Prédicateur : Abbé Marc Donzé, vicaire épiscopal
Date : 18 janvier 2015
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio
La grande émotion surgie après les attentats contre la revue Charlie-Hebdo et contre le magasin kacher à Paris a fait surgir des valeurs dont le quotidien politique ne parle pas souvent. En particulier, beaucoup ont souligné qu’il est nécessaire de se rassembler dans l’unité pour combattre le terrorisme, la violence, la haine. Et la manifestation monstre à Paris se voulait entre autre chose un moment d’unité face à des actes qui nient l’humain. Cet élan de solidarité est réjouissant, car il monte du plus profond de l’homme.
La valeur la plus prônée, en l’occurrence, c’est la liberté d’expression. Et avec elle, la liberté tout court. Fort bien. Mais il est souhaitable, indispensable même que soient prônées les trois valeurs républicaines essentielles : liberté, égalité, fraternité. Les trois ensemble. Car une liberté sans le respect du frère ou du concitoyen peut devenir folle ou irresponsable. Une liberté sans égalité peut devenir injuste ou méprisante. Et une fraternité sans respect de la liberté devient totalitaire et empêche de respirer.
Cet élan vigoureux vers l’unité, même s’il est le fruit d’une grande émotion, me donne à penser à moi, chrétien, membre de l’Eglise, prêtre. Il me donne à penser particulièrement en ce dimanche, où commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. L’appel qui est survenu pour défendre les valeurs républicaines nous met en demeure, nous les chrétiens, de faire retentir aussi un appel, pour que les valeurs de l’Evangile soient vécues par tous ceux qui y adhèrent dans une profonde et viscérale unité.
Alors, finies les guerres de religion et les guerres de chapelles. Finies les querelles de pouvoir et les conflits de territoire. Finies les manifestations d’irrespect, de haine, de mépris. Finis les jugements lapidaires, les condamnations sans procès, les fragmentations sectaires.
Nous, tous les chrétiens, nous sommes appelés à l’unité. C’est le Christ lui-même qui porte l’appel : « qu’ils soient un, pour que le monde croie » dit-il dans sa prière. Dès lors, l’unité est une valeur première, essentielle, qui mérite les plus grands efforts et le plus grand engagement.
Pourquoi donc faut-il avoir cette passion de l’unité ? « pour que le monde croie », dit Jésus, encore une fois. Mais, dans le fond, pourquoi faudrait-il que le monde croie et à quoi devrait-il croire ? Qu’il connaisse ou non le Christ, il faut que le monde puisse croire à l’amour, à la miséricorde, au pardon, à l’espérance d’une vie plus pleine. Il faut que le monde puisse croire qu’il ne va pas vers une catastrophe finale ou une déliquescence définitive, mais qu’il est en route vers la construction de l’amour et la lumière de l’avenir.
Nous, les chrétiens, nous avons mission de construire patiemment l’unité entre nous, pour être au service de l’unité de l’humanité entière. Ce n’est donc pas seulement pour que l’Eglise soit belle ; c’est pour que le monde puisse être traversé par l’élan d’un amour qui met toutes ses forces, pour que la part du bien soit toujours plus présente. Alors, catholiques, protestants, orthodoxes, évangéliques, anglicans, nous devons nous mettre ensemble, en regardant le Christ, pour que les valeurs qu’il a portées jusque sur la croix soient pleinement les nôtres. Encore une fois, pas pour nous-mêmes uniquement, mais pour le service de l’homme.
Comment cela va-t-il se faire ?
D’abord, il faut souligner que l’unité, c’est l’affaire de Dieu. Martin Luther disait dans une prière adressée au Père : « Veuille nous accorder de nous convertir à ton unité ». Quelle demande magnifique. C’est Dieu le premier qui nous donne son unité : celle qui unit infiniment le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il la met en nous comme une source et comme un appel.
Mais son affaire devient aussi notre affaire. « Veuille nous accorder de nous convertir à ton unité ». Nous sommes appelés à regarder le mystère de Dieu – sûrement aussi les lézardes de l’humanité – pour entrer dans sa perspective, dans sa volonté, dans son élan.
Et le premier mouvement pour que cette affaire devienne à la fois celle de Dieu et la nôtre, c’est la prière commune. Comme disait l’abbé Paul Couturier, l’une des fondateurs de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens : « Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi, afin que monte incessamment la prière pour l’unité des chrétiens, telle que tu la veux, par les moyens que tu veux ». Et pourquoi la prière ? pour que nous nous laissions inspirer par l’Esprit et pour que nous en recevions l’énergie.
À cette prière, à cet effort vers l’unité, nous sommes tous appelés. Pas seulement le prophète Samuel, et les autres prophètes, qui devaient servir la cohésion du peuple d’Israël. Pas seulement les apôtres Pierre et André, Jacques et Jean, sans oublier Paul, qui devaient rassembler les enfants de Dieu dispersés. Mais nous tous. Sans exception et partout.
C’est pourquoi, après la prière et même dans la prière, nous devons nous demander très souvent : est-ce que ce que je dis, ce que je fais est au service de l’unité dans ma famille, mon travail, ma paroisse, mon Eglise, l’ensemble des communautés chrétiennes et aussi l’ensemble de l’humanité. Est-ce que je pose des gestes de division ou des gestes de réconciliation, de concorde et de paix ?
À partir de là, les chemins sont nombreux. Chaque personne, chaque communauté peuvent contribuer à l’unité selon leur génie propre. Mais il faut souligner surtout le chemin de la charité avec les plus démunis, car l’unité commence par le respect des plus petits. Et le chemin de l’approfondissement du mystère de Dieu, car plus nous sommes proches de son cœur, plus nous nous rapprochons les uns des autres. Solidarité et mystique, pour le dire en des mots solennels.
Et j’espère qu’un jour, tous les chrétiens trouvent le chemin pour communier au Christ, à la même table, dans la fraternité, l’égalité, la liberté. Et dans la joie. Pour être au service d’un monde que Dieu appelle à monter vers la joie. Amen.»
2ème dimanche du temps ordinaire ; semaine de prière pour l’unité des chrétiens
Lectures bibliques : 1 Samuel 3, 3b-10.19; Ps : 39; 1 Corinthiens 6, 13c-15a.17-20; Jean 1, 35-42