Chrétiens coptes et musulmans modérés respirent mieux après la chute du régime Morsi

Egypte Le couvent ds franciscains d’Assiout  incendié par les islamistes (Photo: Jacques Berset)Le Caire, mars 2015 (Apic) Dans la rue, des musulmans m’arrêtent pour me présenter leurs condoléances pour les 21 coptes égyptiens décapités en Libye, pour dire leur honte de ce que les terroristes ont fait au nom de l’islam… ils sont tout à fait sincères. Mgr Botros Fahim Awad Hanna, évêque copte catholique de Minya, est encore sous le choc de l’horrible assassinat de ces travailleurs originaires du village d’al-Awar, près de Samalout, au nord de son diocèse.

Comme près d’un million de leurs compatriotes, ces jeunes coptes orthodoxes, qui travaillaient dans la construction ou l’artisanat, étaient allés chercher dans le pays voisin de quoi faire vivre leur pauvre famille. Ciblés en raison de leur appartenance religieuse par les hommes de «Daech» (ou «Etat islamique»), ils ont été séparés des musulmans lors de leur capture.

Martyrs pour avoir refusé de renier leur foi

Le pape Tawadros II, chef de l’Eglise copte orthodoxe d’Egypte, les a proclamés officiellement martyrs pour avoir refusé de renier leur foi. Ils sont morts en répétant «Seigneur Jésus». Le gouverneur de la province de Minya a décrété le changement de nom du village d’où étaient originaires 20 des 21 coptes assassinés, qui s’appelle désormais «Village des Martyrs».

Dans la capitale de la Moyenne-Egypte, à environ 245 km au sud du Caire, le climat est depuis longtemps tendu. Les émeutes ont atteint leur paroxysme après le 13 août 2013, quand l’évacuation par l’armée des places de Rabaa el Adawiya, à Medinat Nasr, et Nahda, à Guizeh, a tourné à l’affrontement sanglant avec les partisans du président déchu Mohamed Morsi. Une partie d’entre eux disposaient d’armes et occupaient des maisons de ces quartiers.

Dès le 14 août, dans tout le pays, des dizaines d’églises de toutes les confessions, des écoles, des dispensaires, des magasins, des pharmacies et des immeubles appartenant à la minorité chrétienne étaient pillés et incendiés. Bien avant la répression des manifestants pro-Morsi occupant les squares du Caire, les violences contre les chrétiens coptes étaient monnaie courante. Les fondamentalistes n’avaient pas attendu l’appel lancé par Ayman al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda. Le terroriste d’origine égyptienne a accusé les Etats-Unis d’avoir comploté avec l’armée égyptienne et la minorité chrétienne copte pour renverser le président islamiste. Cet appel était abondamment relayé par les sites et les blogs islamistes, accusant les chrétiens d’être complices des militaires.

Frères musulmans et salafistes n’ont pas disparu du paysage

Un an et demi après la vague d’émeutes anti-chrétiennes, l’armée a financé en partie la reconstruction d’écoles et d’églises. Nombre d’entre elles, cependant, avec leurs vitraux brisés et leurs murs noircis, restent comme un avertissement: s’ils font profil bas, Frères musulmans et salafistes n’ont pas disparu du paysage. Toutes les églises, entourées de hauts murs, sont désormais gardées par des hommes armés et surveillées par des caméras placées aux entrées.

Avertie de la présence à l’évêché copte-catholique de Minya d’une délégation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (*), la police a immédiatement envoyé une patrouille. Une escouade de policiers la suivra partout durant son périple en Haute-Egypte: le gouvernement du président Abdel-Fattah Al-Sissi craint par-dessus tout que des étrangers soient pris pour cibles par les islamistes.

Sur la route, un appel téléphonique: des fanatiques viennent de brûler la voiture du Père Ayoub Youssef, curé de l’église copte catholique Saint-Georges, à Delga, au sud du diocèse de Minya.

Dans cette ville de 120’000 habitants, quelque 20’000 font partie de la minorité chrétienne. A la chute du régime de Morsi, ces coptes ont vécu sous état de siège après que les islamistes armés eussent imposé un régime de terreur, incendiant trois églises, le presbytère, le centre pastoral et des dizaines d’habitations appartenant à des chrétiens. Cinq chrétiens avaient alors été tués. Les partisans de Morsi l’avaient transformée en une sorte d’Etat parallèle où les chrétiens devaient payer la «jizya», l’impôt de «protection» auquel les adeptes du Coran assujettissaient les non-musulmans. Ils accusaient les coptes d’être complices de la destitution du président islamiste. Aujourd’hui encore, la tension est toujours forte dans cette zone. «Depuis ce temps-là, en raison de menaces de mort, quinze familles n’ont pu retourner chez elles», témoigne Mgr Botros.

Des cheikhs fanatiques envoient leurs enfants dans les écoles catholiques

Si la région est un fief des Frères musulmans et des salafistes, c’est aussi un endroit où les Eglises chrétiennes – copte orthodoxe, protestante et copte catholique – sont très  engagées. Du côté catholique, 16 congrégations religieuses féminines et trois masculines sont actives, et le nombre d’écoles catholiques – qu’elles dépendent de l’évêché, des congrégations religieuses ou de l’Association de la Haute-Egypte – dépasse la vingtaine. «Des cheikhs musulmans, même des fanatiques qui prêchent contre les chrétiens, y envoient leurs enfants, car ils savent que là, l’éducation est bien meilleure que dans les écoles publiques, pauvrement dotées…» Les religieuses rencontrées en ville ou dans les villages de la vallée du Nil confirment qu’elles sont très appréciées par la population. Les gens savent qu’elles sont au service de tous sans distinction et qu’elles ne font pas de prosélytisme religieux.

«Notre région, en zone en partie désertique, souffre d’un niveau culturel très bas. On compte 30 à 35% d’analphabètes et 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les Frères musulmans et les salafistes ont une grande influence dans les villages, en raison de l’ignorance d’une grande partie de la population, qu’ils peuvent mobiliser facilement», poursuit le prélat de 53 ans, dont l’abondante barbe blanche ferait penser à un sage soufi. Ici, souligne Mgr Botros, beaucoup de familles ne gagnent pas plus d’un euro par jour, et si le père ou la mère sont malades, elles ne disposent souvent que du salaire d’un enfant en âge de travailler…»

En raison des troubles, des usines ont fermé, les gens n’ont plus de travail. Les Frères musulmans donnaient aux jeunes désœuvrés 100 ou 200 livres égyptiennes (l’équivalent d’un salaire mensuel d’une femme de ménage) et volaient des bus et des voitures pour les emmener manifester au Caire. «Quand il y a une telle misère, il n’est pas difficile de mobiliser ainsi les gens!»

Le 14 août 2013 au matin, dans une action planifiée dans tout le pays, 86 églises et couvents ont été incendiés à l’aide de cocktails Molotov ou endommagés par les islamistes pro-Morsi. «C’était une opération préparée d’avance. En l’espace de quelques heures, les islamistes ont brûlé des églises, des écoles, des bibliothèques, des pharmacies, des magasins, des hôtels, des résidences, des voitures, des bus scolaires appartenant aux chrétiens… Plusieurs coptes ont été attrapés et lynchés dans la rue, pour le simple fait qu’ils étaient chrétiens; d’autres ont été kidnappés pour obtenir des rançons».

«Ils m’insultaient, me crachaient dessus, des femmes me lançaient des oignons par la fenêtre»

A Minya, dans le quartier d’Abu Hilal, l’église copte orthodoxe d'»Anba Moussa al-aswad» (Saint Moïse le noir) a été détruite par les émeutiers. Mgr Botros rappelle qu’il a été durant deux ans curé dans ce fief des Frères musulmans: «Les gens étaient ici très agressifs. Ils m’insultaient, me crachaient dessus, des femmes me lançaient des oignons par la fenêtre, les enfants me jetaient des pierres… C’est devenu pire à présent! Par contre, les agressions sexuelles contre les femmes, dans la rue, ont désormais diminué, et la police reçoit enfin les plaintes».

«Quand j’étais enfant, l’atmosphère ici était toute différente. Chrétiens et musulmans s’entendaient bien. On avait confiance dans les voisins. On pouvait leur confier les clefs de la maison, et eux faisaient de même. La situation a changé dans les années 1970-1980, quand le président Sadate a donné beaucoup de liberté aux Frères musulmans pour combattre les nassériens et les socialistes. Il a perdu le contrôle et les islamistes ont fini par l’assassiner!»

Un peu plus loin dans le quartier, les fanatiques ont incendié le Centre culturel jésuite, un immeuble de cinq étages qui occupait une surface de 500 m2, avec des bureaux, une bibliothèque, des classes qui accueillaient des handicapés physiques et mentaux. La grande majorité des usagers étaient des musulmans. L’encadrement du Centre est composé de laïcs – catholiques, orthodoxes, musulmans, protestants – qui travaillent en étroites relations avec les jésuites. Aujourd’hui, il ne reste plus que les traces des fondations, et toutes les activités ont dû être transférées ailleurs.

La «Maison de la famille» aide au rapprochement entre chrétiens et musulmans

Sorte de forum de dialogue, l’organisation «Beit Al ›Aila» (La Maison de la Famille), a été mise en place en 2011 conjointement par le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayyeb, et le pape  copte orthodoxe Chenouda III pour prévenir les heurts entre chrétiens et musulmans. C’était à un moment où une nouvelle explosion de sectarisme fondamentaliste mettait sérieusement en danger l’unité nationale du pays. A Minya et dans d’autres diocèses coptes catholiques, l’évêque a fondé un groupe diocésain «Justice et Paix» qui poursuit les mêmes buts. Grâce à de telles initiatives, les chrétiens, contrairement à ce qu’auraient voulu les Frères musulmans et les autres extrémistes, ne se sont pas laissé entraîner dans une guerre civile, malgré les innombrables attaques qu’ont subies leurs églises et leurs institutions. «Tant la majorité musulmane que la minorité chrétienne ont compris que ces actes de terrorisme étaient dirigés contre leur patrie commune, l’Egypte». JB

 


 

Encadré

«Le gouvernement Morsi avait rapidement révélé sa vraie nature»

Si en Occident, des médias ou des gouvernements parlent encore aujourd’hui d’un coup d’Etat militaire contre Morsi, c’est oublier que le président déchu – élu à une courte majorité de 51,7 % des voix, grâce aussi à des fraudes massives – a rapidement révélé sa vraie nature. «Une marionnette dans les mains du guide suprême des Frères musulmans Mohamed Badie et de l’influent Khaïrat al-Chater, tacticien incontesté de la confrérie… En Occident, vous ne voulez pas comprendre ce qui s’est passé ici», confie à l’Apic Anba Makarios Tewfik, évêque copte catholique d’Ismaïlia, dans la zone du Canal de Suez. Durant des mois, au printemps 2013, les jeunes volontaires du mouvement «Tamarod» (rébellion), réclamant le départ de Morsi, ont récolté bien davantage de signatures que le nombre de votes obtenus lors de l’élection présidentielle de 2012. Partout dans le pays, évêques, prêtres, religieuses, laïcs engagés dans l’Eglise l’affirment sans détour: «Les chrétiens et la grande majorité des musulmans respirent depuis que les Frères musulmans ont été écartés du pouvoir». JB


Encadré

Le tourisme paralysé

Les attentats menés dans le nord du Sinaï par le groupe terroriste «Ansar Beit el-Maqdis»,  qui ont déjà causé la mort d’un demi-millier de soldats, de policiers et de civils, selon le gouvernement, paralysent le tourisme dans cette région jadis très fréquentée. Après s’être proclamés branche du Sinaï d’Al-Qaida, les djihadistes de «Ansar Beit el-Maqdis» (Les partisans de Jérusalem) ont fait allégeance à «Daech» (L’Etat islamique).

Le tourisme, qui représente 11% du PIB égyptien, est également sévèrement touché par les attentats de moindre ampleur qui visent très fréquemment commissariats, postes de contrôle des forces de sécurité et locaux commerciaux au Caire et dans le Delta. Ils sont souvent revendiqués, au Caire, par le groupe islamiste «Ajnad Masr» (Soldats d’Egypte). Depuis le début de la «révolution» en 2011 et les troubles qui ont secoué le pays et toute la région, de la Libye au Soudan, l’Egypte a perdu des millions d’emplois ainsi que les ressources provenant des travailleurs émigrés dans ces régions. A l’approche des élections législatives du printemps prochain, la tension continue de monter. Depuis que l’armée a destitué le président islamiste Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, les attaques de djihadistes se sont multipliées dans tout le pays.  JB

(*) Ce reportage a été réalisé au cours d’une mission d'»Aide à l’Eglise en Détresse» (AED). Depuis l’an 2000, cette œuvre d’entraide catholique internationale a financé des projets en faveur de l’Eglise égyptienne à hauteur de 6,5 millions d’euros. JB

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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