Le programme du sultan

Jean-Blaise Fellay

De hautes personnalités politiques européennes ont affirmé que le programme de l’État Islamique était délirant: «Cela n’a rien à voir avec l’Islam. C’est le fait de gens incultes et fanatiques qui ne savent rien de l’histoire et de la civilisation musulmanes». Affirmation forte mais malheureusement inexacte.

Prenons par exemple Mehmed II (1432-1481), célèbre pour s’être emparé de Constantinople en 1453 et d’avoir ainsi mis fin à un empire byzantin chrétien vieux de plus d’un millénaire. Mehmed était sultan, fils de sultan, parlait le turc, l’arabe et le persan, il connaissait probablement du grec et du latin. Il était écrivain, composait des poèmes, s’était entouré d’une cour raffinée. La prise de Constantinople faisait partie d’un plan mûrement réfléchi. Il voulait s’emparer de la ville pour y installer la capitale de son propre empire, dont il sera le chef à la fois politique et religieux.

Après un dur combat, il pénètre dans la cité, massacre les derniers défenseurs, dont l’empereur Constantin XI, dont on ne retrouvera jamais le cadavre. Il entre dans Sainte-Sophie, la plus grande église de la chrétienté, piétine l’autel pour le désacraliser, et la transforme en mosquée. Il se bâtit un palais princier aux environs, s’affirmant ainsi le successeur du prestigieux Empire byzantin.

Les Ottomans musulmans, dont il est le chef, tiennent déjà l’ouest de la Turquie actuelle et une partie des Balkans. Il envoie ses généraux vers ce qui reste de la Grèce. Ils s’emparent de l’Eubée, massacrent la population de sa capitale Négroponte, possession vénitienne, n’épargnant qu’un certain nombre de jeunes filles de moins de quinze ans. Mehmed II annonce son intention de vider l’Europe des disciples du Christ. C’est ainsi qu’une expédition se dirige vers l’Italie en 1480 et prend le port d’Otrante. La ville se défend mais elle est submergée par des forces largement supérieures. Selon les chroniqueurs chrétiens, les soldats sont tués, le chef de la garnison scié vif, les prêtres crucifiés. Le monastère voisin est pillé et sa bibliothèque, qui passe pour une des plus riches de son temps, brûlée. Quelques huit cents habitants, qui s’étaient réfugiés sur une hauteur voisine, sont exécutés pour avoir refusé de se convertir à l’islam. Ils seront plus tard honorés comme martyrs et leurs ossements recueillis dans la cathédrale de la ville.

Le roi de Naples et le pape s’inquiètent. Ils comprennent que l’Italie et surtout Rome sont visés. C’est effectivement l’objectif du sultan. Il faudra du temps pour que Ferdinand d’Aragon et le pape parviennent à organiser une défense efficace. Les Ottomans tenteront cette conquête de l’Europe jusqu’au siège de Vienne en 1683.

Il y a quelques semaines, l’État islamique en Lybie l’a évoquée à nouveau.

Cela peut paraître fantasmatique et irréaliste, mais ce sont précisément de telles visions qui enchantent les nostalgiques de la grande épopée arabe ainsi que les adolescents nouvellement convertis. L’État Islamique en Irak et en Syrie est moins une caricature que le réveil d’un vieux songe qui est en train de tourner au cauchemar. Et n’oublions pas que Mehmed II reste une référence pour le président turc Erdogan, qui souhaite redonner Sainte-Sophie au culte musulman.

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