Abbé Joël Pralong, supérieur du séminaire du diocèse de Sion
Chanoine Nicolas Betticher, vicaire judiciaire à l’officialité interdiocésaine de Suisse
Fribourg, 17 octobre 2014 (Apic) A mi chemin du Synode sur la famille, l’apic fait le point avec deux prêtres romands sur la situation des divorcés-remariés dans l’Eglise catholique. L’abbé Joël Pralong, nouveau supérieur du séminaire du diocèse de Sion se penche sur les questions pastorales. Le chanoine Nicolas Betticher, vicaire judiciaire à l’officialité interdiocésaine de Suisse revient sur de possibles évolutions juridiques.
Joël Pralong
L’abbé Joël Pralong, nouveau supérieur du séminaire du diocèse de Sion est l’auteur d’un ouvrage intitulé «Un évangile pour les séparés, les divorcés, les remariés» dans lequel il présente ses réflexions et son expérience.
Propos recueillis par Pierre Pistoletti
Apic: Dans les médias, le synode sur la famille tend à se réduire à deux questions: les divorcés-remariés et l’homosexualité. Selon vous, ce focus est-il légitime?
Joël Pralong: Oui, parce que ce sont des questions qui émanent du peuple et, comme l’a dit le pape François, l’Esprit lui aussi émane du peuple. Ces questions rejoignent ce que les gens vivent au-delà des débats purement doctrinaux qui se situent parfois bien loin des réalités quotidiennes. Ces polarisations révèlent une urgence, celle de prendre en considération la vie des gens et les questions qu’ils se posent. Je suis conscient que le synode est plus complexe et qu’il va au-delà de ces aspects mais, si on les élude, on cesse d’écouter le peuple.
Apic : Prenons la question des divorcés-remariés. Au-delà de l’écoute, comment accompagner ces couples sur un plan pastoral?
J-P: Il s’agit avant tout de reconnaître le rayonnement humain dont témoignent certaines familles recomposées. Le cardinal Schönborn disait que « beaucoup de ces couples sont des exemples de spiritualité et d’humanité, de sorte que si l’Eglise continue de les ignorer, elle devient une secte ». L’accueil et l’accompagnement de couples et de familles recomposées passe essentiellement par la reconnaissance de leurs valeurs. Cela dit, je maintiens aussi le fait d’accompagner, de remercier et de mettre en valeur les couples qui tiennent autour de la Parole de Dieu et de l’Eglise. L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Nous n’avons pas à nous centrer uniquement sur les couples recomposés. Beaucoup de familles, avec leurs difficultés, vont bien.
Apic: L’enjeu principal demeure l’accès à l’Eucharistie. Pensez-vous qu’au terme du synode l’Eglise assouplisse ses règles et permettent à davantage de fidèles d’accéder à la communion ?
J-P: Il serait néfaste de trancher en terme de tout ou rien, auquel cas on ne pourrait échapper aux extrêmes que sont le laxisme ou le légalisme. Si l’Eglise dit « oui » ou « non », elle s’enfermerait dans des formules qui ne seraient que des vues de l’esprit. A mon avis, il faut rejoindre les situations particulières. Un couple catholique divorcé-remarié, qui chemine dans la foi et la charité, et pour qui l’Eucharistie est indispensable, doit pouvoir accéder à la communion sacramentelle.
Il faut à tout prix éviter les dualismes primaires en cherchant à concilier des points de repères forts – le sommet d’une montagne – et les attentes des chrétiens qui, pour la plupart, sont au pied de cette montagne. Dans l’Evangile, Jésus a rejoint le pied de la montagne. Dans le Nouveau Testament, il y a des situations particulières. On nous parle de trois « entorses » où des gens se sont séparés et remariés. Or, s’il y a des entorses à la règle dans l’Ecriture, pourquoi l’Eglise ne les retranscrirait-elle pas aujourd’hui?
Nicolas Betticher
Comme vicaire judiciaire à l’officialité interdiocésaine de Suisse et docteur en droit canon, le chanoine Nicolas Betticher a suivi de près les travaux du Synode sur la famille. Il revient sur de possibles solutions juridiques à la question des divorcés-remariés dans l’Eglise catholique.
Propos recueillis par Maurice Page, apic
Apic: Une des pistes de solutions évoquée au Synode pour résoudre la situation des divorcés-remariés est un accès facilité et élargi à la procédure de nullité de mariage.
Nicolas Betticher: Le changement du droit ou de la pratique judiciaire n’est pas la première réponse, c’est une amorce de solution parmi d’autres. Une solution qui doit d’abord être pastorale. Le mariage est un sacrement protégé par le droit canon. Sa validité est reconnue selon un certain nombre de normes définies par le code de 1983. La question est de déterminer si le lien contracté entre deux baptisés est vraiment un sacrement. S’il n’y a pas la foi correspondante ou si les conjoints ne savent pas fondamentalement ce à quoi ils s’engagent, le sacrement est-il valide ? C’est pourquoi l’Eglise a mis en place une procédure en vue de la reconnaissance de la nullité du mariage.
Apic: Concrètement comment cela se passe-t-il ?
N.B.: Les personnes qui souhaitent obtenir une déclaration de nullité s’adressent d’abord à leur paroisse puis à l’official du diocèse (juge) qui convoque les parties et mène son enquête. Sa décision de première instance (sentence de nullité) est ensuite soumise au tribunal interdiocésain suisse qui doit la confirmer en deuxième instance. En cas de désaccord, la procédure peut être soumise à Rome. Actuellement dans plus de 90% des cas, la décision de première instance est confirmée. Les personnes concernées peuvent alors contracter librement un nouveau mariage religieux (de fait le premier).
Apic: A l’instar d’un divorce, on imagine une procédure lourde et complexe que l’on pourrait simplifier et accélérer.
N.B.: De fait les procédures sont simples et assez rapides. Elles ne durent en général pas plus de quelques mois. On ne pourrait donc pas sensiblement les accélérer. Une autre piste serait, comme on peut le lire ces dernières semaines, d’accorder à l’évêque, ou à son représentant, la possibilité de prononcer une décision extra-judiciaire. Après avoir écouté les parties, il pourrait trancher sur la validité d’un mariage par décret, selon son intime conviction. Comme juriste et comme théologien, je suis très réticent face à ce type de solution car elle ouvrirait la porte à tous les arbitraires. Une décision prise par un collège de juges à l’issue d’une procédure codifiée est beaucoup plus juste.
Apic: La question de l’accès des divorcés-remariés à la communion retient l’essentiel de l’attention. Quelle solution proposez-vous ?
N.B.: La doctrine rappelle que l’accès à la communion n’est pas possible pour des personnes qui sont dans une faute objective durable qu’elles n’ont pas les moyens de changer, à savoir le fait d’un remariage civil, puisque la réconciliation avec le premier conjoint(e) est dès lors impossible. D’un point de vue pastoral, si on considère que l’eucharistie est un moyen de salut et que la personne en a besoin, on peut la lui accorder en respectant le principe dit de l’épikie (la juste application du droit). Cela laisse une certaine liberté au prêtre et permet à la personne de décider en conscience.
Apic: C’est ouvrir toute grande la porte au relativisme dans lequel chaque personne est totalement libre de décider ce qui est bon pour elle !
N.B.: A la conscience individuelle, je suggérerais d’ajouter une ›conscience collective’ éclairée. Il s’agirait de définir quelques critères de jugement. Par exemple : ›Suis-je certain en conscience que mon premier mariage était nul, même si je n’ai pas introduit de procédure en nullité ? Suis-je conscient que mon remariage est une faute que je regrette, même si je ne peux pas changer cette situation ? Ou encore : ›Quelle est la qualité de mon engagement envers mon nouveau conjoint, mes enfants ou les siens ?’ De la réponse à ces questions dépendrait la possibilité de recevoir la communion.
Apic: La demande de la reconnaissance par l’Eglise d’une nouvelle union est également forte.
N.B.: Cette demande d’un nouveau mariage religieux est à mon sens la vraie question. Il n’est pas possible de toucher au principe de l’indissolubilité intrinsèque que le Christ fixe dans l’évangile. Cependant si des chrétiens aspirent tout de même une reconnaissance de leur nouvelle relation, quelle porte peut-on ouvrir alors que la faute perdure puisqu’il y a un empêchement de se réconcilier avec son premier conjoint ?
Rappelons tout d’abord qu’un couple qui vit une deuxième union civile présente des réalités humaines qui requièrent notre respect : un amour authentiquement humain, de la fidélité conjugale, etc.
A mes yeux on pourrait imaginer une solution qui s’inspirerait de certaines Eglises orthodoxes tout en préconisant non pas la faute d’abord, mais la miséricorde de Dieu, fondée théologiquement et juridiquement. Positiver la réalité du couple en reconnaissant ecclésialement un mariage sans pour autant lui conférer la réalité sacramentelle.
Apic: Expliquez-vous !
N.B.: On peut distinguer entre l’indissolubilité intrinsèque telle que voulue par le Christ et l’indissolubilité extrinsèque portant sur les effets extérieurs du mariage, tels que la vie commune, la fidélité, le soin du conjoint et l’éducation des enfants. Tout en maintenant le caractère intrinsèque du sacrement, on pourrait dispenser les personnes des effets extrinsèques en vue d’une nouvelle communauté de vie. Ce pouvoir de dispense revient à Dieu seul, mais il peut s’exercer par l’intermédiaire de son vicaire le pape qui, selon le pouvoir pétrinien, a déjà la compétence de dissoudre un mariage valide.
Apic: Quelle différence alors avec la pratique orthodoxe ?
N.B.: Cette solution, qui impliquerait de modifier le droit canon, serait à mon sens supérieure à celle des orthodoxes basée sur la seule miséricorde conséquente à la faute, car elle offrirait une base théologique et juridique plus solide et pourrait être encadrée par des normes précises. (apic/mp)
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