La famille de Salman Taseer, le gouverneur assassiné par un islamiste, refuse «le prix du sang»

Islamabad , 13 mars 2015 (Apic) La famille de Salman Taseer, gouverneur de la province pakistanaise du Pendjab assassiné le 4 janvier 2011 par l’un de ses gardes du corps, a refusé catégoriquement d’accepter «le prix du sang», une somme d’argent en échange de l’acquittement du meurtrier. L’offre a été faite le 10 mars 2015 par un groupement de partis politiques islamistes.

Salman Taseer était accusé par les islamistes d’être un «apostat» en raison de sa critique des «lois sur le blasphème», une législation controversée, pierre angulaire de la discrimination et de la persécution étatique des minorités religieuses. Son assassin bénéficie du soutien affiché de centaines de leaders religieux musulmans pakistanais.

Les «lois sur le blasphème», pierre angulaire de la discrimination et de la persécution

La famille de Salman Taseer a déclaré qu’elle était toutefois prête à un dialogue avec ces partis, non pour négocier «le prix du sang», mais pour ouvrir un débat sur les «lois sur le blasphème», un sujet extrêmement sensible au Pakistan.

Le 9 mars dernier, la Haute Cour d’Islamabad statuait sur le procès en appel de Mumtaz Qadri, le garde du corps de Salman Taseer. L’assassin avait abattu son patron d’une rafale de Kalachnikov avant de revendiquer son geste comme le châtiment mérité pour «un apostat indigne de se dire musulman». Il était «coupable» d’avoir soutenu «la blasphématrice Asia Bibi», une jeune femme chrétienne condamnée à mort sous l’accusation, fabriquée à base de faux témoignages, de blasphème envers l’islam.

A la surprise de beaucoup au Pakistan, où l’on s’attendait à voir les juges revenir sur la peine de mort prononcée en première instance à l’encontre de Mumtaz Qadri, la Haute Cour a confirmé la sentence capitale. Seule la qualification d’acte terroriste retenue contre le meurtrier lors de sa condamnation, le 1er octobre 2011, par les juges de Rawalpindi, a été abandonnée. Ce procès en appel, ajourné en janvier dernier tant l’affaire est sensible, s’est déroulé sous haute sécurité, les autorités craignant les manifestations des partisans de Mumtaz Qadri.

L’assassin est membre du parti islamiste «Dawat-e-Islami»

Les soutiens de Mumtaz Qadri, membre du parti islamiste «Dawat-e-Islami, ont déclaré qu’ils porteraient l’affaire devant la Cour suprême, comme le Code de procédure pénale leur en donne le droit. Ils ont également proposé à la famille du gouverneur assassiné «le prix du sang», à savoir l’acceptation par les proches de la victime d’une somme d’argent en échange de l’arrêt des poursuites judiciaires contre le coupable.

Mardi 10 mars, ce ne sont pas les responsables de ce parti qui se sont exprimés en faveur de l’assassin, mais ceux d’autres partis appartenant à la même école Barelvi, branche du sunnisme majoritaire au Pakistan, rapporte «Eglise d’Asie» (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP). Quatre partis soutiennent Mumtaz Qadri: le «Jamiat Ulema-i-Pakistan» (JUP), le «Jamaat Ahle Sunnat», le «Pakistan Sunni Tehreek» et la «Pakistan Sunni Alliance».

«Un affront à la mémoire de mon père»

Le 11 mars dernier, Shaan Taseer, fils aîné du gouverneur assassiné, a répondu par ces mots: «Au nom de ma famille, je déclare dans les termes les plus clairs qu’une telle offre ne peut être perçue que comme un affront à la mémoire de mon père, qui a donné sa vie pour défendre un principe. Il ne saurait y avoir aucune discussion au sujet du ›prix du sang’ avec moi ou aucun membre de ma famille. Par conséquent, [ces quatre partis politiques islamistes] sont instamment priés de ne pas laisser penser qu’une telle offre peut être faite».

Shaan Taseer a souligné que si ces partis politiques étaient «prêts pour un vrai dialogue sur l’affaire Mumtaz Qadri», il devrait inclure un débat sur la loi sur le blasphème, mais pas sur le prix du sang. «Au cas où ces partis envisagent ›un vrai débat’, ils doivent en premier lieu condamner le recours à la violence ou à la menace à l’encontre des personnes ou des partis qui ne partagent pas leur point de vue».

Les partis islamistes invités à condamner le recours à la violence

Dans un pays profondément divisés où chacun, de l’homme de la rue aux parlementaires en passant par les leaders d’opinion et les intellectuels, se garde d’exprimer son opinion sur les lois anti-blasphème par crainte des dangers dont les menacent les extrémistes, le fils du gouverneur assassiné a invité ces partis religieux à faire face «aux graves dangers que l’extrémisme fait aujourd’hui peser sur notre pays».

Des propos particulièrement courageux de la part d’un membre d’une famille qui a payé un lourd tribut à l’extrémisme à l’œuvre dans le pays: outre la mort de leur père, un des fils de la famille, Shahbaz Taseer, a passé un an et demi retenu en captivité par un groupe de talibans. Enlevé le 26 août 2011 à Lahore, il a recouvré la liberté le 17 février 2013, avant de devoir s’expatrier.

Concernant la peine de mort confirmée en appel pour Mumtaz Qadri, la presse locale écrit que la perspective de le voir exécuté par pendaison est encore lointaine. Outre le fait qu’il n’a pas épuisé tous les recours judiciaires, il a vu sa condamnation pour acte terroriste levée.

Levée du moratoire sur la peine de mort

Or, depuis l’attaque islamiste menée en décembre dernier à Peshawar contre une école gérée par l’armée – l’attaque la plus meurtrière de l’histoire récente du pays avec 145 morts, dont 132 enfants –, le gouvernement a levé le moratoire qu’il observait depuis 2008. Depuis le 19 décembre dernier, vingt-cinq condamnés à mort, tous pour crime de terrorisme, ont été pendus. Le 10 mars, le ministre de l’Intérieur Chaudhry Nisar a cependant déclaré que désormais le moratoire était entièrement levé, ce qui signifie que la totalité des condamnés à mort sont désormais susceptibles d’être exécutés.

Le Pakistan compte 8’000 condamnés dans les couloirs de la mort de ses prisons – l’un des chiffres les plus élevés de la planète – et un millier d’entre eux ont épuisés tous leurs recours, y compris une éventuelle grâce présidentielle. Ils ont été condamnés pour terrorisme ou des crimes d’homicide, de viol, de haute trahison ou de blasphème. (apic/eda/ra/be)

Jacques Berset

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