrase hors
du contexte. Mais quand les problèmes de doctrine s’accumulent après chaque
réunion… Prenons le dernier document qui parle de la spiritualité des
conflits : je peux dire que je suis en conflit avec l’injustice, et si je
ne l’étais pas, je ne serais pas un évêque catholique! Mais ce qui est signifié, ce n’est pas cela, c’est le conflit en lui-même, à partir de l’analyse marxiste. Pourquoi ? Parce que je peux prouver qu’en Amérique latine,
les personnes qui sont engagées dans ce projet sont les mêmes qui pensent
que l’unique modèle valable pour l’Amérique latine, c’est Cuba et le Nicaragua.
Ce n’est pas seulement alors une question politique, mais la politique
est dans ce cas fortement rattachée à l’idéologie ! Je ne comprends pas
qu’en Allemagne ou en Suisse des gens soutiennent de tels projets, alors
que l’on rejette ce qui se passait en Europe de l’Est : ces personnes sont
favorables à ces projets parce que cela ne les touche pas ! Mais quand je
vois mourir mes paysans, quand je vois leurs corps mutilés, alors la violence pour moi…
Les racines de la violence en Amérique latine
APIC:Mais finalement, qui est responsable de toute cette violence en Amérique latine ?
MgrCastrillonHoyos:Je ne suis pas naïf, j’ai 60 ans. Quand on a vécu la
violence pendant 30 ans, on n’est pas naïf. Je connais le discours sur la
violence structurelle, sur la violence des institutions, de l’Etat, de
l’armée…
APIC:Pour prendre un exemple : qui a tué à votre avis les six jésuites de
l’Université catholique centro-américaine (UCA) à San Salvador ?
MgrCastrillonHoyos:Je crois que c’est une « joint-venture » de deux violences… J’ai été dans la montagne où est la guérilla, j’ai été dans les
prisons en Colombie pour obtenir la libération de guérilleros torturés, je
connais bien. (…) Mais si l’on m’invite à dire « vive les martyrs »…
APIC:Vous pensez donc que ceux qui ont organisé des veillées funèbres
pour Ignacio Ellacuria et les autres jésuites de l’UCA se sont trompés ?
MgrCastrillonHoyos:Au moins partiellement. Je ne veux cependant pas insulter les jésuites, mais personne ne peut comprendre s’il ne connaît pas
tous les éléments. C’est très difficile.
(…)Si je trouve dans mon diocèse un prêtre, diocésain ou religieux,
engagé avec les pauvres, qui est pauvre lui-même, est-ce que je peux dire
quelque chose contre lui ? Mais si je trouve que le bon Père a le manifeste
du Parti et en fait la distribution… Aujourd’hui, c’est facile, avec la
perestroïka, de juger. Mais il y a trois ans, ce n’était pas facile, quand
c’était encore un espoir pour nombre de personnes. Le marxisme était déjà
fini en Europe, mais pas chez nous.
APIC:Vous affirmez que des prêtres distribuent le manifeste du Parti communiste à la sortie de l’Eglise ? Dans quel pays ?
MgrCastrillonHoyos:Oui. Mais je ne peux pas tout dire. Nous étions ensemble dans une réunion d’évêques à Rio de Janeiro. On a posé la question
aux évêques présents : qu’est-ce que vous pensez des communautés de base ?
Je suis pour les communautés ecclésiales de base où l’on connaît la réalité, où on fait la prophétie contre l’injustice, c’est parfait. Un évêque a
dit : ah non, chez nous, il n’y a pas de problèmes avec les communautés de
base. Un évêque du même pays a dit : oui, Monseigneur a raison, pas de problèmes dans mon pays, et il a donné une brochure affirmant que l’unique manière aujourd’hui d’être chrétien est d’être marxiste et que l’on ne peut
pas être marxiste sans appartenir au Parti !
APIC:Quel parti ?
MgrCastrillonHoyos:Quand on parle de marxisme et que l’on dit le Parti,
il n’y en a qu’un, pas deux, et ce n’est pas le parti de Bush ! Alors, cet
évêque brésilien a dit : pas de problème chez nous, la brochure porte l’approbation épiscopale. Comme cela, il n’y a pas de problèmes ! (…) C’est
pour cela que le Saint-Siège a suspendu les statuts de la CLAR.
500 ans d’évangélisation de l’Amérique
« Je suis fils d’Indiens et d’Espagnols »
APIC:De nombreuses voix se font entendre en Amérique latine et en Europe
pour critiquer les festivités du 5e centenaire de la « découverte »de l’Amérique, considérée comme le commencement de la fin des nations indigènes qui
peuplaient ce continent, des nations indiennes aujourd’hui marginalisées
culturellement et socialement et pour certaines menacées même d’extermination. Qu’en pense l’Eglise ?
MgrCastrillonHoyos:Personnellement, je suis fils d’Indiens et fils
d’Espagnols. Ma famille est arrivée en Colombie en 1580 et de ce point de
vue, je suis aussi Indien. Premièrement, on ne peut juger le XVe siècle
avec les catégories du XXe siècle, ce n’est pas raisonnable. Comment l’Europe a-t-elle été formée ? Quand des tribus arrivaient dans un endroit où
habitaient d’autres personnes, qu’en faisaient-elles ? Qui était le
seigneur ? Y avait-il esclavage ou non dans l’Europe de ce moment-là ? Qu’a
fait Charlemagne avec les Saxons ? Qu’ont fait les Anglais avec les Normands et les Allemands en Afrique ? On doit faire la critique selon le moment de l’histoire où les événements se sont déroulés.
APIC:Il y a pourtant quelqu’un qui a fait cette critique à l’époque,
c’est le dominicain Bartolomeo de Las Casas !
Mgr-Castrillon-Hoyos:Vous croyez cela ? Vous êtes sûrs de ce que vous
avez lu ? Vous avez seulement lu la « Très brève relation de la destruction
des Indes », alors vous ne connaissez pas Las Casas. Qui n’aime pas Las Casas ? Mais il faut le placer objectivement, pas avec le coeur, contre ou
pour l’Espagne, mais avec la raison.
APIC:Quels sont les points forts du CELAM pour ce 5e centenaire ?
MgrMaradiaga:Ce qui nous intéresse avant tout pour ce 5e centenaire,
c’est l’évangélisation du continent. Le programme actuel le plus important
du CELAM est la 4e Assemblée générale des évêques en octobre ou novembre
1992, selon la disponibilité du pape Jean Paul II qui y participera. Cela
signifie pour nous, comme le pape l’avait dit en Haïti, regarder le passé
pour en tirer les enseignements et voir les erreurs que nous avons peutêtre alors commises, et regarder le futur : le défi de l’évangélisation à
la veille du troisième millénaire.
Il est nécessaire de donner une nouvelle impulsion pour le travail
d’évangélisation en Amérique latine; c’est la raison pour laquelle les évêques latino-américains ont demandé au Saint-Père de convoquer cette 4e Assemblée générale de l’épiscopat. Le principal sujet a déjà été défini : il
s’agit de la nouvelle évangélisation, de la promotion humaine et de la culture chrétienne. Elle sera dans la même ligne que Medellin et Puebla, pour
répondre à tous les défis du XXIe siècle.
APIC:On annonce des commémorations alternatives aux festivités officielles et les organisations indigénistes sont très critiques.
MgrMaradiaga:On fait beaucoup de bruit au sujet de « festivités ». Nous ne
faisons en aucune manière des « grandes festivités », mais peut-être une
grande eucharistie. On y demandera certainement pardon pour les fautes et
les péchés. Ce sera une célébration de la foi, car nous sommes reconnaissants d’avoir la foi, parce que nous avons reçu le Christ des missionnaires, non seulement espagnols, mais également, dès le début, flamands, italiens, etc.
Le fait que des organisations d’Indiens – payées par la Norvège et la
Suède – organisent des commémorations alternatives et critiquent, ne signifie pas encore qu’il s’agit de l’ensemble des Indiens d’Amérique. Au début
de mars, le CELAM aura une rencontre avec les chefs des organisations indigènes. Mais le programme a déjà été élaboré avec la collaboration de purs
Indiens au Mexique, au Pérou, en Equateur, en Bolivie et en Colombie. Les
résultats sont surprenants et il n’y pas cette haine et ce ressentiment envers les missionnaires que l’on prétend. Ainsi, un chef indien a déclaré à
Mgr Castrillon en riant : « Ecoutez, mes ancêtres adoraient le soleil, comment ont-ils pu faire cela ? ». Ce qu’affirment les mouvements indigénistes
n’est pas toute la vérité ! On essaye de faire de ces organisations des
« groupes de choc » pour occuper des terres, comme récemment en Equateur.
C’est très facile d’agiter les Indiens, et quand on leur tire dessus, les
agitateurs se cachent. (apic/be)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse