Homélie du 22 février 2015

Prédicateur : Abbé Guy-Michel Lamy
Date : 22 février 2015
Lieu : Eglise du Sacré-Coeur, paroisse de langue française, Bâle
Type : radio

Frères et Sœurs,

« Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas »!

Maintes fois répétée, cette phrase, attribuée à André Malraux, qui ne l’a sans doute jamais prononcée, du moins telle quelle, remonte à la moitié du XXème siècle. Et à l’époque où elle a été inventée, c’était une manière de dire: la religion ou le néant! La religion au sens positif… Mais aujourd’hui, pour le commun des mortels, la religion, omniprésente, l’est plutôt au sens négatif. Pour certains, elle serait presque devenue un gros mot…

Une religion au service des passions humaines, au service du désir de domination des uns sur les autres.

Au XXème siècle, on pouvait espérer, surtout après le concile du Vatican II, que l’époque des excommunications, l’époque des « scribes, des pharisiens et des docteurs de la loi », était révolue. Or, dans la deuxième décennie de ce XXIème siècle, des innocents sont encore torturés, et même massacrés, au nom de Dieu: dans certains pays musulmans, ou même en France et en Belgique, récemment; ou parqués, oui, parqués dans des ghettos, comme à Bethléem; ou encore stigmatisés dans notre vieille Europe, en Suisse comme ailleurs, et jusque dans certaines communautés chrétiennes où on irait jusqu’à leur refuser une simple bénédiction en raison de leur différence.

Simone Weil, la célèbre philosophe, morte en 1943, à l’âge de 34 ans, dont Albert Camus avait dit qu’elle était « le seul grand esprit de notre temps », Simone Weil parlait en son temps du « gros animal social » pour qui seule compte la force dans l’élimination des singularités. « Gros animal social » qu’engendre inévitablement toute organisation sociale, tout groupe, tout parti, qu’il soit politique ou religieux. Il faut le rappeler à notre époque de conformisme globalisé ou même de communautarisme localisé.

Mais revenons au texte d’aujourd’hui. Des mots reviennent : « Satan », mot hébreu, dont Jésus affubla saint Pierre, le premier pape, comme nous le rappelle Matthieu au chapitre 16 de son évangile : « A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point! ». Mais lui, se retournant, dit à Pierre: « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes! ». « Celles des hommes », j’insiste sur le mot, pas celles du diable…

« Satan », mot hébreu signifiant le « querelleur », comme « diable » est un mot grec signifiant le « diviseur ». Et c’est vrai que nous sommes souvent divisés en nous-mêmes. Le Pape François évoquait récemment devant ses cardinaux notre « schizophrénie existentielle ». Rappelons-nous les mots de saint Paul : « Je fais le mal que je ne veux pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais ».

L’autre mot est le verbe « tenter ». Marc ne nous précise pas la nature de cette tentation, qui est triple chez Matthieu et Luc, mais qui n’a évidemment rien à voir avec le fait de céder à la tentation de manger du chocolat en plein carême, par exemple, à moins d’avoir 6 ans d’âge…

Le troisième mot, c’est le « désert », synonyme de silence et de solitude, encore que des animaux y figurent, des « bêtes sauvages », est-il précisé, comme pour Adam au Paradis terrestre, comme le « petit garçon » du livre d’Isaïe (11, 6), conduisant « le veau, le lionceau et la bête grasse ensemble », comme le « nourrisson » jouant « sur le repaire de l’aspic » (11, 8).

On aurait envie d’ajouter: comme le loup de Gubbio de François d’Assise, l’ours de saint Ursanne, les deux corbeaux de saint Meinrad d’Einsiedeln, ou encore les très nombreuses vipères de l’ashram où Gandhi vécut plus de vingt ans avec ses disciples sans qu’aucun d’eux ne soit jamais mordu. Comme une anticipation du Paradis, de l’harmonie future.

Le « désert », la solitude, au début de la mission de Jésus, comme à la fin, sur la croix.

Et sa tentation est de ne pas croire en Dieu…, ou plutôt de ne pas croire en ce Dieu-là…, mais de croire au Dieu tout-puissant, au Dieu des miracles éclatants, au Dieu démiurge, au Deus ex machina, au Dieu des pharisiens qui, au chapitre 8 de saint Marc, réclament de Jésus « un signe venant du ciel ». Ce qu’entendant, « gémissant du fond de l’âme », Jésus leur répondit: « Il ne sera pas donné de signe… ».

Eh bien, non, ce sera un « deus absconditus », un Dieu caché, humilié, crucifié, que les hommes ne parviendront pas à faire descendre de la croix jusqu’à sa mort. Et alors seulement il aura vaincu le monde.

A nous aussi, Frères et Sœurs, de ne pas céder à la tentation de ce Dieu « grand Manitou », de ce Dieu pharaon, comme le disait l’abbé Zundel.

Citant, quant à lui, Sœur Elizabeth de la Trinité qui nous rappelle que « Dieu est en nous, qu’il nous aime d’un amour étrange, que l’âme de notre âme, c’est lui et qu’il est inutile de le chercher ailleurs », Julien Green écrit ces mots magnifiques dans son Journal, il y a 36 ans: « Dieu souvent nous fait signe avec une sorte d’humilité qui devrait nous faire peur ».

Amen.

1er dimanche du Carême

Lectures bibliques : Genèse 9, 8-15; Psaume : 24 (25); 1 Pierre 3, 18-22; Marc 1, 12-15

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