«Nous devons nous interroger sur le lien qui nous unit à la création»

Fribourg, 10 juin 2015 (Apic) Pour le théologien moraliste fribourgeois Thierry Collaud, la prochaine encyclique du pape François s’inscrit dans l’évolution de l’enseignement social de l’Eglise qui étend sa solidarité jusqu’à la création. Pleinement intégré et fondamentalement distinct, l’homme est appelé à poursuivre l’œuvre de Dieu qui, du chaos, a fait surgir l’harmonie.

D’après vous, pourquoi le pape François consacre-t-il la première encyclique écrite de sa main à l’écologie?

La publication d’une encyclique consacrée à l’écologie est liée au contexte actuel auquel l’Eglise n’est pas indifférente. La sensibilité écologique s’est avivée à partir du moment où l’on avait la possibilité de détruire la création. La crise environnementale actuelle, le réchauffement climatique, ou la disparition des espèces constituent un signe des temps face auquel l’Eglise doit prendre position. L’enseignement social de l’Eglise a connu de multiples évolutions en fonction du contexte. Avec François, il ouvrira peut-être le volet de la création.

La justice sociale s’étendrait donc à la création?

Chez les philosophes grecs, la justice est le respect d’un ordre qui est le prolongement de l’harmonie du cosmos. Transposée dans une perspective biblique, la justice cosmique s’exprime comme «dominer et soumettre» la terre (Gn 1, 28). Cela ne signifie pas ‘faire ce que je veux de la création’, mais s’inscrire dans la sortie du chaos réalisée par Dieu. Pendant six jours, Dieu s’est attelé au jaillissement du monde, à sa mise en ordre. L’homme a pour vocation de poursuivre cette œuvre.

«Laudato si«, le titre de l’encyclique, est tiré du Cantique des créatures de saint François d’Assise. Il évoque en lui-même une caractéristique de cette justice. Rendre justice à la création c’est lui donner ce qu’elle attend de l’homme: «La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu», écrit saint Paul (Rm 8, 19). Bonaventure, Vatican II ou Jürgen Moltmann y ont vu la belle tâche pour l’homme de s’associer et de faire monter vers Dieu en action de grâce la louange de la création – le cri d’un oiseau ou la beauté d’un lac. Nous sommes dans une perspective eucharistique: rendre grâce pour et avec la création toute entière.

Une perspective unilatérale?

Non, la création nous aide aussi. Nous sommes dans une interaction. Voyez l’exemple de saint François: il écrit son cantique en pleine tourmente, il est malade et en difficulté avec sa communauté. La création l’aide, elle l’apaise.

Nous devons aller jusqu’à nous interroger sur la communauté que nous formons avec la création. Du fait de notre état de créature, nous y participons et cette solidarité est existentielle, ombilicale. En même temps, la perspective chrétienne indique une spécificité de l’homme qui le distingue de la nature.

L’homme n’est donc pas qu’une créature comme les autres?

Je maintiens un anthropocentrisme contre la tendance à dire que l’homme ne se différencie pas des autres animaux. Il y a un saut rationnel et spirituel qui est spécifique de l’humain par rapport à tout ce qui l’entoure. Toute la question est de savoir ce qu’il fait de cette différence qui lui a notamment octroyé la capacité d’anéantir la planète.

Si on nie cette différence, l’homme ne serait qu’un singe évolué qui aurait pris trop de pouvoir et qu’il faudrait supprimer – cela me rappelle une photo d’une manifestante américaine devant le Capitole qui brandissait une pancarte: «Save the planet, kill yourself!» (Sauve la planète, suicide-toi!). Si, au contraire, on reconnait cette spécificité, celle-ci confère à l’homme une grande responsabilité: la sauvegarde de ce qu’il a reçu des générations précédentes et sa transmission. En d’autres termes: le respect de la création.

Pour autant, le christianisme qui soutient cette distinction n’a pas toujours été sensible au souci de la création…

En désacralisant la nature, le christianisme a certes créé l’argument herméneutique pour une possible destruction de la nature. En «mettant» Dieu au ciel, il a ouvert une possibilité d’appréhender la nature comme débarrassée d’interdits et de tabous – ce qui, par ailleurs, a permis le progrès des sciences, de l’anatomie ou de la médecine.

Avec la révolution copernicienne, on franchit un pas de plus. Le monde n’est plus ordonné: tout devient homogène, égal. Est-ce dû au christianisme? Je ne sais pas, mais j’ai l’impression que s’il a permis cela, c’est en tout cas une déviation qu’il n’a pas voulue.

Cependant, théologiquement, le rapport à la création a toujours été positif dans la tradition chrétienne, des psaumes à l’art roman ou baroque. Le respect de la création est consubstantiel au message chrétien. Dans la Tradition de l’Eglise, la tradition franciscaine est éminemment écologique. Or cette sensibilité se conscientise davantage après la révolution industrielle sans pour autant faire la place encore à une véritable théologie de la création. Celle-ci n’est apparue qu’à la fin du XXe siècle et on peut espérer que la prochaine encyclique de François contribue à l’intégrer davantage.


Encadré: Thierry Collaud

Thierry Collaud, docteur en médecine (Genève) et docteur en théologie (Fribourg) a également étudié la philosophie et la bioéthique à l’Université de Georgetown (USA). Il est professeur à la faculté de théologie de l’Université de Fribourg, titulaire de la chaire de théologie morale spéciale et d’éthique sociale chrétienne. (apic/pp)

Pierre Pistoletti

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