Prédicateur : Père Henri-Marie Couette, Prieur
Date : 11 janvier 2015
Lieu : Abbaye d’Hauterive, Posieux
Type : radio
Depuis le jour de Noël, nous assistons à une sorte de crescendo dans la révélation de Celui qui est venu nous visiter jusqu’à partager l’expérience de notre humanité par son incarnation. Dans la nuit de Bethléem, ce furent tout d’abord les anges qui furent mis à contribution : »aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur (…) vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (Luc 2, 11-12). Les bergers s’étaient faits le relais de cette bonne nouvelle et »firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant » (v. 17). Plus tard, guidés par un astre mystérieux, ce furent des mages accourus d’Orient qui débarquèrent à Jérusalem pour adorer Celui qui leur avait été annoncé comme étant »le roi des Juifs » (Matthieu 2, 2). A cette occasion, leur fut confirmé par les docteurs d’Israël le sens de l’oracle prophétique : »de toi, Bethléem, terre de Juda, (…) sortira un chef qui sera le berger de mon peuple Israël » (v. 6 ; cf. Michée 5, 1).
Ainsi, à chaque fois, ce sont des hommes ou des anges qui se font les témoins de cette naissance peu ordinaire. Mais aujourd’hui, il en va tout autrement car, à travers la »voix venant des cieux », c’est Dieu Lui-même – plus exactement, le Père – qui authentifie l’identité de ce fils d’homme : »Tu es mon Fils bien-aimé ; en Toi, Je trouve ma joie. »
Jamais ne nous sera donnée une parole plus définitive sur Jésus et la vérité de sa Personne ! Ni non plus d’une telle autorité, puisqu’elle émane directement de Dieu. Celui que les anges, les bergers, puis les mages, avaient adoré est déclaré Fils du Père éternel et donc Lui-même Dieu. C’est là bien sûr une vérité qui nous est essentielle à retenir pour saisir qui Il est.
Deux autres fois dans les évangiles, cette voix d’en-haut se fera encore entendre, toujours lors d’un moment crucial de la vie du Christ. Tout d’abord à la Transfiguration et presque dans les mêmes termes, mais alors s’y ajoutera cette injonction : »… mon Fils bien-aimé, écoutez-Le ! » (Marc 9, 7) Le moment est solennel car il s’insère entre deux annonces de la Passion et, en quelque sorte, il en anticipe déjà le dénouement : les disciples auront à se souvenir que, aussi dramatique que soit la mort de leur Maître décrétée par ses ennemis, il y a en Lui une Lumière, une Vie, qui ne peut ni être éteinte ni anéantie. L’ultime fois où cette voix se manifestera sera au seuil même de la Passion. Alors qu’elle est imminente, Jésus soupire : »Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : «Père, délivre-moi de cette heure ?» – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! «Père, glorifie ton Nom !» Alors, du ciel vint une voix qui disait : «Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore.» » (Jean 12, 27-28) La parole du Père est donc là pour confirmer envers et contre tout que son Fils possède en Lui-même cette capacité absolue de transcender le pire, jusqu’à la mort même, ce qui est une manière de nous dire que placer notre foi en Lui ne peut en aucune façon nous décevoir. Il ne peut nous faire faux bond ! Il est quelqu’un de totalement sûr et sur lequel nous pouvons absolument compter et nous appuyer en pleine confiance. Savoir cela est capital pour notre vie !
Mais cette fameuse voix venue du ciel et que nous prêtons à Dieu le Père est-elle seulement là pour nous livrer une information sur Jésus ? Si, comme l’affirme saint Jean au début de son Évangile, nous sommes »nés de Dieu » (1, 13), alors ce que le Père dit à Jésus, Il peut également le dire à chacun de nous : »Tu es mon fils – ma fille – bien-aimé(e) ; en toi, je trouve ma joie. » Déclaration absolument extraordinaire à vrai dire ! Et, parce que c’est Dieu qui parle, déclaration aucunement surfaite, mais totalement véridique ! Voilà quelque chose qui donne consistance à notre être, voilà qui nous construit et nous affermit face à tous les doutes qu’engendre en nous l’expérience de nos limites, de notre faiblesse et de nos échecs, de notre misère et de notre péché. Par cette parole, nous sommes sans cesse remis debout ! Qu’il est bon en effet de pouvoir reposer son cœur sur cette certitude qui prend le pas sur tout le reste : tu es aimé pour ce que tu es ! Rien ne saurait la remettre en cause, pas même nos ruptures car elles ont déjà toutes été assumées par Jésus dans sa Passion, pourvu que nous acceptions de revenir à Lui et non de nous laisser dominer par le dépit ou la fermeture du cœur. Les évangiles lus durant la semaine de l’Épiphanie qui trouve aujourd’hui son point d’orgue, illustrent de manière convaincante cette plénitude du don de Dieu qui ne calcule jamais, mais semble au contraire apprécier le gaspillage dans sa façon de nous aimer. Songez à ces flots de vin coulant à Cana ou regardez combien il reste de corbeilles de pains et de poissons après qu’Il les ait multipliés !
Mais il y a une dernière chose à relever. J’ai donc le droit de dire à Dieu : je suis ton fils bien-aimé. Mais toi qui m’écoutes, tu peux le dire tout autant et voilà comment se fonde notre commune appartenance à l’unique Père des cieux. Voilà le fondement sur lequel se construit toute relation vraie entre humains. Une relation qui part de Dieu et qui porte, de façon à la fois indélébile et efficace, la marque de son Amour. Cela est manifesté par l’Esprit qui apparaît aujourd’hui sous la forme de la colombe au-dessus du Fils. Cet Esprit de Dieu qui, non seulement vient authentifier la mission de Jésus comme Messie envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (Luc 4, 18), mais aussi qui atteste l’infinie fécondité de sa Passion. C’est Jean qui l’évoque avec insistance dans la première lecture que nous avons entendue : »Jésus Christ est venu par l’eau et par le sang : pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et le sang. Et Celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité. » (1 Jean 5, 6) Ainsi, par son Baptême, en lequel Il sanctifie les eaux, et par son sang versé, Jésus est la réconciliation entre nous et le Père, et ce don irrévocable nous est offert sans autre motif que l’Amour même. Il n’existe pas d’autre condition pour le recevoir que d’ouvrir son cœur !»
Fête du Baptême du Seigneur
Lectures bibliques : Isaïe 55, 1-11; 1 Jean 5, 1-9; Marc 1, 7-11