L’historien Frédéric Lenoir déborde d’admiration pour le pape François
Crans-Montana, 18 juillet 2014 (Apic) Frédéric Lenoir a consacré, sous le titre « François, le printemps de l’Evangile », un ouvrage débordant d’admiration pour le premier pape du continent américain. Dans ce livre paru en mars 2014, l’historien des religions montre que le souverain pontife argentin professe un retour au message originel du christianisme.
Interview en marge de la conférence sur les clés du bonheur que le philosophe français a donnée à Crans-Montana, en Valais, le 12 juillet 2014.
Apic: Chaleureux, humble, simple: n’idéalise-t-on pas la personnalité de François?
Frédéric Lenoir: Je ne crois pas. Ce qui a frappé les observateurs depuis le début du pontificat de François, en mars 2013, ce sont des gestes et des attitudes proches de l’esprit de l’Evangile comme l’humilité, la pauvreté, la critique des évêques qui arrivent en limousine à Rome, d’un certain clergé italien corrompu. Du coup, il a été jugé et idéalisé sur ses actes, ses paroles et son comportement. Et pour l’heure, François réalise à mon avis un sans-faute: il vit sans luxe dans l’hostellerie du Vatican, il a choisi une voiture beaucoup plus modeste. Bref, tout est en cohérence avec ses propos.
Apic: Comment se manifeste cette souplesse qui distingue, selon vous, François?
F.L: Le pape souligne que la place des femmes dans l’Eglise ou l’ordination des hommes mariés ne relèvent pas du dogme. Il prépare l’opinion catholique au fait qu’il pourrait y avoir une évolution. Il estime, dans le même registre, qu’il faudrait revoir le dossier des divorcés remariés au nom de l’esprit évangélique. L’Eglise ne doit pas se muer en douane qui empêche les gens d’entrer parce qu’ils ne sont pas en règle, martèle François. Et de rappeler que l’Evangile n’est pas une morale destinée à nous écraser, mais un message de vie qui humanise. Le souverain pontife se dirige ainsi vers l’assouplissement d’un certain nombre de règles du droit canon, tout en restant conservateur sur le plan éthique.
Apic: Le pape s’est engagé, comme vous l’écrivez, dans une entreprise d’assainissement moral de la curie romaine. Quel bilan peut-on tirer de ce « grand nettoyage »?
F.L: Il a été très actif. Il a changé de secrétaire d’Etat, renvoyé plusieurs Monsignore italiens, nommé un conseil de huit cardinaux qui doit l’assister dans une sorte de gouvernement collégial pour vérifier, auprès de la curie, que les décisions soient appliquées et les réformes engagées. On pourrait maintenant attendre qu’il désigne, pour confirmer ce nouvel état d’esprit, des laïcs ou une femme dans des conseils pontificaux tels que celui sur la famille. Enfin, François a lancé un audit au sein de la banque du Vatican.
Apic: Justement, que signifie la récente arrivée du Français Jean-Baptiste de Franssu à la tête de l’Institut pour les œuvres de religion?
F.L: Tous les directeurs de l’établissement se sont cassé les dents sur le mur érigé par un certain nombre de prélats italiens véreux. L’un d’entre eux est d’ailleurs en prison. Dans ce contexte, François a décidé de faire le ménage en nommant Jean-Baptiste de Franssu, un spécialiste de la finance internationale. Sa mission: aller jusqu’au bout d’une politique de transparence. Faut-il le rappeler, l’Institut pour les œuvres de religion est considéré par l’ONU comme une banque mafieuse qui blanchit de l’argent sale.
Apic: Quels sont les principaux obstacles?
F.L: C’est connu, un lobby d’ecclésiastiques homosexuels vivant au Vatican est tenu par un chantage qu’exercent sur lui des milieux mafieux. Ils ont sans doute photographié, voire même filmé ces prélats gays dans des clubs et menacent de publier ces documents si les religieux en question font bouger les choses sur le plan financier. On peut donc s’attendre à des scandales. Mais cette épée de Damoclès n’émeut guère François: il estime que la vérité doit l’emporter sur la peur du scandale.
Apic: Le pape est-il en danger de mort?
F.L: Il prend des risques, mais en même temps il est très intelligent. Le fait de jouer la transparence, de tout dire publiquement, de clamer dans les médias que les comptes du Vatican sont épluchés, constituent en quelque sorte les antidotes et les barrières qui le protègent. Si un « accident » devait lui arriver, ce meurtre serait signé. Et ses ennemis au sein de la mafia et de la curie savent très bien que le tuer ne servirait à rien, car les cardinaux et le gouvernement qu’il a nommés, le prochain pape même, poursuivront cette entreprise de nettoyage des écuries d’Augias. François est allé si loin que nul ne peut désormais revenir en arrière.
Ils étaient près de 500 – l’association Montagn’arts, qui organisait l’événement, en attendait 150! – à jouer des coudes pour la conférence de Frédéric Lenoir sur les clés du bonheur, le 12 juillet au centre de congrès « Le Régent » à Crans-Montana, en Valais. Avec ce langage d’une clarté éblouissante, cet art inouï de la vulgarisation, le spécialiste des spiritualités a guidé le nombreux public sur les pistes balisées par la philosophie, la religion et la psychologie.
« Le bonheur, même s’il est en partie conditionné par la génétique, le tempérament – l’anxiété est un handicap, à la différence d’une nature enjouée –, relève de choix de vie, d’efforts personnels. » Et de souligner, sur la base d’une fable soufie, que le bonheur et le malheur sont en nous, que chacun porte en lui sa vision du monde.
Cet état d’esprit source d’épanouissement, Frédéric Lenoir lui donne les contours suivants : se connaître soi-même, cultiver la lucidité sur ses limites et ses talents, conscientiser tout ce qui va bien, être attentif à ce que l’on fait pour éviter de s’angoisser face au présent et au futur, cesser de se comparer aux autres dans la mesure où le malheur vient de l’imaginaire, méditer afin de tenir à distance le mental, résister à la modernité, «à l’image du philosophe qui remonte le fleuve à contre-courant, selon la définition d’Aristote».
La sagesse des penseurs grecs
On connaît la passion de Frédéric Lenoir pour les penseurs grecs. Le Français n’a pas manqué de puiser dans leur sagesse pour évoquer la félicité. « Les Grecs distinguent le plaisir du bonheur, le premier n’étant que la satisfaction immédiate du désir avec le risque d’une fuite en avant dans la quête de la volupté. » Or, pour un Epicure, le bonheur consiste au contraire à savoir gérer ses plaisirs, à s’arrimer à une sorte de sobriété heureuse débarrassée du superflu. « Le bouddhisme va encore plus loin, puisqu’il vise carrément à supprimer le désir », a précisé Frédéric Lenoir.
Plus près de nous, Spinoza, « qui a édifié, bien avant Freud, une véritable cartographie de l’inconscient en désignant le désir comme moteur du comportement », cerne deux sentiments majeurs chez l’être humain: la joie et la tristesse. Aux yeux du philosophe hollandais, la voie royale vers le bonheur se résume à identifier ce qui nous met en joie et ce qui nous précipite dans la morosité. Et Frédéric Lenoir de terminer sa conférence sur une injonction: « On a le devoir d’être heureux dans un monde malheureux, car quand on est joyeux, on peut aider les autres! »
Frédéric Lenoir, né à Madagascar en 1962, a une triple formation en sociologie, histoire des religions et philosophie, discipline qu’il a étudiée à l’Université de Fribourg où il a rencontré deux professeurs hors pair, le dominicain Marie-Dominique Philippe et le talmudiste Emmanuel Levinas. Ce spécialiste en spiritualité, qui connaît toutes les traditions religieuses, est également chercheur associé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Depuis 2009, il produit et anime sur France Culture « Les racines du ciel », une émission hebdomadaire consacrée à la spiritualité. Entre 2004 et fin 2013, il a dirigé la rédaction du bimestriel « Le Monde des religions ».
Frédéric Lenoir est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages (essais, contes, encyclopédies), traduits dans une vingtaine de langues et vendus à quatre millions d’exemplaires. Ses récents livres de philosophie existentielle, « Socrate, Jésus, Bouddha », « Petit traité de vie intérieure », « L’âme du monde », « Du bonheur, un voyage philosophique », sont tous des best-sellers. Son dernier opus, « François, le printemps de l’Evangile », brosse un portrait très flatteur du pape jésuite (lire l’interview). Boulimique, le penseur français écrit également pour le théâtre, le cinéma et la bande dessinée.
S’agissant de ses convictions personnelles, Frédéric Lenoir met l’accent sur une forme de syncrétisme: « J’ai une foi chrétienne, je suis très touché par la personne du Christ que je prie. Dans le catholicisme, il y a des aspects qui m’émeuvent, à l’instar de la tradition mystique – je lis Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Maître Eckhart –, d’autres moins. Je trouve l’institution trop lourde. » Et d’enchaîner: « Je me sens également proche du protestantisme, j’aime son rapport direct avec Dieu, et de l’orthodoxie, dont j’admire la beauté de la liturgie. En plus, adepte de la méditation, je suis influencé par le bouddhisme sans être vraiment bouddhiste. En somme, je fais mon miel de plusieurs mouvances et traditions. »
(apic/edalessio/bb)
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