Fribourg: Marie-Dominique Minassian sort un nouvel ouvrage sur un moine de Tibhirine

La théologie du don chez Frère Christophe Lebreton

Fribourg, 29 novembre 2014 (Apic) Alors que l’enquête sur les circonstances exactes de la mort des moines de Tibhirine est relancée, la théologienne Marie-Dominique Minassian sort un nouvel ouvrage sur Frère Christophe Lebreton. Ce moine, mort à 45 ans, était le plus jeune de cette communauté massacrée en mai 1996. Il a laissé en héritage une abondante correspondance et plusieurs centaines de poèmes dans lesquels se révèle une théologie du don qui touche au cœur de chacun.

Le célèbre acteur Michael Lonsdale, qui a notamment interprété le moine médecin Frère Luc dans le film « Des hommes et des dieux », prêtera sa voix à Frère Christophe le 2 décembre lors du vernissage du livre.

Marie-Dominique Minassian, membre de l’équipe de direction du Centre Catholique Romand de Formations en Eglise (CCRFE) et doyenne de l’Institut romande de Formation aux Ministères (IFM) à Fribourg, a partagé avec l’Apic sa passion pour la figure et l’œuvre de Frère Christophe.

Apic: Comment vous êtes-vous intéressée aux moines de Tibhirine?

Marie-Dominique Minassian: Quand ils sont décédés en mai 1996, je n’étais pas dans la foi. J’étais plutôt agacée qu’on en parle autant, du fait qu’ils étaient moines, alors que de nombreux autres habitants de la région se faisaient aussi massacrer dans l’indifférence générale. Quelques semaines plus tard, j’ai vécu une expérience spirituelle forte qui m’a bouleversée.

Je me suis alors posé la question de la vie religieuse: Mes recherches m’ont conduite dans une « trappe » (NDR: chez des trappistes), donc dans la même famille spirituelle que les moines de Tibhirine. J’ai demandé de vivre un stage en clôture, ce que j’ai pu accomplir en décembre 1996.

Au même moment, l’abbé général de l’Ordre, Dom Bernardo Oliveira, dans une lettre circulaire lue dans les monastères, est revenu sur ces événements. J’ai alors découvert le trésor spirituel des écrits de ces frères. J’ai eu un coup de foudre.

Après avoir prolongé mon stage, je suis entrée à la trappe peu après le premier anniversaire de la mort des 7 frères. On dit que les martyrs sont semences de chrétiens… Je me sens personnellement un fruit de ce don.

Apic: Et d’où vous est venu cet intérêt en particulier pour Frère Christophe?

M-D. M.: Les premières publications sur les moines de Tibhirine sont apparues, avec « Sept vies pour Dieu et l’Algérie » et, en 1997, le premier livre sur les écrits de Frère Christophe, « Aime jusqu’au bout du feu », présentés par Frère Didier, qui était son ami au monastère de Tamié. J’ai reçu ce livre de la main de ma maîtresse des novices comme un cadeau.

Je suis ensuite venue à Fribourg, à l’Ecole de la Foi, puis à l’Université, pour mes études. J’ai consacré mon travail demi-licence à la relecture du martyre des moines de Tibhirine, puis le travail de licence sur les écrits publiés de Frère Christophe, dont « Le souffle du don », son cahier de prière des trois dernières années de sa vie.

Puis, mon directeur de licence m’a demandé de continuer mon travail par une thèse de doctorat. Je m’y suis engagée et cela m’a emmené par des chemins incroyables sur les écrits non publiés de Frère Christophe, et sur son histoire.

En 2003, j’ai consacré les 6 premiers mois de mon travail de thèse à rassembler ses écrits issus de diverses archives, à rencontrer ses amis et sa famille, et à reconstituer son itinéraire, grâce notamment, à sa correspondance, durant 26 ans, avec ses parents.

L’année 2003 correspondait justement à une période de demande de mise en lumière sur les circonstances de la mort des moines. C’était un temps très douloureux pour leurs familles. Et toute ma recherche se déroulait en parallèle avec ces démarches juridiques.

Après 6 mois de rencontres, j’ai compilé toutes ces données, qui ont constitué la base et la trame de mon travail de doctorat soutenu en 2007.

Le premier ouvrage extrait de ma thèse est paru en 2009. Il était déjà consacré à Frère Christophe et a pour titre « Frère Christophe, moine de Tibhirine: De l’enfant bien-aimé à l’homme tout donné ». Il retrace son itinéraire spirituel.

Le deuxième ouvrage, qui vient de paraître, s’appuie sur une relecture de cet itinéraire spirituel. Il permet de cerner le noyau théologique de sa spiritualité. Frère Christophe était un « enfant de mai 68 ». Il était un poète et non un théologien. Mais c’est bien une théologie du don qui se trouve au cœur de ses écrits et de son vécu. Son témoignage est à recevoir avec celui de toute sa communauté.

Un troisième ouvrage, en projet, présentera Frère Christophe de façon encore plus abordable pour le grand public.

Apic: Les textes de Frère Christophe sont denses. Comment parlent-ils au cœur de chacun?

M-D. M.: J’ai animé beaucoup de sessions à partir des écrits de Frère Christophe. J’ai chaque fois remarqué qu’ils parlent au cœur de chacun. Frère Christophe nous donne accès au Christ vivant dans sa Parole. Il était assoiffé de Dieu et sa spiritualité réveille notre propre désir de Dieu. Il va droit à l’essentiel et touche l’essentiel en nous. L’essentiel, pour lui, c’est la croix. Et par la croix, nous rejoignons le « Je t’aime » de Dieu.

Apic: D’où vient le titre « De la crèche à la croix »?

M-D. M.: C’est bien sûr une allusion à l’ouvrage « La Crèche et la Croix » d’Edith Stein, dont Frère Christophe était un lecteur, ainsi que d’autres maîtres du Carmel. « De la crèche à la croix », c’est surtout l’itinéraire du Christ, celui du don total. Cet itinéraire va de la contemplation de l’enfant bien-aimé de la crèche à l’homme tout donné sur la croix.

Pour Frère Christophe, le Christ sur la croix, c’est le don en acte. Il le dit dans une lettre à son ami Frère Didier: « Je suis aimé, cette certitude s’impose peu à peu, doucement, avec force, en moi et m’oblige au Don, afin que le monde sache qu’il est aimé d’Amour ». Frère Christophe voit dans ce don total du Christ une mission d’amour. Lorsque l’on comprend ça, on comprend mieux le choix des moines de rester sur place malgré le danger qui les guettait.

Apic: Finalement, par leur mort, leur vie a eu un bien plus grand retentissement. Un peu comme le grain de blé qui se meurt pour donner davantage de vie.

M-D. M.: C’est exactement ça. Cette mort nous permet d’entrer dans leur cheminement intérieur. En lisant leurs écrits à la lumière de leur mort, ils prennent une tout autre dimension. De son vivant, Frère Christian de Chergé était d’ailleurs souvent qualifié de « doux rêveur ». Le poète qu’était Christophe aurait pu aussi être rangé dans cette catégorie si leur martyre ne venait pas attester de la profondeur et de l’intensité de cette spiritualité vécue à Tibhirine.

La vie de ces hommes s’est trouvée sur le tapis rouge de Cannes, avec la diffusion de « Des hommes et des dieux », qui a eu un retentissement mondial. Le mérite de ce film est d’avoir ouvert le monde à cette question: « Pourquoi étaient-ils là? » Il amène au seuil de leur expérience spirituelle.

Leur expérience est prophétique. Ils ont fait de la théologie avec leur vie. Ils sont témoins de ce que peut faire Dieu avec nos vies quand elles s’ouvrent à son souffle.

Apic: Quels ont été les écrits de Frère Christophe? On parle beaucoup de sa correspondance avec sa famille, par exemple.

M-D. M.: En fait, écrire à sa famille fait partie d’une discipline monastique. Il le faisait toutes les deux semaines.

Mais Frère Christophe nous a surtout laissé une immense œuvre poétique. On a rassemblé environ 400 poèmes, dont une centaine ont été publiés. Il alignait les mots avec le regard de la croix. Quand on lit ses écrits (prédications, poèmes, lettres, …) on découvre la résonance de l’Evangile en chacun de nous. « La poésie n’aurait-elle pas son mot – de paix – à chanter sur ce champ de bataille? » a-t-il écrit en janvier 1995, comme en préambule à ce qui allait se passer. La poésie ouvre sur l’intérieur qui nous unit…

Les espaces et le silence font partie intégrante de ses poèmes. C’est pourquoi, dans mon livre, j’en ai reproduit un certain nombre tels qu’ils ont été rédigés. La ponctuation est souvent inexistante. Il faut chercher le rythme dans les mots eux-mêmes et dans leur positionnement. Le point se trouve à la croix: intersection de la verticale et de l’horizontale. Frère Christophe nous invite à une aventure dont on ne connaît pas la fin. Le sens est offert au souffle.

Encadré:

Le dossier de béatification est au Vatican

Apic: Savez-vous si la béatification des moines de Tibhirine est encore d’actualité?

M-D. M.: Oui, elle est en cours. La procédure diocésaine, en Algérie, est terminée. Le dossier est maintenant au Vatican. Mais il ne concerne pas que les 7 moines de Tibhirine. Il comprend les 19 martyrs d’Algérie, dont le dernier est Pierre Claverie, l’évêque d’Oran assassiné le 1er août 1996.

Cette communauté de Tibhirine a été le « poumon » de l’Eglise en Algérie. Je l’ai constaté en me rendant sur place sur les pas de Frère Christophe. Leur témoignage est très largement reconnu. Et ce qui est très parlant, c’est que ceux qui se rendent en pèlerinage à Tibhirine sont à 90% des musulmans …

Apic: Saura-t-on un jour la vérité totale sur les circonstances de leur mort?

M-D. M.: Je ne le sais pas. Mais c’est très dur pour leurs familles de ne pas connaître la vérité. Cela reste pour elles une plaie ouverte.

L’essentiel a été délivré par le don de leur vie. C’est maintenant à nous de le recueillir et de le partager plus largement.

Encadré :

Vernissage du livre le 2 décembre avec Michael Lonsdale

Le vernissage de l’ouvrage « De la crèche à la croix / Eléments d’une théologie du don chez frère Christophe Lebreton, moine de Tibhirine » (Academic Press Fribourg) a lieu mardi 2 décembre à 19h à l’Aula Magna de l’Université de Fribourg. La soirée « Poésie – Théologie » sera animée par Marie-Dominique Minassian et par le célèbre acteur Michael Lonsdale, qui a notamment interprété le rôle de Frère Luc dans le film « Des hommes et des dieux ».

La soirée mêlera lectures de poèmes, commentaires théologiques, temps de silence et respirations musicales avec Carole Collaud à la flûte et Hervé Dubois à la guitare.

Encadré:

Hommages de la commune de Blois

Christophe Lebreton est né en 1950 à Blois, dans le Loir-et-Cher en France. Il entre à la Trappe en 1974. Il fut moine au monastère de Tibhirine, dans l’Atlas algérien, et meurt en martyr, avec six autres religieux de sa communauté, à l’âge de 45 ans. Enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 par un groupe islamiste armé, ils seront tous exécutés le 21 mai. Les circonstances de leur décès sont restées peu claires et font actuellement l’objet d’une enquête des autorités françaises.

En 2007, la direction du Lycée Notre Dame des Aydes à Blois donne le nom de Frère Christophe à son dernier bâtiment. Le 13 juillet 2013, la commune de Blois inaugure une « rue Christophe Lebreton » devant l’église St-Joseph.

L’histoire des moines a fait l’objet du film « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois, Grand prix du festival de Cannes et César du meilleur film 2010.

(apic/bb)

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