Le coordinateur de la «Corporation Clarétine Norman Pérez Bello» est l'invité d'E-Changer

Colombie: Le cri de Jaime Absalon Leon: « Nous sommes fatigués de la violence! »

Fribourg, 20 février 2014 (Apic) Alors que les négociations de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont en cours à La Havane depuis fin 2012, sur le terrain, de violents affrontements se poursuivent. « Nous sommes fatigués de toute cette violence. S’il n’y a pas la paix à moyen terme, je quitterai la Colombie. Je ne veux pas que mes enfants partent un jour à la guerre! », déclare à l’Apic Jaime Absalon Leon Sepulveda, de passage à Fribourg.

Membre du Mouvement national des victimes de crimes d’Etat (MOVICE), fondateur et coordinateur de la « Corporation Clarétine Norman Pérez Bello » (*), Jaime Absalon Leon est pour quelques jours en Suisse à l’invitation d’E-Changer, l’organisation de coopération solidaire Nord-Sud basée à Fribourg.

« La population aspire à la paix, la société civile milite pour la fin du conflit qui ensanglante le pays depuis des décennies. Nous soutenons le dialogue de paix entre les parties armées qui se tient à Cuba », souligne-t-il. « Mais sur le terrain, on ne voit pas beaucoup d’améliorations, les paramilitaires, qu’on appelle aujourd’hui Bandes criminelles (BACRIM), sèment toujours la terreur. Tandis que ses représentants négocient à La Havane, le président colombien Juan Manuel Santos a donné l’ordre de poursuivre la ‘liquidation’ des membres de la guérilla… », lâche le jeune défenseur des droits humains.

Après des études de philosophie et de lettres à l’Université nationale de Colombie, ce père de deux jeunes enfants, fils de paysan des montagnes du département de Cundinamarca, à quelques heures de route de Bogota, bénéficie actuellement d’une bourse de l’Union européenne dans le cadre de la promotion de la paix en Colombie. Il étudie à distance pour obtenir un master en droit international et humanitaire, et en coopération internationale et développement durable, auprès de l’Université nationale à Madrid.

Apic: La « Corporation Clarétine NPB » collabore avec l’ONG suisse E-Changer depuis 2010…

Jaime A. Leon: C’est en effet depuis l’année 2010 que nous avons une convention avec l’ONG E-Changer, qui finance le travail de deux coopérants suisses. Jusqu’en 2013, un couple de volontaires a travaillé avec nous dans cette collaboration Nord-Sud: Bibiane Cattin, une assistante sociale et intervenante de rue, et Xavier Allart, un ingénieur, intervenant en action communautaire. Ils étaient engagés dans le secteur des droits humains et de la défense des femmes.

Depuis, nous accueillons une autre Suissesse, Françoise Gay, qui a une formation d’infirmière. Elle a intégré cette structure pour renforcer les méthodes d’accompagnement en médecine alternative. 7 employés salariés, 5 religieux clarétins et 23 étudiants universitaires volontaires sont engagés dans le mouvement, qui a ses bureaux dans la curie provinciale des Clarétins à Bogota.

Apic: En quoi consiste le travail de la « Corporation Clarétine » ?

Jaime A. Leon: Notre centre accompagne les victimes de la violence et les communautés indigènes menacées. Nous aidons au plan psychosocial des familles déplacées suite au conflit armé. Nous accueillons dans nos locaux protégés des leaders paysans, des femmes qui militent au plan social ou politique. La « Corporation Clarétine » propose un soutien psycho-social aux familles expulsées de leurs terres afin qu’elles puissent récupérer un équilibre de vie.

L’an dernier, notre maison d’accueil a abrité une cinquantaine de nouveaux cas de personnes menacées de mort pour leur engagement. 80% sont des femmes. Deux familles de responsables paysans participant à notre programme ont été menacées de mort et ont dû se réfugier à l’étranger, l’une en Espagne, l’autre en Argentine. Une femme a dû partir parce qu’elle avait dénoncé la pose, par l’armée gouvernementale, de mines antipersonnelles. La présence de volontaires venant de Suisse est pour nous importante. Ils sont pour nous une protection, car en Colombie, on respecte davantage les étrangers que les nationaux.

Apic: Le gouvernement colombien a ratifié, en 2011, une loi sur la restitution des terres, la Loi 1448. Qu’en est-il sur le terrain ?

Jaime A. Leon: Grâce à cette législation, nous avons des mécanismes juridiques qui devraient permettre de régler les différends fonciers entre anciens et nouveaux propriétaires. Cette loi vise aussi à prévenir l’accaparement illégal de terres.

Officiellement, il y a en Colombie quelque 4 millions de réfugiés internes et de déplacés qui ont fui les combats ou les exactions des groupes armés, que ce soient les paramilitaires alliés aux forces gouvernementales, les narcotrafiquants ou la guérilla. Si l’on en croit le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), ils seraient plus de 5,2 millions à la fin 2013, et près de 6 millions selon la Pastorale sociale nationale de l’Eglise colombienne. Ces dernières décennies, selon les sources, ce sont 6 à 10 millions d’hectares de terres dont les paysans colombiens ont été privés par la force.

Ces terres ont été accaparées par des groupes paramilitaires, des entreprises d’agrobusiness actives dans l’exploitation de l’huile de palme destinée à la production de carburants (biodiesel) ou dans l’exploitation minière. Il se développe dans le pays un gigantesque projet de monoculture de palmiers à huile, soutenu par l’ancien président Alvaro Uribe, avec l’appui des Etats-Unis. Il est également mené de concert avec les groupes paramilitaires, engagés dans le pillage et le vol des terres.

Apic: On avait pourtant cru qu’avec la loi 975 de 2005, appelée «Ley de Justicia y Paz», les paramilitaires qui choisissaient de déposer les armes, avouaient leurs crimes et restituaient les biens confisqués par la violence, cesseraient leurs activités.

Jaime A. Leon: Le pacte des paramilitaires avec le président d’alors Alvaro Uribe s’est vite révélé une pure propagande. Quand ils ont commencé à révéler une toute petite part de vérité sur les atrocités de masse qu’ils avaient commises, les chefs des paramilitaires ont été extradés vers les Etats-Unis en 2005, 2006 et 2007. Dire la vérité était une des conditions requises pour l’amnistie.

Le scandale dit de la « parapolitique » a révélé les relations entre des membres de la classe politique ainsi que certains secteurs économiques et les tueurs des groupes paramilitaires d’extrême droite.

Plus du tiers des parlementaires colombiens élus en 2006 ont été mis en examen ou jetés en prison en raison de complicité avec les paramilitaires des « Autodéfenses unies de Colombie » (AUC), liés aux narcotrafiquants. Imaginez le niveau de corruption dans le pays!

Apic: La presse internationale parle peu de la violence faite aux paysans, aux populations indigènes et aux Afro-Colombiens, qui a forcé plus de cinq millions d’entre eux à quitter leurs terres…

Jaime A. Leon: La violence des paramilitaires, notamment, n’a pas cessé, et ces hommes armés tentent d’empêcher le retour sur leurs terres des familles déplacées. Ainsi, par exemple, le 15 janvier dernier, Benjamin Sanchez, un paysan d’El Carpintero, dans le département du Meta, au centre de la Colombie, a été pris pour cible par un homme masqué qui lui a tiré dessus. Benjamin Sanchez dirigeait un processus de restitution de terres en faveur des personnes déplacées de force d’El Carpintero suite à l’action de groupes paramilitaires. L’agresseur l’a appelé par son nom et s’est mis à tirer, mais le leader paysan a pu s’échapper. Il avait reçu des menaces explicites en octobre dernier, parce que son mouvement voulait reprendre les terres volées, et ce en vertu de la Loi relative aux victimes et à la restitution de terres.

Amnesty International signale aussi que plusieurs autres familles ont été menacées en raison de leur action en faveur de la restitution de terres. Le 10 juillet 2012, Edwin Alcides Duran Pena, fils d’un dirigeant de la communauté, a été tué. Des paramilitaires et des entreprises agroalimentaires ont des intérêts économiques liés aux terres que les familles revendiquent. Ce processus de restitution est accompagné par la « Corporation Clarétine Norman Pérez Bello ».

Cette restitution des terres prévue par la loi est freinée par la corruption et les lenteurs des institutions de l’Etat, comme l’INCODER, l’Institut colombien du développement rural, qui devrait accompagner le mouvement. Les terres restituées, très souvent, sont attribuées à des personnes ou des entreprises qui ont pu corrompre des juges et des procureurs complices, ou qui ont peur de faire appliquer la loi. Beaucoup de paysans chassés ont peur de retourner sur leurs terres, en raison des menaces et des assassinats. La force publique ne protège pas les paysans qui retournent sur leurs terres. Une bonne partie du pays a été cédée à des entreprises multinationales et des compagnies pétrolières, venant notamment de Chine, du Japon, du Brésil… L’appropriation de la terre, en Colombie, est depuis longtemps un but de guerre!

(*) La « Corporation clarétine Norman Pérez Bello » porte le nom d’un jeune étudiant colombien de 24 ans qui travaillait avec les Missionnaires Clarétins (Fils du Cœur Immaculé de Marie) et qui a été assassiné par les forces de l’Etat colombien à Bogota en 1992.

encadré

La « Corporation Claretiana Norman Pérez Bello », issue de la Congrégation des Clarétins, est une organisation fondée en 2003 par un groupe de jeunes, la plupart des étudiants bénévoles. Elle est liée au Mouvement « Justice et Paix » en Colombie. Elle a pour activités l’accompagnement psychosocial des personnes et familles expulsées et/ou touchées par la violence, ainsi que la défense juridique de ces familles. Elle visite les communautés paysannes réfugiées à Bogota et anime des ateliers d’expression pour les enfants des familles déplacées (dessins, peinture, danse, théâtre) ainsi que des ateliers de confection et des espaces de rencontre pour les femmes, offrant notamment des conseils de santé, des massages, du yoga, des cours pour utiliser les ordinateurs, etc.).

Elle participe aux mouvements des familles de disparus et des familles déplacées. Elle milite avec elles pour la restitution des terres volées aux paysans lors d’actions de groupes armés, notamment de groupes paramilitaires. Elle organise, dans des lieux protégés à Bogota, l’accueil d’urgence de personnes menacées. L’association a déjà accompagné plus de 200 personnes déplacées sur de nouvelles terres. (apic/be)

Des photos de Jaime Absalon Leon Sepulveda sont disponibles auprès de l’apic au prix de 80.– la première, 60 les suivantes. (apic/be)

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