Aujourd’hui, l’ensemble du monde du spectacle et de la publicité semble s’être engagé à enseigner aux jeunes que l’amour se réduit à l’eros et que l’eros se réduit au sexe; On tente de faire croire aux jeunes que la vie est une idylle permanente, un conte de fée merveilleux, dans lequel tout le monde est beau, jeune, sain, où la vieillesse et la maladie n’existent pas, et où tous peuvent dépenser autant qu’ils le désirent. – Homélie du 4e dimanche A (1 Co 12, 31 – 13, 13).
En première lecture nous avons entendu l’hymne à la charité. Un sommet magnifique de Saint Paul. Peut-être le plus célèbre et le plus sublime jamais écrit?
L’auteur nous dit que sans la charité, sans amour, rien n’a de valeur: «Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.»
L’occasion pour nous de réfléchir à ce qu’est la charité, ce qu’est l’amour. Je le ferai à la lumière de l’encyclique «Deus Caritas est» de Benoît XVI.
Nous pouvons d’abord affirmer que le mot amour est le plus grand et le plus beau des mots. Nous pouvons ensuite constater que ce même mot «amour» est l’un des plus «galvaudés» aujourd’hui. Soyons clairs! On parle d’amour pour tout et n’importe quoi: amour de la patrie, amour de son métier, amour de ses amis, de sa femme, de ses enfants, amour de Dieu, mais aussi amour du chocolat, de son chien, de la bière, du foie gras etc.
Relevons que parmi les différentes formes d’amour, celle qui naît entre l’homme et la femme est toujours considérée comme l’amour par excellence! Et de fait, quel amour serait comparable à celui qui unit l’homme à la femme?
La Grèce antique le désignait par le terme d’«eros», d’où viennent nos termes «érotiques et érotismes». Il exprime un amour passionnel, fait de recherche de plaisirs et de désirs.
Mais, pour nous croyants, le mot amour dit plus encore que l’eros. A l’origine, les auteurs des évangiles ont bien compris que ce mot «eros» n’était pas suffisant pour exprimer la nouveauté de cet amour qui fut vécu en Jésus-Christ.
Ainsi le mot «eros» ne se trouve-t-il pas dans le nouveau testament, remplacé par le mot «agape», dont le sens est amour spirituel, ou amour de charité.
Il est un livre ancien du 1er testament qui chante très bien cet amour et nous dit ce qu’il est. Il s’agit du fameux Cantique des Cantiques. L’amour tel qu’il y est décrit parcourt tout un chemin. Il est d’abord amour encore incertain dans une situation de recherche indéterminée. Puis vient l’expérience de l’amour vrai, véritable découverte de l’autre, dépassant le caractère égoïste qui dominait clairement auparavant. L’amour devient alors soin «de l’autre» et soin «pour l’autre».
Il ne se cherche plus lui-même – comme une immersion dans l’ivresse du bonheur – mais aspire au contraire au bien de l’être aimé. Il devient alors renoncement, il est prêt au sacrifice, il le recherche même.
Vous entendez comme l’amour ainsi décrit avance, par degrés, vers ce qui est plus élevés, par des purifications profondes, et trouve au final son caractère définitif, et cela en un double sens: dans le sens d’un caractère exclusif – «cette personne seulement» – et dans le sens d’un «pour toujours». i.e. une dimension d’éternité.
C’est l’idée d’un «rien que toi» et d’un «pour toujours».
Voilà donc deux amours, celui du désir et celui du don. Ils se différencient principalement de la façon suivante. L’amour de désir, ou érotique, est exclusif, il se consume entre deux personnes. L’ingérence d’un troisième signifierait sa fin, une trahison. Parfois l’arrivée même d’un enfant parvient à mettre en crise ce type d’amour.
L’amour de don, ou agape embrasse en revanche toute personne, c’est un amour qui n’exclut personne, pas même l’ennemi, il inclut, toujours accueillant il s’ouvre à l’autre.
La formule classique du désir est celle que nous entendons dans toute les histoires à l’eau de rose: «Aime-moi mon amour, aime-moi autant que je t’aime». Cet amour se mesure à soi-même, à son propre désir: aime-moi comme je t’aime, autant que je t’aime, autant que je te désire…
La formule classique de la charité est celle que Jésus prononce: «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés». La mesure de cet amour, c’est Dieu, qui va jusqu’à l’abaissement, au don de soi. Il déborde pour aimer jusqu’aux autres, jusqu’à l’ennemi, celui qui fait du mal. Il s’agit d’un amour fait pour donner, circuler, pour se diffuser, même sans réciprocité.
Voilà donc pour la première différence. L’amour de charité n’est pas exclusif, sa mesure c’est d’aimer jusqu’à la démesure, jusqu’au don de soi.
Il existe une autre différence entre ces deux amours. L’amour érotique, dans sa forme la plus typique de l’état amoureux, ne dure pas, ou s’il dure, ce n’est qu’en tombant successivement amoureux de différentes personnes.
C’est là ce que l’on appelle la monogamie en série, on aime et on est fidèle tant que l’on est aimé et que l’on est fidèle. Dès que l’on aime plus, on aime un autre, et on lui est fidèle, tant que cela dure. Saint Paul dit en revanche que la charité «demeure», que c’est même la seule chose qui demeure éternellement et qui demeurera toujours lorsque la foi et l’espérance auront disparu. Deuxième différence, l’amour de charité possède déjà le bon goût de l’éternité.
Attention de ne pas durcir les choses! Entre ces deux amours, il n’existe toutefois pas de séparation nette et d’opposition, mais plutôt un développement, une croissance.
Le premier, l’eros est pour nous souvent le point de départ, le deuxième, la charité devient le point d’arrivée. Entre les deux existe tout un espace pour une éducation à l’amour et pour grandir dans l’amour.
Examinons le cas le plus commun de l’amour du couple. Dans l’amour unissant deux époux, au début dominera l’eros, l’attrait, le désir réciproque, la conquête de l’autre, et donc un certain égoïsme.
Si, chemin faisant, cet amour ne s’efforce pas de s’enrichir d’une dimension nouvelle, faite de gratuité, de tendresse réciproque, de capacité à s’oublier pour donner et se projeter dans les enfants, nous savons tous qu’il se terminera par une triste faillite!
Ainsi saisissez-vous combien le message de Paul est d’une grande actualité.
Aujourd’hui, l’ensemble du monde du spectacle et de la publicité semble s’être engagé à enseigner aux jeunes que l’amour se réduit à l’eros et que l’eros se réduit au sexe; On tente de faire croire aux jeunes que la vie est une idylle permanente, un conte de fée merveilleux, dans lequel tout le monde est beau, jeune, sain, où la vieillesse et la maladie n’existent pas, et où tous peuvent dépenser autant qu’ils le désirent.
Quel mensonge colossal, générant des attentes disproportionnées qui, une fois déçues, provoqueront des frustrations, des rébellions contre la famille et la société, et ouvriront souvent la voie à toutes sortes de dérives graves.
La parole de Dieu nous aide à faire en sorte que notre sens critique ne disparaisse pas complètement, face à ce qui nous est servi quotidiennement.
Merci Seigneur pour l’amour. Nous sommes créés par amour et pour aimer.
Seigneur, l’amour de désir n’est pas mauvais en soi.
Mais il a aussi besoin «de discipline, de purification et de maturation»
pour ne pas perdre sa «dignité originelle»
et ne pas être réduit à une conception du sexe quasi marchande.
Ainsi, merci Seigneur de purifier notre désir.
Aide-nous à atteindre l’extase,
non pas comme moment d’ivresse passagère
mais comme un «exode permanent
du moi fermé sur lui-même vers sa libération dans le don de lui-même»
Amen.
Père Jérôme Jean
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