Homélie du 01 mars 2015

Prédicateur : Abbé Guy-Michel Lamy
Date : 01 mars 2015
Lieu : Eglise du Sacré-Coeur, paroisse de langue française, Bâle
Type : radio

Frères et Sœurs,

« Si on vous prouvait par a plus b que le Christ a eu tort, que feriez-vous? ».

Cette question, ce n’est pas moi qui la pose, mais Dostoïevski. Dostoïevski, dont l’historien Alfred Berchtold nous raconte qu’il s’arrêta à Bâle avec sa femme, Anna Grigorievna, en 1867 et, qu’après avoir visité le cloître du Münster, il se rendit avec elle au Musée des Augustins pour y découvrir le fameux Christ au tombeau peint par Holbein en 1521 et qui se trouve aujourd’hui au Kunstmuseum: « cadavre si affreusement vrai », écrit Berchtold, qu’il effraya Anna Grigorievna et fascina à tel point Dostoïevski qu’il monta sur une chaise pour le voir de plus près. Après être passée dans une autre salle, sa femme revint quinze à vingt minutes plus tard, son mari étant toujours à la même place, comme pétrifié par le tableau.

Il est vrai que, si le grand jour de l’année chrétienne, c’est le vendredi-saint pour un protestant; pour un orthodoxe, comme Dostoïevski, c’est Pâques, et la joie délirante de la nuit pascale; le catholique se situant entre les deux.

Mais revenons à Dostoïevski: « Si on me prouve par a plus b que le Christ a tort, je reste avec le Christ ».

Nous « aimons » trop le Christ, un peu comme telle idole, pour différentes raisons:

Tous ces miracles? En fait, il n’y en pas eu tellement: 27, en moins de trois ans pour le Fils de Dieu: c’est peu! Et des miracles toujours entachés d’une recommandation de la plus extrême discrétion adressée au bénéficiaire. Des miracles dont Jésus n’est d’ailleurs pas le seul à être crédité. Dans les Actes des Apôtres, on voit ainsi Pierre et Jean guérir un infirme de naissance et les Apôtres accomplir de nombreux miracles et prodiges. Il suffisait parfois que l’ombre de saint Pierre recouvrit des malades pour les guérir (Ac. 5, 12-16). A Malte, une vipère s’accroche même au bras de Paul, ce que voyant les indigènes le prennent pour un « assassin » avant de changer d’avis, Paul ne mourant pas, et de le prendre pour un « dieu »…

Il guérira d’ailleurs sur cette île le père d’un certain Publius, notable de l’endroit, affligé de fièvre et de dysentrie, ainsi que d’autres infirmes, etc.

Miracles attribués aux Apôtres, mais aussi à d’autres saints postérieurs, pas seulement à Jésus.

Restent tout de même les résurrections: celles de la fille de Jaïre, du fils de la veuve de Naïm, et bien entendu celle de Lazare. Mais on voit d’autres que lui en opérer. Pierre ressuscite ainsi une certaine Tabitha à Joppé (Ac. 9, 36-41) et Paul un certain Eutyque à Troas (Ac. 20, 1-12). Sans parler de prophètes de l’Ancien Testament, tel Elie, crédité du même prodige dans le Premier Livre des Rois (17, 1-24). Des résurrections qui sont traduites en allemand par le mot « Auferweckung » (réveil) et non « Auferstehung » (résurrection), comme c’est le cas pour Jésus après sa mort sur la croix.

Question: la vraie foi est-elle imputable aux miracles et autres? Renan n’y allait pas de main morte en écrivant: « Pour les auditoires grossiers, le miracle prouve la doctrine… ».

Aussi étonnant que cela puisse paraître à certains, l’Eglise s’est toujours méfiée des miracles, des apparitions, comme la vraie foi peut s’en passer, car elle n’en dépend pas.

La vraie foi, en effet, comme pour Dostoïevski, c’est de rester avec le Christ; comme pour Job, de croire pour rien, tout au plus au Dieu caché. Et cette foi, c’est de l’amour tout simplement, mais niveau « agapé », c’est à dire charité pure et totalement désintéressée, à l’exemple de celle du Christ pour l’humanité. Et quand celle-ci rencontre celle-là, quand celle-ci est accueillie par celle-là, c’est l’illumination. Comme dans le texte d’aujourd’hui.

Il s’en est passé des choses avant cette illumination! D’abord, le choix par Jésus des quatre premiers Apôtres: Pierre et André, Jacques et Jean. Puis ces guérisons auxquelles ils assistent, ces paraboles qui les font réfléchir, la résurrection (« Auferweckung ») de la fille de Jaïre, les multiplications des pains, le discours de Jésus sur le pur et l’impur, la confession de Pierre à Césarée juste avant l’annonce par le Christ de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Tout simples qu’étaient ces pêcheurs pécheurs, ils en avaient déjà vu et entendu avec lui ! Et surtout, ils avaient eu le temps d’intérioriser son message avant l’expérience inouïe de l’illumination sur la montagne, eux seuls: Pierre, Jacques et Jean, avec lui. Illumination intérieure anticipant la leur, la nôtre et celle des défunts morts avant nous et même avant eux, d’où Moise et Elie. Illumination, blancheur à nulle autre comparable, les projetant, ne serait-ce qu’un instant, dans l’éternité. Et ce verset magnifique du livre d’Isaïe me revient en mémoire: « Allons! Discutons! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, comme neige ils blanchiront… » (1,18).

Eternité: présent absolu, espace transcendé, dont chacun de nous peut avoir l’avant-goût dans les plus grands dons de lui-même à autrui.

AMEN !

2e dimanche du Carême

Lectures bibliques : Genèse 22, 1-2.9-13.15-18; Ps : 115 (116 B); Romains 8, 31b-34; Marc 9, 2-10

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