Prédicateur : Mgr Charles Morerod
Date : 28 juin 2015
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio
Nous entendons dans la deuxième lecture : « Vous avez tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu » (2 Corinthiens 8,7). Saint Paul n’hésite jamais à affirmer haut et fort sa joie d’être croyant, et son assurance dans la foi. Il fait ainsi écho à ce Jésus par qui il a été saisi sur le chemin de Damas, Jésus qui se proclame « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14,6), qui affirme avoir existé avant Abraham (cf. Jean 8,58) et qui relit la Loi de Moïse en ponctuant son discours de « On vous a dit, moi je vous dis » (cf. Matthieu 5). L’assurance de S. Paul consiste à croire que le Christ parlait sérieusement…
Nous avons en abondance la connaissance de Dieu, vraiment ?
Ne risquons-nous pas de nous prendre trop au sérieux, avec notre foi, de nous croire meilleurs que les autres ? C’est une question qu’on nous pose sans cesse… Et Jaïre, après la guérison de sa fille, il se prenait trop au sérieux en remerciant Jésus ?
Avec saint Paul, avec Jaïre et sa fille guérie, prenons conscience des biens de notre foi, et de leur origine ! Nous risquons de trop nous regarder nous-mêmes, avec nos évidentes limites et nos péchés. Si nous confondons notre foi avec nous-mêmes, alors nous relativiserons « la foi, la Parole, la connaissance de Dieu », sous prétexte que nous ne sommes pas meilleurs que les autres… Mais le don de Dieu n’est pas à notre mesure, et Dieu peut surmonter nos limites et nos péchés. D’ailleurs, s’il ne le pouvait pas, où serait notre espoir ?
La deuxième lecture de ce dimanche continue. Elle nous précise que ces biens de la foi sont des biens justement à cause de leur origine : « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous » (2 Corinthiens 8,9). On mesure le don de Dieu au prix qu’a payé le Christ : il s’est fait pauvre à cause de nous, et quelle pauvreté – jusqu’à la mort sur la croix. Sous-estimer le don de Dieu, c’est dire au Christ qu’il est mort pour pas grand-chose. Or il savait ce qu’il voulait pour nous, comme le dit la suite du texte de saint Paul : « Pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Cor 8,9). C’est depuis le début l’intention de Dieu, qui – nous dit la première lecture de cette messe – « a créé l’homme pour l’incorruptibilité, (…) a fait de lui une image de sa propre identité » (Sagesse 2,23).
A cause de ce que nous sommes – images de Dieu – nous avons en nous une soif que ce monde, ce si beau monde, ne peut apaiser. Comme le dit saint Augustin , puisque Dieu nous a faits pour lui – en mouvement vers lui – notre cœur est sans repos aussi longtemps qu’il ne repose en Dieu. Songeons à notre soif de bonheur, d’amour, de vérité : notre expérience et toute l’histoire montrent que nous en aimerions toujours plus, de ce bonheur, de cet amour, de cette vérité. Faut-il se dire que c’est illusoire, et sombrer dans le cynisme d’un monde souvent désabusé ?
Ce désir infini est dans le cœur de chaque homme. Son non-accomplissement remplit tant de cœurs de tristesse ou d’amertume : on pourrait méditer sur l’effet dans l’histoire et dans le monde de la tristesse intérieure qui vient de ne pas connaître Dieu, et d’en chercher désespérément des substituts dans toutes sortes d’idoles illusoires : argent, drogue, recherche effrénée de plaisirs, de distractions… Mais Dieu ne nous abandonne pas, il continue à nous offrir son amour, qui est le but même de notre création. Il vient à nous, le Fils de Dieu se fait pauvre pour pouvoir aller chez la fille malade de Jaïre et chez chacun de nous.
Accepterons-nous cette visite du Fils de Dieu ? Rappelons-nous les paroles du pape à propos de l’invitation à rencontrer le Christ : « J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (Evangelii Gaudium, § 3). Et le pape François continue en précisant l’effet de cette rencontre : « C’est seulement grâce à cette rencontre – ou nouvelle rencontre – avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence » (Evangelii Gaudium, § 8).
Voilà le programme : si nous sommes centrés sur la personne de Jésus-Christ et non plus sur nous-mêmes, si nous n’enfermons pas le Christ dans les limites de notre conscience isolée et de notre auto-référence, si nous entretenons une relation personnelle avec Dieu et pas seulement avec des idées sur Dieu, alors nous pourrons dire avec saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Galates 2,20). Quelle différence !
Si je suis centré sur moi-même, je vois aussi mon péché, mes limites etc. Et si je regarde la foi à la lumière de moi-même, comment pourrais-je dire que j’ai en abondance la connaissance de Dieu ? Je me regarderai moi-même avec ma terrible insuffisance à cet égard. Je ne suis pas meilleur que les autres, ceux qui croient autre chose…
Mais si c’est le Christ que je regarde dans la foi, le Fils de Dieu qui est venu à nous pour nous donner la vie de Dieu, et qui pour cela est descendu jusqu’à la croix, alors c’est son don que je verrai comme Jaïre a vu la guérison de sa fille. Comme il le dit lui-même à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire » (Jean 4,10).
Oui, nous pouvons dire, au moment où nous allons proclamer ensemble la foi que l’Eglise nous transmet depuis Jésus : nous avons « tout en abondance, la foi, la Parole, la connaissance de Dieu ». Nous pouvons le dire parce que nous ne nous regardons pas nous-mêmes, nous regardons le Christ, que nous allons recevoir ici même, dans l’eucharistie. Nous pouvons être heureux de notre foi, parce que nous ne disons pas à Jésus que le don qu’il nous a fait par sa mort est misérable. Nous, pauvres pécheurs, nous pouvons être heureux de notre foi parce que nous ne croyons pas Dieu prisonnier de nos propres limites !
Lorsque nous proclamons la foi, souvenons-nous toujours que « ce trésor, nous le portons en des vases d’argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous » (2 Corinthiens 4,7). Nous ne confondons pas le trésor avec le vase que nous sommes. Et comme ce trésor est abondant, nous dit enfin saint Paul, il fait déborder notre cœur, et ce que nous avons en abondance soulagera aussi matériellement la misère des autres. C’est de l’abondance du don de Dieu que surgit l’amour mutuel des chrétiens, leur amour pour tous les hommes que Dieu aime, cet amour qui transforme le monde.
13e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Sagesse 1, 13-15 ; 2, 23-24; Psaume : 29; 2 Corinthiens 8, 7.9.13-15; Marc 5, 21-43