Le patriarche Sidrak: «Je me sentais étranger dans mon propre pays»

Sharm el-Sheikh/Le Caire, 20 mars 2015 (Apic) «Sous le régime des Frères musulmans, comme patriarche, je me sentais étranger dans mon propre pays. Les Frères voulaient changer la culture du pays, et nous n’y aurions plus eu de place!», déclare Mgr Ibrahim Isaac Sidrak dans une interview accordée à l’Apic (*).

Le patriarche d’Alexandrie des coptes catholiques l’affirme sans ambages: la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013, suite à un immense mouvement populaire de rejet, a été approuvée par l’immense majorité des Egyptiens. «Pour la plupart des musulmans égyptiens, aussi, Morsi devait partir. Ils pensent la même chose aujourd’hui!»

Les chrétiens égyptiens ne voyaient pas d’avenir sous Morsi

Quant aux chrétiens égyptiens, ils ne voyaient pas d’avenir avec ce régime. En effet, les Frères musulmans voulaient inscrire les chrétiens dans la position de ‘dhimmis», c’est-à-dire, suivant le droit musulman, leur imposer le statut discriminatoire des non-musulmans en terre d’islam. Les Frères qualifiaient d’infidèles tous ceux qui n’étaient pas avec eux, même les musulmans qui ne partageaient pas leurs vues.

Arrivés au pouvoir, eux, qui étaient considérés comme des «hommes de Dieu», ont perdu leur crédibilité au bout de quelques mois. «Ce bref passage aux affaires les a démasqués et le peuple a pu voir leur vrai visage. Morsi ne s’est pas comporté comme le président de tous les Egyptiens, mais comme le représentant des seuls Frères musulmans, un jouet dans les mains de Mohamed Badie, le guide suprême de la Confrérie».

Mgr Sidrak insiste pour dire que ce ne sont pas seulement les chrétiens – qui se sentaient tous les jours menacés – mais également la grande majorité des musulmans qui souffraient de ce régime. Si nombre d’entre eux avaient donné leur voix à Morsi, ils ont été rapidement déçus. «Ils disaient: cela, ce n’est pas l’Egypte! Ainsi, il est totalement faux de présenter la crise égyptienne comme résultant d’un antagonisme entre chrétiens et musulmans. Des politiciens et des médias ont instillé la méfiance entre les communautés. Des intellectuels, à Al-Azhar (qui s’affirme la plus haute autorité de l’islam sunnite, ndlr), sont responsables d’avoir publié des livres enseignant le mépris envers les non musulmans, affirmant la supériorité de l’islam».

La violence des Frères musulmans

«Les Frères musulmans étaient violents envers les gens, ils menaçaient tous ceux qui ne partageaient pas leurs vues. Il y a eu un moment où les militaires ont entendu la voix du peuple. Si les militaires n’avaient pas été du côté du peuple, ce dernier aurait été facilement écrasé. C’est la grande majorité du peuple qui a demandé le soutien et l’intervention de l’armée».

Abdel Fattah al-Sissi, qui avait été nommé ministre de la Défense par le président Morsi, lui avait pourtant demandé d’écouter le peuple, poursuit le patriarche copte catholique. «Mais il ne voulait rien entendre. Il s’était entouré de Frères musulmans, et c’était là une menace constante contre les chrétiens. On appliquait déjà la charia dans les quartiers et les villages… Il ne fallait pas s’attendre à autre chose, quand on connaît la mentalité des islamistes. Leur notion de la démocratie est différente de la nôtre!»

«Daech (»l’Etat islamique» EI, ndlr) et les Frères musulmans, c’est la même mentalité. La situation aurait certainement encore dégénéré davantage si Morsi était resté au pouvoir. Sans aucune expérience de gouvernement, les Frères musulmans étaient allés trop loin. Au Parlement, ils discutaient d’éventualité comme celle de marier les filles à l’âge de 9 ans, d’instaurer partout la charia, la loi islamique».

Des islamistes ralliés aux organisations terroristes internationales

Le patriarche Sidrak déplore la radicalisation des milieux islamistes qui se sont ralliés aux organisations terroristes internationales. Ils bénéficient de sympathies et de soutiens dans des pays comme le Qatar ou la Turquie, mais également un peu partout dans le monde où les Frères musulmans ont tissé leurs réseaux. «Cela est dû en partie à la crise de l’islam, mais également à la volonté de quelques grands Etats qui veulent depuis longtemps redessiner la carte du Moyen-Orient, et pour cela affaiblir l’Irak, la Syrie, le Yémen. Il s’agissait également dans ce projet d’affaiblir l’Egypte. Est-ce que l’Amérique a vraiment libéré l’Irak… La source majeure de l’intervention dans cette région, c’est de mettre la main sur les ressources pétrolières. Mais il en est résulté le chaos, et la menace terroriste est devenue mondiale. Le risque est également présent en Occident, se nourrissant de graves problèmes sociaux, du chômage, de la frustration d’une frange de la jeunesse».

En août 2013, assure le chef de l’Eglise copte catholique, ce sont toutes les confessions chrétiennes qui ont été attaquées. «Dans la seule journée du 14 août, les fanatiques ont saccagé et incendié une bonne centaine d’églises, d’écoles, d’institutions chrétiennes, sans parler de toutes les maisons, les boutiques et les commerces appartenant à des chrétiens. Ce n’était pas une action spontanée: les islamistes avaient apposé, à l’avance, des signes sur les objectifs à détruire. Les brigands et les terroristes n’ont pas fait que brûler. Auparavant, ils avaient volé et pillé tout ce qu’ils pouvaient emmener!»

Des policiers torturés à mort

«Ils ne voulaient plus les chrétiens en Egypte, seulement leurs biens, car ils prétextaient que les chrétiens étaient derrière la destitution de Morsi». Il relève que de nombreux policiers et soldats ont été tués par les partisans de Morsi, comme les 11 policiers du commissariat de Kerdassa, à la périphérie du Caire, filmés quand ils étaient torturés à mort. Si des dizaines de policiers et de soldats ont perdu la vie lors de l’évacuation des places de Rabaa al-Adawiya, à Medinat Nasr, et Nahda, à Guizeh, occupées par les partisans du président déchu, c’est bien parce que nombre de ces manifestants étaient armés…»

S’il y a davantage d’optimisme aujourd’hui qu’il y a deux ans en Egypte, affirme le patriarche Sidrak, «l’arrivée au pouvoir du président Sissi ne peut pas tout résoudre d’un jour à l’autre. Ce serait injuste de tout attendre de lui: tant l’Etat que la société égyptienne doivent être purifiés de la corruption et des abus de pouvoir». Les difficultés économiques et le manque d’avenir poussent de nombreux Egyptiens, musulmans et chrétiens, à émigrer, et les départs se sont accélérés. Des familles coptes catholiques par centaines se sont installées ces dernières années, par exemple à Montréal et à Toronto. JB


Encadré

En matière d’œcuménisme, il y a encore loin de la coupe aux lèvres

Au niveau œcuménique, avec l’arrivée à la tête de l’Eglise copte orthodoxe du pape Tawadros II en novembre 2012, les relations se sont beaucoup améliorées… «après quarante ans d’exclusion des coptes catholiques!»

«Si le peuple chrétien n’est pas divisé à la base, le problème vient de la hiérarchie. Le pape Tawadros est un patriarche spirituel, et au niveau personnel, il est doux et très respectueux. Mais le problème vient de son entourage, qui est très difficile», note Mgr Sidrak. La majorité des évêques coptes orthodoxes, nommés par feu le pape Shenouda, est de tendance conservatrice. Ainsi les questions de fond restent, comme le ‘rebaptême’.

«Il serait très important de reconnaître, concrètement, que nous et nos frères coptes orthodoxes partageons le même baptême». L’Eglise copte orthodoxe a en effet pour pratique de rebaptiser les nouveaux membres provenant de l’Eglise catholique. Le patriarche Tawadros pourrait, laisse-t-on entendre, inscrire la question à l’ordre du jour d’un futur synode.

«Quarante ans d’exclusion ne s’effacent pas du jour au lendemain. Nombre d’évêques coptes orthodoxes véhiculent encore l’idée que les coptes catholiques sont des étrangers. Ce ne sont pas les autres catholiques qui font problème, ce sont les coptes catholiques, qui ne sont que 250’000 face aux quelque 8 millions de coptes orthodoxes. Quand ils quittent leurs villages de Haute-Egypte, beaucoup de coptes catholiques vont dans les paroisses orthodoxes, et nombre d’entre eux deviennent orthodoxes lors de leur mariage». Le patriarche Ibrahim Isaac Sidrak espère que le pape François puisse venir en Egypte, car la visite du pape Jean Paul II en février 2000 avait été très bien perçue, également par les musulmans. «Une telle visite pourrait avoir aussi des effets très positifs pour nos relations avec le pape Tawadros». JB

 


Encadré

Les médias internationaux donnent le ton

«Au plan international, l’image de l’Egypte est trompeuse. On parle de Morsi comme d’un président élu démocratiquement qui aurait été renversé par un coup d’Etat militaire… C’est mal comprendre ce qui s’est passé, notamment les fraudes électorales et la grande mobilisation populaire qui ne voulait plus de ce régime. Nous avons été libérés des terroristes, comme le dit la majorité des musulmans modérés, qui se sont rendu compte du danger représenté par l’islam politique véhiculé tant par les Frères musulmans que par les salafistes et la Jamaa Islamiya».

Certes, admet le patriarche Sidrak, sans parler des fraudes électorales avérées, Mohamed Morsi n’a été élu que par une petite majorité. L’autre candidat, le général Ahmed Chafik, ancien Premier ministre d’Hosni Moubarak (du 31 janvier au 3 mars 2011, ndlr), était vu comme la continuité de l’ancien régime. «Les Frères musulmans avaient dit publiquement que si Chafik était élu, l’Egypte allait brûler! Les gens ont eu peur de la violence. Dès qu’il est arrivé au pouvoir, Morsi n’a pas choisi de gouverner de façon démocratique; il a écarté tous ceux qui n’étaient pas membres de la Confrérie, puis s’est entendu avec le Hamas, le Qatar, la Turquie. Il voulait commencer à diviser l’Egypte: il y avait des discussions pour donner le Sinaï au Hamas, vendre le Canal de Suez au Qatar, une partie du Sud de l’Egypte au Soudan…»

Face aux réalités du terrain, se demande-t-il, «où les journalistes occidentaux puisent-ils leurs informations ? C’est Al-Jazeera, la télévision du Qatar, pays qui soutient les Frères musulmans, qui donne le ton. Beaucoup de journalistes occidentaux se sont contentés, dans un premier temps, de reprendre tout simplement les informations de la télévision qatarie, une chaîne complice des islamistes, qui diffusait de fausses informations. Il faut bien admettre que, professionnellement, la télévision égyptienne n’est pas à la hauteur d’Al-Jazeera». (apic/be)

(*) Interview accordée le 15 février 2015 lors de l’inauguration de Notre-Dame de la Paix à Sharm el-Sheikh, la première église catholique construite dans le gouvernorat du Sinaï Sud.

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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