Homélie du 24 décembre 2014

Prédicateur : Mgr Joseph Roduit, Abbé de Saint-Maurice
Date : 24 décembre 2014
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : tv

Bien chers frères et sœurs, chers téléspectatrices et téléspectateurs,

Le sourire d’un enfant

La joie simple de Noël, c’est le sourire d’un enfant. Je me souviendrai longtemps de ce passage des mémoires du Patriarche Athénagoras qui rappelait un souvenir de sa vie d’étudiant en astrophysique à l’université d’Athènes.

Il avait appris ce jour-là que l’univers est tellement grand que l’on peut voir la lumière d’un astre qui peut-être n’existe plus, tellement la lumière a mis de temps pour parvenir jusqu’au nous. Il s’est dit alors: « Je ne suis qu’un petit être sur un grain de sable qu’est la terre, mon existence n’a donc pas d’importance! » Il était allé se promener sur la plage grecque pour se changer les idées, mais un immense sentiment de tristesse avait envahi son coeur.

A son retour en ville, dans le bus, une fillette remarqua sa tristesse et demanda à sa maman ce qu’avait ce jeune monsieur. La maman l’encouragea à aller lui faire un sourire. L’enfant qui l’avait regardé avec interrogation plusieurs fois, revint vers lui et lui fit un large sourire.

Tout à coup, avouera- t- il, tout changea pour moi et je compris que le sourire d’un enfant est plus important que tout l’univers. Cela l’a amené à revoir totalement sa vie et ses connaissances scientifiques et il se fit …moine! Il deviendra le grand Patriarche œcuménique qui rencontra le pape Paul VI et signa avec lui en 1965 la fin de l’excommunication mutuelle entre catholiques et orthodoxes, qui les séparait depuis plus de neuf siècles.

La religion du visage

Le Patriarche orthodoxe dira plus tard: le christianisme est la religion du visage. Accueillir le sourire d’un enfant peut en effet donner sens à toute une vie.

Pour nous chrétiens, Noël, c’est le sourire d’un enfant, c’est le sourire que Dieu offre à l’humanité.

En disant cela, je n’oublie pas qu’un enfant ne vient pas au monde sans inquiétude des parents, sans souffrance de la mère. Noël, c’est aussi la joie d’un père à la fois ému et rassuré devant le petit être qui lui offre sa fragilité. Certes toutes les naissances n’apportent pas que des sourires. Mais si nous sommes là, chacun de nous, jeunes ou adultes, c’est parce que des personnes nous ont accueillis et souri dans la vie.

Vision du monde et visage de l’homme

L’actualité de la communication médiatique est telle aujourd’hui, que beaucoup de nos contemporains pensent que nous vivons dans le pire des mondes. A tel point qu’une nouvelle naissance peut engendrer plus d’inquiétude que de bonheur.

Ce regard triste sur la vie et sur le monde, Noël vient le changer en regard émerveillé. Le chrétien a reçu la mission de dire au monde que la vie vaut d’être vécue et qu’il ne faut pas que l’arbre du malheur cache la forêt du bonheur. A ce propos, j’aime bien rappeler ce proverbe: «Dans la forêt, une branche qui craque, fait beaucoup plus de bruit que toute la forêt qui pousse.»

En effet la sève du bonheur qui pousse dans le cœur de l’homme ne fait pas de bruit.

Fermons un peu les yeux sur une actualité tristement médiatisée pour ouvrir notre regard intérieur sur le bienfait du silence illustré par le sourire d’un enfant. Celui qui ne s’est pas arrêté un instant pour goûter le silence ne connaît pas la paix intérieure d’une douce nuit, d’une sainte nuit. Là, «dans un profond silence», dit l’Ecriture, Dieu se dit à l’homme. Et pour que cela ne soit pas qu’illusion ou fruit de la simple imagination, Dieu s’est manifesté à l’humanité par son Fils qui s’est fait d’abord petit enfant.

Le réalisme du regard

Il y a dans le sourire d’un enfant toute l’attente d’amour qui lui répondra. Bien sûr qu’il est plus facile de sourire à un enfant qu’à celui du pauvre mendiant qui nous tend la main d’un regard suppliant, d’un étranger qui me dit: «Permets-moi d’être différent». Et pourtant, même la femme à qui on cache le sourire et on voile le visage a droit à notre sourire bien plus qu’à un regard réprobateur.

En disant cela, je n’oublie pas que le même enfant Jésus dont on cherche le sourire aura un jour le visage bafoué du crucifié. Et pourtant il n’a été que bonté tout au long de sa vie.

C’est un grand mystère pour notre humanité: créé par bonté et pour manifester la joie de vivre et le bonheur d’aimer, voilà que le visage humain peut virer à la violence, au mépris jusqu’à vouloir supprimer l’autre quel qu’il soit. Pour le chrétien, l’autre est un frère, une sœur à aimer. Message utopique? Non! Espérance et confiance en l’homme malgré tout. Immense force du chrétien qui ose l’initiative du sourire et du pardon, le don du partage et de la solidarité.

Le message chrétien

Le sourire qu’on attend de l’enfant peut se prolonger sur le visage de l’adolescent qui a compris que, dans la vie, il faut parfois serrer les dents mais en ouvrant les lèvres. Le sourire de l’enfant ne pourra éclairer la vie de l’adulte que par un regard plus profond, plus intérieur sur les personnes, les évènements et les choses.

Le regard méfiant ou méprisant n’inspire aucune confiance. Alors que le regard bienveillant et souriant met en valeur le visage de l’autre et le sien. Le regard chrétien est un regard d’espérance. Il n’a rien de naïf. Il est au contraire plein de confiance et donne à l’autre toutes ses chances.

En notre monastère qui célèbre cette année les 1500 ans de son histoire religieuse ininterrompue, nous pouvons témoigner de ce qu’est l’espérance. Le pape François a raison de nous dire, à nous les chrétiens: «Ne nous laissons pas voler notre espérance». Même un vieux monastère peut signifier un sourire de Dieu dans un monde désabusé.

Puisse le visage du chrétien, éclairé par la joie de l’évangile, apporter la lumière de Noël dans les cœurs qui n’attendent qu’un sourire, autant d’un adulte que d’un enfant. La joie naît du sourire. La lumière naît de la lumière!»

Messe de Minuit

Lectures bibliques : Isaïe 9, 1-6; Psaume 95; Tite 2, 11-14; Luc 2, 1-14

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