Homélie du 08 mars 2015

Prédicateur : Abbé Guy-Michel Lamy
Date : 08 mars 2015
Lieu : Eglise du Sacré-Coeur, paroisse de langue française, Bâle
Type : radio

« Vous êtes le Temple de Dieu »

Frères et Sœurs,

Quelle merveille que ce Temple de Jérusalem! Le deuxième de l’histoire du peuple juif, le premier, appelé Temple de Salomon, ayant été pillé et ruiné par les

Babyloniens, comme la ville de Jérusalem, en 586 avant J.-C.

Quelle merveille que ce deuxième Temple construit petit à petit au cours des siècles, mais surtout agrandi et embelli par Hérode le Grand qui engagera même un millier de prêtres, formés comme maçons, pour les faire travailler dans les parties du Temple interdites au profane. Ah! le sacré! Paul Ricœur parlera de son ambivalence…

Quelle merveille que ce Temple qu’aura connu Jésus avec des centaines et des centaines de prêtres et de lévites vaquant à son bon fonctionnement: 600 prêtres… et 300 lévites…, infiniment plus qu’à Saint-Pierre de Rome, le tout dans un périmètre de 1500 mètres. Et à l’intérieur de ce périmètre: des espaces ouverts, appelés parvis, allant du moins sacré au plus sacré:

à chacun sa case!

Ici ou là, des plaques de marbre indiquaient aux païens les limites à ne pas dépasser, sous peine de mort. Paul lui-même, pourtant ancien pharisien, sera ainsi arrêté dans le Temple sous le motif évoqué dans les Actes des Apôtres, au chapitre 21: « …il a même introduit des Grecs dans le Temple et profané ce saint Lieu ».

« Sacré », « profane »; « pur », « impur »: on n’en sort pas!

Quelle merveille que ce Temple de Jérusalem qui sera malheureusement détruit à son tour moins de 40 ans plus tard, mais par les Romains cette fois. C’était le 27 août 70. Et j’aime à relire ce passage du livre que Maurice Vallery-Radot m’avait dédicacé chez lui, dans sa maison de l’Yonne, il y a 14 ans:

« Attaqué dès le 27 août, le Temple résiste à l’action des béliers et à l’assaut des hommes. Les légionnaires s’en prennent alors aux portails qu’ils brûlent. Le feu se communique aux boiseries et c’est le début de l’embrasement. La fournaise éclaire au loin la nuit qui tombe et sème l’épouvante dans la population. Titus (le futur empereur) ne se résout pas à « voir réduit en cendres un monument d’une telle beauté… susceptible de constituer un ornement de l’Empire » (Flavius Josephe, Guerre des Juifs).

Il veut arrêter la catastrophe. Accompagné de son état-major, il court sur les lieux du sinistre et pénètre à l’intérieur du Temple encore intact. Il est émerveillé par la splendeur du spectacle qui s’offre à ses yeux. Il donne l’ordre d’arrêter l’incendie. C’est trop tard. Pour la première fois, il n’est pas obéi.

Dans l’ivresse d’une victoire si chèrement acquise, l’heure est désormais à la haine, au meurtre et à la vengeance. Le pillage le plus atroce se déchaîne sur la ville accablée… Les ruines du Temple et la ville sont rasés après leur incendie… Ainsi disparut sur une scène d’apocalypse Jérusalem, cette superbe ville, reine de l’Orient, qui, seule au monde, avait adoré le Dieu unique, mais qui avait refusé, au cours des années 30 de ce Ier siècle, de croire à la Révélation du mystère de Son Verbe incarné » (1)

Quelle tristesse, quelle tragédie que cette destruction ! Quelle tristesse, quelle tragédie que ces ruines!

Si cela devait arriver à la basilique Saint-Pierre de Rome que les bombardements américains sur la Ville éternelle avaient sciemment évitée (« Attention, avait déclaré un des chefs alliés dont j’oublie le nom, le Pape a des amis haut-placés ! »), comment réagirions-nous?

Si cela devait arriver à nos célèbres cathédrales romanes et gothiques, à nos églises et chapelles baroques, comment réagirions-nous?

Ce Temple, Jésus l’aimait et le connaissait depuis que ses parents l’y avaient présenté à Dieu tout bébé, achetant même deux petites colombes pour les offrir en sacrifice. A l’âge de 12 ans, il l’appelait déjà, devant ses parents incrédules, « la maison de mon Père ». Et même si partout en Israël il lui restait, comme à tout Juif, les synagogues; à commencer pour lui celle de Capharnaüm, il aimait à marcher 200 km aller et retour pour s’y rendre à l’occasion des grandes fêtes du judaïsme. Jésus: un pratiquant ! Un laïc pratiquant, comme vous, mes Frères! Mais un laïc pratiquant qui, à l’instar du prophète Jérémie, peu avant la destruction du premier Temple, se révolte contre un ritualisme extérieur si facile, si superficiellement rassurant et, dans le fonds, si commun à tous les paganismes avoués ou non avoués ; comme d’aucuns se révolte encore aujourd’hui contre le côté kitsch et commercial de certains lieux de pèlerinage. Et, personnellement, j’en sais quelque chose.

Frères et Sœurs, les chrétiens des quatre premiers siècles n’avaient pas d’église et célébraient l’eucharistie à domicile. A la Révolution française, alors que Notre-Dame de Paris était consacrée au culte de la déesse Raison et que les messes étaient interdites en France (elles le seront pendant une dizaine d’années), des chrétiens se réunissaient pour des messes célébrées secrètement dans des granges, j’allais dire dans des « crèches », comme ce sera encore le cas, 120 ans plus tard, dans certaines de nos régions à l’occasion du « Kulturkampf ».

Dans une de ses homélies, l’abbé Zundel avait un jour déclaré: « Songez que toutes les cathédrales du monde, toutes les basiliques, toutes les églises n’ont jailli du sol que pour enclore cette miette de pain, cette goutte de vin où le Seigneur dans son vêtement de suprême humilité se communique à nous, demeure en nous pour nous transformer en Lui » (2)

Le temple matériel est une chose et une chance, parce que c’est une commodité, mais il n’est rien par rapport au temple spirituel. Et « avec Jésus le lieu de la présence divine n’est plus quelque chose, mais quelqu’un ». Quelqu’un en quelqu’un, en chacun de nous qui l’accueille en son âme et conscience, mais pas sur la base d’un miracle, comme nous le rappelle l’évangile de ce jour. Dans le fond, croire, c’est ne pas croire sur la base d’un miracle. C’est croire pour rien, c’est croire quand même.

« Vous êtes le Temple de Dieu », écrit saint Paul dans sa lettre adressée aux Corinthiens (3, 16-17); « Votre corps est le Temple du Saint-Esprit » (6,19-20);

« Vous êtes le corps du Christ » (12, 27).

Et saint Augustin de préciser: « Quand le prêtre vous dit Le Corps du Christ, vous répondez Amen à ce que vous êtes dans le Christ ».

Dans un livre qu’il vient de publier, le grand théologien français Bernard Sesboüe nous rappelle qu’ « on ne grandit pas Dieu… en abaissant l’homme ».

Et savez-vous quel titre il a donné à son ouvrage: « L’homme, merveille de Dieu » (3)

AMEN!

Bibliographie

(1) Maurice Vallery-Radot, L’Eglise des premiers siècles, Perrin (1999), pp.160-161
(2) Maurice Zundel, Ta Parole comme une source, Anne Sigier (1987), p.345
(3) Bernard Sesboüe, L’homme, merveille de Dieu, Perrin (2015), p. 358»

Lectures bibliques : Exode 20, 1-17 ; Psaume 18 ; 1 Corinthiens 1, 22-25 ; Jean 2, 13-25

https://www.cath.ch/homelie-du-08-mars-2015/