Le Veni Creator : des origines à Johann Sebastian Bach

L’hymne du « Veni Creator Spriritus », chantée le jour de la Pentecôte, est attribuée à Raban Maur, évêque de Mayence au XIe siècle. Cette hymne à l’esprit compte sept strophes, qui toutes font usage de la même musique. Il est évident que ce nombre n’est pas un hasard, mais une véritable référence symbolique aux sept dons de l’Esprit, auxquels fait allusion la troisième strophe, « Tu septiformis munere ». Voici le texte de cette hymne.

Veni, creator, Spiritus,                      Viens, Esprit créateur,
Mentes tuorum visita,                        visite l’âme de tes fidèles,
Imple superna gratia                           emplis de la grâce d’en haut
Quae tu creasti pectora.                    les cœurs que tu as créés.

 

Qui diceris Paraclitus,                        Toi qu’on nomme le Conseiller,
Altissimi donum Dei.                          don du Dieu Très-Haut,
Fons vivus, ignis, caritas                    source vive, feu, charité,
Et spiritalis unctio.                            onction spirituelle.

 

Tu septiformis munere,                     Tu es l’Esprit aux sept dons,
Digitus paternae dexterae.                le doigt de la main du Père,
Tu rite promissum Patris,                   promis par le Père,
Sermone ditans guttura.                    c’est toi qui inspires nos paroles.

 

Accende lumen sensibus                    Allume en nous ta lumière,
Infunde amorem cordibus,                 emplis d’amour nos cœurs,
Infirma nostri corporis                       affermis toujours de ta force
Virtute firmans perpeti.                    la faiblesse de notre corps.

 

Hostem repellas longius                     Repousse l’ennemi loin de nous,
Pacemque dones protinus;                donne-nous ta paix sans retard,
Ductore sic te praevio                       pour que, sous ta conduite et ton conseil,
Vitemus omne noxium.                      nous évitions tout mal.

 

Per te sciamus da Patrem,                 Fais-nous connaître le Père,

Noscamus atque Filium;                     révèle-nous le Fils,
Teque utriusque Spiritum                  et toi, leur commun Esprit,
Credamus omni tempore.                   fais-nous toujours croire en toi.

 

Deo Patri sit gloria,                           Gloire soit à Dieu le Père,
Et Filio, qui a mortuis                       au Fils ressuscité des morts,
Surrexit, ac Paraclito                        à l’Esprit Saint Consolateur,
In saeculorum saecula.                     maintenant et dans tous les siècles.
Amen.(1)

 

Face à la popularité et à la beauté du « Veni Creator », Martin Luther l’employa pour en faire le choral « Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist ». Le réformateur allemand ne se contenta pas de reprendre la mélodie presque à l’identique, il reprit également le texte, qui n’est autre qu’une traduction en langue germanique du poème latin. La seule chose qui pourrait dépayser un auditeur catholique habitué à la liberté rythmique du plain-chant est le rythme donné au choral. Cette reprise du « Veni Creator » n’est pas l’unique exemple de réemplois de thèmes grégoriens dans la musique luthérienne. Puisque les fidèles connaissaient par cœur les mélodies du plain-chant, Luther ne voyait pas de raison de les abandonner. Un autre exemple célèbre est le choral de l’Avent « Nun komm, der Heiden Heiland », adapté de l’hymne « Veni redemptor gentium ». Ce chant est aujourd’hui connu dans nos paroisses sous le titre « Toi qui viens pour tout sauver », bel exemple d’une mélodie grégorienne que l’Eglise catholique s’est réappropriée par l’intermédiaire du luthéranisme…

 

Les compositeurs luthériens ont énormément repris les chorals dans leurs œuvres sacrées. Dans le domaine de la musique instrumentale, c’est évidemment à l’orgue que ce phénomène a été le plus marquant. Il faut savoir que Luther, contrairement à Calvin ou Zwingli, ne s’est jamais opposé à l’orgue, mais l’a plutôt soutenu, lui donnant un nouveau rôle dans la liturgie. Ainsi, les chorals deviennent des pièces d’orgue. Bien souvent, ces œuvres sont des Choralvorspiele, qui servaient à introduire le chant des fidèles.

 

Le choral « Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist » a ainsi été traité par Bach, dans son « Orgelbüchlein ». Ce cahier, inachevé, comporte quarante-cinq brefs préludes de choral, écrits pour la plupart avant 1717, lorsque le compositeur était organiste à la cour de Weimar. Une seconde version plus tardive de ce choral, dans l’autographe de Leipzig, reprend presque telle quelle la version de l’Orgelbüchlein, et y ajoutant une seconde partie.

 

Pour entrer un peu plus à fond dans le sujet, et étudier l’aspect symbolique du choral de Bach, je vous invite à visionner la vidéo, tournée sur le bel orgue du couvent des Cordeliers de Fribourg.(2)

 

(1) Traduction empruntée à http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/letters/documents/hf_jp-ii_let_31031998_priests_fr.html (page contenant un commentaire de cette hymne par le pape Jean-Paul II).
(2) Pour plus d’infos sur le couvent : www.cordeliers.ch. Une description de l’orgue et de l’église se trouve par ailleurs sur http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1783-11-6-1/

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