Affaire privée, affaire publique

Le lecteur qui souhaite s’informer sur l’objet de la prochaine votation à propos du financement de l’avortement trouvera tout ce qu’il faut pour se faire une idée entre Mgr Morerod, François-Xavier Putallaz, partisans du non, et l’entretien avec Olivier Dehaudt, défenseur de l’initiative.
Peut-être n’en sera-t-il pas plus avancé?
En famille, mon épouse votera non, je voterai oui; c’est la première fois en plus de dix ans de vie commune que nos opinions divergent (sur des questions politiques seulement, n’allez pas croire à l’impossible…), c’est-à-dire que l’un ne parvient pas à convaincre l’autre! Pourtant nous sommes cathos, contre l’avortement, pro-life et, je l’espère, ouverts d’esprit. Le pire est que nous votons sans conviction, persuadés du résultat et sûrs qu’il ne changera rien.

En voulant réduire l’avortement à une affaire privée, l’initiative risque surtout d’en faire une affaire… privée! Cette logique, qui s’affiche d’abord comme un slogan, tend à nous conduire de la dépénalisation des cas d’exception à un droit du couple, ou de la femme, d’avorter dans l’intimité. Nous en sommes encore loin. Cependant, dans cette soupe que nous ne savons plus comment saler, serait-il possible d’identifier quelque saveur?

Il me paraît heureux que l’avortement puisse être considéré comme une affaire privée. Les gens actifs dans les organismes, que nous qualifierons de «pro-life» pour faire générique, l’attestent, il arrive régulièrement qu’une jeune femme enceinte subisse les assauts de sa famille, comme du géniteur, pour la pousser à avorter. – «Tu m’as fait un enfant dans le dos» se défend celui qui dans les draps de son interlocutrice était hier encore loin de lui tourner le dos. – «Ne gâche pas tes études pour une aventure sans lendemain» conseillent des parents oublieux d’un ventre qui déjà se trouve de nouvelles formes. Il n’y a dans ces moments-là que la femme qui puisse sentir – ontologiquement – combien d’amour et d’espérance ce brin de vie engendre en elle. Heureusement qu’il existe des espaces où la mère pourra malgré tout décider seule d’une fin heureuse, celle d’une vie qui commence.

Remarquez que ce tableau se dépeint très bien aussi en inversant les rôles, avec une fille paniquée d’être ainsi contrainte à biberonner pour le restant de sa jeunesse, un géniteur héroïque se sentant de nobles aspirations paternelles et des parents tremblant de bonheur à l’idée de devenir des grands-parents. Heureusement que tous sont là à détourner la jeunette de son désir d’avorter.

Constatons-le, la grille de lecture proposée, la dichotomie affaire publique–affaire privée, se révèle vidée de toute pertinence explicative. A peine est-ce une façon accrocheuse d’interpeler les citoyens helvétiques quant à la dérive de l’avortement.

Je crois que lorsque l’on traite de l’avortement, c’est-à-dire de la vie et de sa transmission, aucune situation ne peut s’abstenir d’un discernement en profondeur, aucune situation ne peut se résoudre seulement par le cadre légal. Dès lors, il ne faut rien extrapoler derrière l’initiative et se contenter de poser la question qu’elle pose: Suis-je disposé à payer solidairement, en Suisse, 11’000 avortements par an, dont 10’000, soit plus de 90%, pour des questions subjectives de confort? Et peut-être plus à l’avenir…

Ma réponse est non. Les 1’000 cas d’exception restants, aussi terribles soient-ils, doivent pouvoir trouver directement auprès des oeuvres sociales, surtout des Eglises, des lieux d’entraide et de discernement; il en va d’ailleurs de même pour les 10’000 autres cas!

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