« Quand certains discours alimentent le défaitisme »
Paris, 22février(APIC) « Autrefois, les Eglises affirmaient sans hésiter
que la guerre était juste et que Dieu était avec les combattants. Si le
protestantisme a toujours été traversé par un courant pacifiste qui justifiait l’objection de conscience, l’Eglise catholique a beaucoup tardé à en
faire autant. C’est donc « la première fois que, dans l’Eglise, on constate
une telle réserve à l’égard du recours à la guerre ».
Le propos est de René Rémond, un spécialiste d’histoire contemporaine,
auquel le quotidien catholique « La Croix » donne la parole dans son édition
du 21 février, après l’avoir donnée à des théologiens, des moralistes et
des militaires pour nourrir une réflexion éthique sur la guerre.
Pour l’historien français, on est probablement en train d’assister à un
« effet retardé ». Si aujourd’hui l’Eglise catholique se montre surtout sensible au sort des victimes, explique-t-on, c’est parce qu’ »on se définit
souvent en réaction contre les errements antérieurs, parce que les chrétiens réalisent qu’ils se sont trop souvent engagés dans des conflits dont
les motifs n’étaient pas toujours légitimes ». Entrent en jeu également des
interrogations sur les conséquences d’un recours à des moyens technologiques nouveaux. « On assiste donc, affirme R. Rémond, à une réactualisation
du débat ancien sur la guerre juste. Dans la mesure où les combats provoquent des maux plus grands que l’injustice à laquelle on voulait mettre
fin, on s’interroge sur la légitimité de la guerre ».
Le paradoxe de la guerre du Golfe
Et dans le cas de la guerre du Golfe? « Ce conflit, c’est un paradoxe,
est celui que l’on pourrait le plus justifier au niveau du droit, observe
l’historien. Au lendemain de la première guerre mondiale, Pie XI appelait
de ses voeux une organisation internationale qui condamnerait les agressions et ferait respecter l’ordre. Or, nous nous trouvons dans ce cas de
figure: la communauté internationale qualifie l’agression, la dénonce et
décide de la sanctionner. De toutes les guerres, c’est celle qui correspond
le plus à une opération de police intervenant quand il y a un acte de brigandage. Dans les guerres précédentes, au contraire, aucune autorité internationale ne s’était prononcées et les Etats se faisaient justice eux-mêmes ».
La guerre, un mal suprême?
Aux yeux de René Rémond, le langage actuel des chrétiens « pèche par une
certaine insuffisance quand il prend seulement en compte les souffrances
des victimes ». Pour lui, le débat doit aller plus loin. Il s’en explique:
« La guerre est un mal, c’est incontestable. Et autrefois, les chrétiens la
justifiaient trop facilement. Mais peut-on dire que la guerre soit le mal
suprème? Je crois que l’on assiste à un glissement pour faire de la vie un
absolu et, curieusement, une partie des chrétiens rejoint ceux pour qui aucune cause, même la plus juste, ne justifie qu’on lui sacrifie sa vie ».
Or, dit-il, cette attitude contredit la tradition chrétienne. Jésus luimême affirmait qu’ »il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ceux que l’on aime ». C’est dire que la vie de chacun est subordonnée à
la vie d’autrui. « D’ailleurs, les martyrs ont toujours estimé que leur vie
avait moins de valeur que la cause pour laquelle ils témoignaient. Ces considérations ne justifient pas la guerre, mais il ne faudrait pas que celleci soit condamnée du seul fait qu’elle entraîne mort d’hommes ».
Les limites de la non-violence
L’historien ajoute quelques considérations sur les attitudes qui s’inspirent de la démarche non-violente. « Le ’Tu ne tueras point’, fait-il valoir, s’applique avant tout aux relations interindividuelles, mais au niveau collectif, la non-violence a des limites, en particulier quand la liberté d’un peuple et la vie des autres sont menacées. On est libre d’être
non-violent dans sa vie personnelle, c’est une question de conscience, mais
on n’a pas le droit de pratiquer la non-violence si cela revient à se désintéresser de ce qui arrive aux autres ».
René Rémond ne nie pas pour autant que la non-violence soit efficace à
l’intérieur d’une société, comme l’ont prouvé, dans les démocraties populaires, les dissidents non violents qui ont largement contribué à miner le
totalitarisme. « Mais, ajoute-t-il, je ne connais pas d’exemple où la nonviolence ait été efficace dans les relations entre les Etats. Je pense donc
que le pacifisme inconditionnel n’est ni réaliste ni moral, car il revient
à accepter le triomphe du mal. Or, il n’est pas possible pour un homme,
pour une démocratie et pour un chrétien de consentir à ce que le mal jouisse de l’impunité. Aussi les discours de certains chrétiens me paraissentils alimenter le pacifisme et le défaitisme ». (apic/cip/pr)
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