Homélie du 21 décembre 2014

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 21 December 2014
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Alors que se multiplient chez nous les attitudes négatives à l’égard des réfugiés et des requérants d’asile parce que peut-être nous cherchons à protéger notre confort, des initiatives généreuses voient le jour afin de sensibiliser la population, de réanimer en elle les sources de l’hospitalité.

Ainsi, il y a quelques mois, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés HCR, l’Office fédéral des migrations ODM et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR ont mis sur pied un grand concours visant la reconnaissance et la promotion de l’intégration des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire en Suisse. Parmi les gagnants : à la Chaux-de-fonds Gawa et Geneviève. Gawa est d’origine tibétaine, et Geneviève est suisse. Leur histoire a commencé simplement par un échange de service : déblayer la neige contre l’occasion de pratiquer la langue française.

L’apprentissage de la langue est indispensable. Pour un étranger, apprendre une langue c’est bâtir une maison qui l’abritera lui d’abord, dans laquelle bientôt il pourra nous recevoir, nous offrir l’hospitalité de sa propre parole à nous autres citoyens de ce pays. A la faveur de la parole échangée nous pourrons à notre tour l’accueillir vraiment. Bien mieux réciproquement c’est lui qui nous donnera l’hospitalité. Il sera à même de nous écouter. Lui et moi, nous pourrons nous nourrir l’un l’autre de la parole partagée.

Je pense à cette demande du Notre Père : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». Dans le grec du Nouveau Testament : τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον δὸς ἡμῖν σήμερον que l’on peut traduire par le pain « nécessaire », « substantiel » voire « sur-essentiel». Or qu’est-ce qui est essentiel pour un être humain, et qui le différencie de l’animal, sinon la parole ? Le Logos qui en latin se dit Verbum, le Verbe. Les relations entre les êtres que nous sommes sont portées et traversées par la parole. Quand on dit de deux personnes qu’elles ne se parlent plus, c’est qu’il leur manque à chacune une part d’elle-même ; la parole leur fait défaut, la parole qui va de l’une à l’autre et qui forme comme une maison commune, comme une arche – pour reprendre le titre de l’ouvrage d’un philosophe.

L’humanité a besoin d’une parole, d’un logos – ce logos qui pour la philosophie grecque signifie la raison de ce monde, le principe qui le soutient dans l’existence. « Au commencement était le Verbe – le Logos, la Parole – et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. » Jn 1, 1-3

L’homme habite la parole, elle est sa maison. C’est bien ce que le prophète explique à David : « Le Seigneur te fait savoir qu’il te fera lui-même une maison. » 2 S 7, 11 Or voici que la prophétie se trouve dépassée. En effet, de même que tout à l’heure j’expliquais combien, dans le cas de l’accueil des réfugiés et des migrants, l’hospitalité se trouvait des deux côtés, ainsi l’évangile de ce dimanche nous apprend-il que le genre humain, lui qui habite la maison de la parole, eh ! bien le genre humain est-il capable d’accueillir la Parole en personne, d’offrir une demeure au Logos par qui tout est créé. Stupéfiante et double hospitalité ! D’où le récit de Lc 1, 28-29 qui raconte que Marie fut toute bouleversée par l’annonce de l’ange Gabriel. S. Irénée commente : « C’est le Verbe de Dieu qui habite en l’homme, et qui se fait fils de l’homme, pour habituer l’homme à recevoir Dieu, et habituer Dieu à habiter en l’homme ».

Encore faut-il que l’homme acquiesce à cette hospitalité. « Voici la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole. » Lc 1, 38 Marie accepte de devenir mère de la Parole. Cette Parole, ce Verbe, qui devient alors l’essentiel de sa vie, ce « sur-essentiel » qui la nourrit et qu’elle nourrit en lui donnant chair de sa chair. Jésus reconnaîtra un jour combien est heureuse une telle mère : elle accueille la parole et elle la met en pratique – cf. Lc 8, 20 &11, 28.

A nous tous qui nous préparons à célébrer la Nativité du Seigneur, l’Esprit qui fut sur Marie propose une aventure : prendre le risque d’écouter l’Évangile du Christ afin qu’il devienne parole essentielle pour notre vie, chair de notre chair ; que nous fassions corps avec elle. C’est sans doute quelque chose de cela que nous demandons dans le Notre Père lorsque nous disons: « que ta volonté soit faite ». Un « fiat voluntas tua » qui ressemble fort au « fiat » de Marie dans l’Évangile de ce dimanche selon les termes de la Bible latine – « Que tout advienne selon ta parole », répond celle qui se met au service la Parole, qui s’en déclare la servante ».»

Lectures bibliques : 2 Samuel 7,1-5.8b-12.14a.16 (Le Messie sera Fils de David) ; Psaume 88,4-5.27-30 (Je lui garderai mon amour) ; Romains 16,25-27 (Christ aujourd’hui révélé aux nations) ; Luc 1,26-38 (L’annonce à Marie)

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