Israël : Le Père David Neuhaus dirige le ›Centre Notre-Dame Femme de Valeur’ à Tel Aviv

Chez les immigrants catholiques de la périphérie

Tel Aviv, 23 avril 2014 (Apic) Un mois avant le voyage du pape François en Terre Sainte, la situation des chrétiens locaux retient l’attention des médias. Parmi eux, les migrants catholiques en Israël, venant en majorité d’Asie, occupent une place à part. Rencontre à Tel Aviv dans une communauté de la ›périphérie’, selon le terme cher au pape François.

Ouvert depuis quelques mois dans un quartier populaire de Tel Aviv, près de la gare routière, le ›Centre Notre-Dame Femme de Valeur’ est devenu un point de ralliement pour les nombreux immigrants catholiques de la métropole israélienne. Le Père David Neuhaus, un jésuite d’origine juive allemande, né en Afrique du Sud, en est la cheville ouvrière.

Dans la cour de gravier récemment aménagée derrière la maison, le Père David ouvre le cadenas d’une armoire métallique grise fixée contre la façade. Au lieu d’y trouver un tableau électrique, le regard des visiteurs de la délégation d’Aide à l’Eglise en détresse (AED) tombe sur les statues de saint Antoine de Padoue, du Sacré-Cœur et de la Vierge de Fatima. «Après la messe, les fidèles aiment se recueillir un moment devant cet autel ›domestique’», explique le jésuite. Si les saints sont enfermés dans cette armoire, c’est pour les protéger du vol ou du vandalisme, mais aussi par un souci de discrétion. Dans ce quartier populaire juif de Tel Aviv, les chrétiens sont tolérés, mais pas question pour eux d’afficher explicitement leur présence. Ni croix, ni clocher, ni même une pancarte ne révèlent la présence du ›Centre Notre-Dame Femme de Valeur’.

Le Père David n’a pas attendu les injonctions du pape François pour aller vers les chrétiens de la périphérie. En l’occurrence les dizaines de milliers d’immigrants catholiques vivant en Israël : Philippins, Indiens, Sri-lankais, mais aussi Nigérians, Soudanais, Erythréens ou Somaliens.

Au rez-de-chaussée du centre, la chapelle aménagée dans ce qui devait être un garage ou un atelier sent encore la peinture fraîche. Une couche de dispersion blanche, un podium recouvert de moquette, une croix de bois, une icône de la Vierge, un autel en planches et des chaises en plastique, l’installation encore assez sommaire accueille des centaines de personnes lors des cinq messes célébrées chaque week-end en anglais, tagalog (une langue des Philippines) et hébreu. Devrait s’y ajouter bientôt le malayalam, une des langues du sud de l’Inde. Le contraste avec les églises pluri-séculaires de Jérusalem ou Bethléem est frappant.

Le nombre de chrétiens en Israël augmente

Jusque dans les années 1990, à part une petite minorité de catholiques d’origine juive européenne, l’Eglise catholique en Terre Sainte ne comptait pratiquement que des fidèles de langue arabe palestiniens ou israéliens. Depuis lors, les immigrants chrétiens, essentiellement d’Asie, ont afflué pour chercher du travail. Israël cultive ainsi le paradoxe d’être le seul pays du Proche-Orient où le nombre de chrétiens augmente constamment.

«Les Eglises chrétiennes traditionnelles, et singulièrement le Patriarcat latin de Jérusalem, n’étaient pas prêtes à accueillir ces fidèles venant de cultures totalement différentes. Centrées depuis des décennies ou même des siècles sur la défense de leurs traditions et de leur patrimoine, elles ont dû accomplir un gros effort d’ouverture», commente le Père David qui coordonne depuis 2009 la pastorale des migrants.

Tel Aviv, où se concentre la majorité des migrants, ne compte pas d’église catholique. Pour se rendre à la messe, les chrétiens devaient aller à Jaffa ou à Haïfa, dans les églises arabes, ce qui était long et coûteux. En 2011, le Patriarcat latin a pris la décision d’installer un centre et une chapelle à Tel Aviv. Grâce à divers soutiens, notamment d’AED, une maison a pu être acquise et transformée. L’extérieur attend encore un ravalement complet, mais l’intérieur est fonctionnel avec, dans les étages au-dessus de la chapelle, un logement pour le prêtre et pour une petite communauté de trois religieuses philippines et sri-lankaise ainsi que des locaux pour la catéchèse et les rencontres.

Pastorale en hébreu

«Plus de 100 enfants sont inscrits au catéchisme. Nous avons eu cette année 65 premières communions et 35 confirmations», se réjouit le Père David. Pour ces enfants et ces jeunes, l’instruction religieuse se fait en hébreu. Comme ils suivent leur scolarité dans les écoles israéliennes, ils ne parlent plus forcément la langue de leurs parents. Certains d’entre eux ont obtenu la nationalité israélienne et servent dans l’armée. Une fois que l’on est israélien, quelle que soit son origine, tout est ouvert. Mais l’intégration dans cette société juive sécularisée représente le risque de perdre son identité chrétienne. D’où l’importance accordée à la pastorale de la jeunesse qui passe notamment par l’organisation de camps de vacances où pendant dix jours on peut donner aux jeunes une formation chrétienne. «Nous en avons cinq dans l’année, un à Pâques, trois en été et un avant Noël.»

Un autre élément de l’activité du Père David est la publication de livres de formation et de catéchèse en hébreu. Plusieurs ouvrages illustrés en couleur posés sur la table de la salle de réunion en témoignent. La chose n’est pas si simple car l’hébreu biblique n’est pas l’hébreu moderne, les termes et la syntaxe ont évolué. «Le terme littéral pour le mot ›vierge’ a acquis en hébreu moderne une connotation nettement vulgaire. Nous avons donc dû trouver un autre mot pour désigner la Vierge Marie. Si pour l’Ancien Testament nous conservons l’hébreu biblique, pour le Nouveau nous avons une version en langue moderne. Je pousse aussi les religieuses et les prêtres étrangers à apprendre l’hébreu pour pouvoir sortir de leur communauté d’origine», relève le Père David.

Pas d’argent, pas de mariage

La question des mariages, en particulier mixtes, est un autre point d’attention pour le Père David. Bien qu’Israël soit aujourd’hui un Etat largement sécularisé, le mariage civil n’existe pas. Pour se marier, il faut passer, selon son appartenance religieuse, devant un rabbin, un imam ou un prêtre. Les personnes qui, pour diverses raisons, ne veulent ou ne peuvent pas avoir de mariage religieux, sont obligées d’aller se marier à l’étranger, généralement à Chypre. Ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. «Nous avons ainsi une cinquantaine de chrétiennes des Philippines qui vivent avec un juif et deux avec un musulman. Nous leur avons offert une formation et un soutien pour la préparation au mariage. Ces unions pourront être célébrées prochainement. C’est important si nous nous voulons suivre les enfants issus de ces mariages mixtes.»

Les communautés chrétiennes de migrants, qui ne sont pas impliquées dans le conflit israélo-palestinien, peuvent aussi jouer un rôle de pont entre les mondes juif et chrétien. Ainsi la chorale juive ›Charlotta’, fondée par le fils d’un chantre de la synagogue de Vienne rescapé de la Shoah, a donné récemment un concert gratuit au ›Centre Notre-Dame Femme de Valeur’ devant un public philippin, indien et sri-lankais. «Une telle chose serait difficilement envisageable dans une église arabe», conclut le Père David.

David Neuhaus

Né en 1962, en Afrique du Sud, dans une famille juive ayant fui l’Allemagne en 1936, David Neuhaus est envoyé par ses parents en Israël à l’âge de 15 ans. Il y fait la rencontre du Christ, à travers une vieille religieuse russe orthodoxe, dont le témoignage le marque profondément. Attiré par le christianisme, il évoque la question avec ses parents. «Ils ont été tellement choqués que j’ai promis de ne rien faire pendant 10 ans».

Onze ans après avoir découvert le Christ, il est enfin baptisé, puis répond à un appel plus radical en s’engageant dans le sacerdoce, chez les jésuites. Il est ordonné prêtre en l’an 2000. Il apprend aussi l’arabe, pour « connaître de l’intérieur le peuple palestinien ».

Le Père Neuhaus est depuis 2009 vicaire du patriarcat latin pour les catholiques d’expression hébraïque d’Israël. Il est également chargé de la coordination de la pastorale des migrants.

Le Vicariat Saint-Jacques pour les catholiques de langue hébraïque en Israël

Anciennement Œuvre Saint Jacques, le Vicariat pour les catholiques de langue hébraïque en Israël a été fondé sous l’égide du Patriarcat latin de Jérusalem, en 1955, quelques années après la création de l’Etat d’Israël. Il a été mis en place pour répondre à l’immigration juive en Terre Sainte, qui incluait des juifs convertis, les conjoints catholiques de juifs, ou encore des catholiques immigrés venus travailler en Israël. Ces catholiques ne pouvaient pas être intégrés dans les communautés arabes dont ils ne connaissaient pas la langue et ne partageaient pas les traditions. Aujourd’hui cette communauté catholique d’origine juive s’est passablement réduite. Elle est encore présente dans les villes de Jérusalem, Tel-Aviv-Jaffa, Haïfa et Beersheva et rassemble environ 2’000 personnes.

Deux vagues d’immigrations successives ont changé la situation dès les années 1990. La première fut celle d’un million de migrants en provenance de l’ancien empire soviétique. Arrivés en Israël au titre de leur ascendance juive, un grand nombre d’entre eux étaient orthodoxes ou gréco-catholiques. Le Vicariat comprend ainsi deux communautés russophones.

La deuxième vague est arrivée également dans les années 1990. Après la fermeture des territoires palestiniens, Israël avait besoin de nouveaux travailleurs. Ils sont venus d’Asie, en particulier des Philippines, d’Inde et du Sri-Lanka puis d’Afrique, du Nigeria, du Soudan et du Ghana notamment. Aujourd’hui ces migrants chrétiens sont quelque 70’000 en Israël. La majorité d’entre eux bénéficient d’un permis d’établissement, se sont intégrés à la société israélienne et parlent hébreu.

Enfin la dernière catégorie est celle des clandestins sans statut. Il s’agit surtout d’Erythréens et de Somaliens, dont des chrétiens, qui survivent dans l’illégalité. Lorsqu’ils sont arrêtés par la police, l’Etat d’Israël, qui ne connaît pas le statut de réfugié, les parque dans des camps du désert du Néguev, à plusieurs dizaines de kilomètres de la première ville.

Soutien aux chrétiens de Terre Sainte

Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une visite en Terre Sainte organisée par l’œuvre d’entraide internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED). AED soutient divers projets en faveur des chrétiens au Liban, en Jordanie, en Palestine et en Israël. En Suisse, les dons peuvent être versés au CP 60-17700-3

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’Apic au prix de 80.– francs la première et 60.– francs les suivantes

(apic/mp)

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