Les réfugiés continuent d’arriver par centaines
Zahlé, 2 avril 2014 (Apic) Outre son lot de tués, la guerre, qui dure depuis trois ans en Syrie, a jeté sur les routes de l’exode des millions de personnes. Chaque jour, par centaines ou par milliers, les réfugiés arrivent dans les pays voisins. Le Liban en accueille près d’un million, soit le quart de sa population. Rencontres dans la plaine de la Bekaa, au nord-est du pays, à la frontière syrienne. Au-delà du désarroi et du désespoir, les réfugiés syriens conservent une flamme de vie. ›Inch Allah’, si Dieu le veut !
A Qousseir, à l’ouest de la Syrie, Bouliès était un commerçant prospère. Il vendait des moteurs et des pompes pour l’irrigation, il avait aussi un restaurant. Et puis, il y a deux ans, des groupes armés ont attaqué la ville. « Les barbus (Bouliès ne prononce pas le mot mais fait un geste éloquent de la main) ont tout saccagé et semé le chaos. Je ne sais pas qui ils étaient. Avec les musulmans du quartier, je n’avais jamais eu aucun problème. Ils m’ont ordonné de partir parce que j’étais chrétien. Avec ma femme, mon fils et ma fille, nous avons fui, d’abord à Damas. Puis quand la menace s’est rapprochée, j’ai cherché où aller ailleurs, mais c’était la guerre partout. Alors, j’ai rejoint la région chrétienne de la Bekaa, au Liban, où je suis en sécurité. » Assis dans le salon de son petit logement de deux pièces dans la ville de Zahlé, devant sa télévision sur laquelle trônent un crucifix et un statue de la Vierge, le solide gaillard sort un smartphone de sa poche et montre la photo d’un amas de blocs de béton : les ruines de sa maison. « Ils l’ont dynamitée après notre départ ».
Les réfugiés chrétiens comme Bouliès et sa famille, beaucoup moins nombreux, provenant d’un milieu social un peu plus aisé et bénéficiant du réseau de solidarité des Eglises plus développé, ont pu trouver des logements dans les villes ou les villages.
« Mon avenir ? Je n’en sais rien. Je travaille par intermittence, je fais de petits boulots. Ma femme et mes enfants font de même. Nous essayons de nous en sortir. Mais le loyer nous coûte déjà 400 dollars américains par mois et la vie est très chère ici. Je ne reçois pas d’aide du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) auprès duquel je ne suis pas inscrit, (de peur que les listes ne soient remises au gouvernement syrien ou à d’autres ndlr). Heureusement que Caritas et d’autres ONG sont là pour nous aider. »
Son fils le rejoint. Pour lui, peu de perspectives. « En arrivant ici au Liban, il ne savait pas assez le français pour pouvoir poursuivre ses études et il est évidemment hors de question de payer une école privée. » Sa fille a eu plus de chance, elle étudie la psychologie à l’Université de Zahlé.
« Si je souhaite retourner en Syrie ? ›Inch Allah’, si Dieu le veut ! Je le remercie de m’avoir laissé la vie, d’avoir pu trouver un refuge et de quoi manger. Je ne ressens pas de haine envers les musulmans. Je suis chrétien et Dieu me surveille », relève Bouliès en jetant un regard vers le ciel. « Nous les chrétiens, nous ne sommes ni pour ni contre Bachar el Assad, mais nous sommes au milieu et attaqués de toutes parts. Pourquoi ? »
Elias, son voisin de palier, raconte une histoire semblable. Il vient lui aussi de Qousseir. Sa famille a été menacée d’être kidnappée ou tuée. « J’avais des terres avec une ferme. Tout a été détruit. » Le regard fermé, assis sur son canapé en dessous d’une reproduction de la Sainte Cène de Léonard de Vinci, Elias poursuit : « oui, j’ai de la haine pour certains de mes voisins qui n’ont rien fait pour me défendre quand j’ai été chassé, alors que je vivais en paix avec tous. » Pour lui, le problème, c’est la religion. « Les musulmans convoitaient mes terres. Au départ, il n’y avait pas de conflits, mais les responsables religieux ont excité la haine contre les chrétiens.»
Sa belle-sœur Hannan est surtout inquiète pour ses frères et leurs familles restés au pays. « Sont-ils à l’abri des bombes, des attaques et des enlèvements ? » Dans le salon, derrière elle, la télévision syrienne diffuse, en direct de Damas, la messe d’action de grâce pour la libération des douze religieuses grecques-orthodoxes enlevées quatre mois plus tôt par les islamistes du Front Al Nosra dans le village chrétien de Maaloula, au nord de Damas.
Quelques rues plus bas, dans leur logement aménagé dans le hall d’un immeuble, Souleya, Anna-Maria, Leya et Elias débordent de vie. Ce sont les quatre enfants de Maher et de Jocelyne. « C’est vrai, j’ai tout perdu, mais je veux vivre et me battre pour ma famille », explique Maher en insistant pour nous offrir un verre d’arak (le pastis local) avec des fraises et des ananas. « Près de Homs, nous avions une vie bonne et tranquille. Nos enfants fréquentaient une école évangélique. Mais dès le début du conflit, il y a trois ans, une bande a attaqué l’école et menacé les enfants. Que faire ? Je n’avais plus ni sécurité ni liberté, pour moi et ma famille. Comme Jocelyne, ma femme, est libanaise, nous avons décidé de quitter la Syrie.» « Mon vœu le plus cher est d’avoir ma famille autour de moi et de pouvoir retourner au pays. La guerre m’a tout enlevé mais pas l’amour de mes enfants. »
« Les Libanais sont généreux. Pour eux, il n’est pas question de fermer la frontière, mais comment aider quand on n’a presque plus rien ? » s’interroge, Mgr Jean Issam Darwish, archevêque gréco-catholique de Zahlé à la tête de quelque 120’000 fidèles. « Outre la nécessaire couverture de leurs besoins de base, la présence de réfugiés syriens en si grand nombre exerce une forte pression sur le prix du logement, le marché du travail et le coût des marchandises. Elle a aussi une incidence sur la criminalité et l’insécurité. La guerre a enfin fortement perturbé le commerce avec la Syrie et réduit à néant le tourisme dans la région ». Les gens qui arrivent maintenant sont à plus de 90% des musulmans sunnites parmi les plus pauvres venant des villages de la province frontalière de Homs.
Le HCR parlait, au mois de décembre 2013, de 125’000 réfugiés dans la Bekaa, mais ce chiffre est largement en dessous de la réalité du simple fait que les réfugiés continuent d’affluer chaque jour par dizaines ou par centaines.
En mars, le président libanais, Michel Sleimane, tirait la sonnette d’alarme. Pour lui l’afflux de réfugiés syriens constitue « un danger existentiel qui menace l’unité libanaise. » Il a déploré que l’effort de la communauté international « soit bien inférieur au fardeau qui pèse sur les épaules du Liban ».
Dans leurs ›Dodge charger’ noires américaines, sirène hurlante, les membres de la sécurité libanaise prennent des allures de shérifs. Ils encadrent notre convoi sur la route de la Bekaa qui conduit en Syrie. Au fil des kilomètres, les postes de contrôle de l’armée libanaise se multiplient et les véhicules se font de plus en plus rares. Après 50 kilomètres de route, nous voici dans la zone frontalière, dans la localité d’El Kaa. Au-delà des champs, la Syrie.
En cet avant-printemps, la Bekaa commence à reverdir, les arbres sortent leurs premières fleurs. De part et d’autre, les sommets encore enneigés encadrent la large plaine fertile. Le ciel charrie de gros nuages de pluie. A 1’000 mètres d’altitude, l’air reste frais. « Cet hiver, à part une tempête au début décembre, nous n’avons presque pas eu de neige, mais c’est exceptionnel. » Le long de la route, entre les gros villages cossus dominés par leurs églises et leurs mosquées, des campements s’échelonnent de plus en plus régulièrement. Dix, vingt, trente tentes disséminées ça et là dans la campagne entre labours, vignes et vergers. « Certains sont des camps de pasteurs nomades, d’autres des installations de saisonniers agricoles », nous explique-t-on comme pour minimiser la présence des réfugiés syriens.
Contrairement à d’autres pays voisins de la Syrie, le Liban, encore marqué par l’expérience des camps de réfugiés palestiniens arrivés après la création de l’Etat d’Israël, refuse d’installer formellement de grands camps de réfugiés. Dans la Bekaa, les plus grands campements qui regroupent 700 à 1’000 personnes se concentrent autour de la ville de Zahlé, le chef-lieu de la région. Ailleurs, chaque campement ne compte pas plus de 2 à 300 personnes, mais leur nombre se chiffre désormais en centaines.
En cette saison, sous les amandiers en fleurs, le campement avec ses poules, ses chèvres, ses quatre vaches, ses bouts de jardinets où germent du persil et ses enfants qui courent partout a un air champêtre presque charmant. Ce serait oublier un peu vite des conditions de vie très précaires, sans eau courante, sans chauffage, sans électricité, même si des latrines en tôle et des citernes d’eau en plastique ont été installées récemment. Ce serait surtout ne pas voir ce désarroi sans paroles sur le visage des femmes et des personnes âgées.
Une fillette de trois ans aux cheveux bouclés, vêtue d’un anorak violet se tient silencieusement au milieu de la tente. « Nous ignorons où se trouve son père. Il est parti de Syrie il y a six mois dans l’espoir d’obtenir l’asile en Suède. Depuis plus aucune nouvelle. A-t-il été tué ? Est-il prisonnier des rebelles ? A-t-il disparu en mer ? Est-il interné dans un camp quelque part ? Chaque jour je dis à la petite qu’il est au travail… », explique sa grand-mère.
« Ce que je voudrais ? C’est un bus comme le tien pour aller à l’école ! » Du haut de ses huit ans, la fillette observe avec envie le véhicule japonais, pourtant plus de premier âge, qui nous a permis de rejoindre son campement. « Une cinquantaine d’enfants syriens réfugiés dans le secteur fréquentent l’école primaire à El Kaa», explique le Père Elian Nasrallah, curé de la paroisse. Pour les transporter nous n’avons qu’une vieille camionnette qui n’est plus assurée et ne peut pas en embarquer plus de quinze à la fois. L’école n’est pas très loin, mais nous devons faire plusieurs rotations avec les retards et les risques que cela comporte.
Jusqu’au bout de ses forces, le Père Elian se démène pour les réfugiés dispersés dans une vingtaine de campements de la région ainsi que dans la bourgade chrétienne d’El Kaa. Le centre de la paroisse St-Elie est devenu le véritable quartier général de l’aide. Le Père Elian est parvenu à mobiliser de nombreux donateurs nationaux et internationaux dont ›Aide à l’Eglise en détresse’ (AED) qui a organisé le voyage. A rez-de-chaussée deux salles sont remplies de couvertures et de matelas, la première nécessité pour les arrivants. Les salles de classe, bien que vétustes et mal équipées, permettent de scolariser 250 enfants… mais 50 autres sont sur la liste d’attente. Le premier étage sent encore la peinture fraîche, il vient d’être construit et aménagé en dispensaire avec diverses salles de consultation pour les milliers de réfugiés qui s’y pressent. De l’autre côté de l’escalier, des cartons de livres estampillés UNICEF permettent d’imaginer la future bibliothèque. La salle d’informatique, où les ordinateurs ne sont pas encore fonctionnels, est envahie par les quelque 5’000 dossiers individuels de réfugiés syriens. Devant la porte, une ambulance neuve a été livrée la veille. Tout cela est bien beau, mais avec un seul problème : les réfugiés continuent toujours d’arriver… par centaines selon les semaines.
(apic/mp)
Des photos de ce reportage au Liban sont disponibles auprès de l’Apic au prix de 80.– francs la première, 60.– francs les suivantes
Soutien aux réfugiés syriens
Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une visite en Terre Sainte organisée par l’œuvre d’entraide internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED). AED soutient divers projets d’aide aux réfugiés syriens, au Liban et en Jordanie. En Suisse, vous pouvez verser vos dons avec la mention «réfugiés syriens», au CP 60-17700-3
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