Prédicateur : Père Benoît-Marie Clément
Date : 23 novembre 2014
Lieu : Abbaye de la Fille-Dieu, Romont
Type : radio
L’évangile que l’Eglise nous propose en cette fête du Christ-Roi convient très bien comme point d’orgue de l’année liturgique : il est aussi le dernier grand enseignement de l’évangile de St Matthieu, nous projetant à la fin des temps, tout comme les béatitudes de la Toussaint en étaient l’exorde et le programme.
Le Christ, Roi de l’univers, est présenté ici comme juge, alors qu’Il est berger dans la première lecture et vainqueur de puissances adverses dans la deuxième. Il faudrait compléter ce tableau par la scène de la Passion, où Pilate interroge le divin Prévenu sur son étrange royauté humiliée, et à qui Jésus répond : « Tu l’as dit : je suis Roi ! » Nous sommes ici, en effet, à la racine de ce qu’on a appelé la royauté dans l’histoire, ce mode de gouvernement qui ne nous est plus guère familier, voire suspect, parce que tous les rois n’étaient pas saint Louis IX, saint Etienne de Hongrie ou le bienheureux Charles de Habsbourg. Mais en se présentant comme Roi, en parlant sans cesse de son Royaume, le Sauveur Jésus veut nous décrire bien plus qu’un régime politique, meilleur que d’autres : tout l’évangile n’est qu’une constante équivoque dans l’esprit de ce petit peuple opprimé et des disciples eux-mêmes : « Quand donc vas-tu restaurer la Royauté en Israël ? » Le Roi-Messie a une vue beaucoup plus universelle, et elle concerne d’abord les cœurs, pour déboucher ensuite, certes, sur la voie publique, si possible.
Durant tout l’Ancien Testament, Dieu a pris soin du peuple qu’Il s’était choisi comme un berger face à tous les dangers qui menacent son troupeau. La grande découverte, c’est que son pouvoir n’est pas une domination tyrannique, mais une sollicitude pour chacune des brebis, à tout instant. Il n’y a pas de mots assez tendres et touchants pour détailler ce comportement. La grande révolution du christianisme qui s’ouvre avec la venue du Fils de Dieu sur terre, c’est que Dieu n’a pas autre chose dans la tête qu’un amour infini et gratuit. Si pouvoir il y a, c’est donc un pouvoir tout entier au service de l’amour. Et cet amour ne se paie pas de mots, puisqu’il ira jusqu’au don total du Fils bien-aimé afin de rassembler le troupeau de Dieu dispersé. S’il a mené une guerre, c’est contre toute puissance de mal et de mort qui s’oppose au bonheur de ses créatures. Car le métier de roi, c’est de pourvoir au bonheur de ses sujets.
Mais entretemps, Il n’entend pas que nous restions là, les bras ballants. Notre liberté redoutable nous presse de choix constants et multiples, non seulement pour nous-mêmes, mais pour tous ceux qu’Il nous donne de rencontrer. Ce que Lui-même nous a montré durant les années de sa vie terrestre, Il nous engage à le faire à notre tour ; Il nous montre l’exemple (Que ferait Jésus à ma place ?) et Il nous donne sa force et sa grâce pour le faire. Au terme de l’histoire, Il pourra, comme dit saint Paul, remettre à son Père le pouvoir royal qu’Il Lui avait confié en L’envoyant parmi nous. Ce sera le bilan final, où nous serons tous convoqués, comme ses collaborateurs et ses intendants. Chose curieuse, les chèvres et les brebis, chacune à son tour, sont abasourdies du jugement : « Quand est-ce que nous t’avons vu ? » Dieu se cache donc dans les plus insignifiants de ceux que nous côtoyons tous les jours : « Ce que vous aurez fait à l’un de ces petits… » Comme Lui est attentif au plus petits – et nous sommes tous petits, je dirais : heureusement pour nous ! Et remarquons encore sur quoi porte le jugement : boire, manger, s’habiller, rendre visite à ceux qui en ont besoin : toutes choses que tout être humain, bien au-delà de sa religion, de son origine et éducation, de la couleur de sa peau, fait normalement, comme par réflexe et sans réfléchir ou presque. Tout ce qui qui fait le Royaume de Dieu est là : non pas d’abord dans de grands actes d’héroïsme, des hauts faits d’armes et de sublimes réalisations, mais des actes si menus, si inaperçus, si banals que trop souvent, on n’y pense pas. Si d’ici ce soir, nous nous décidons enfin à poser quelques-uns de ces gestes en oubliant un peu notre petit moi si encombré de lui-même, ce sera un peu plus le Royaume de Dieu sur la terre, et le Christ-Roi de l’univers fera de nous des rois et des reines pour sa gloire et le bonheur de tous.»
Fête du Christ, Roi de l’univers
Lectures bibliques : Ezéchiel 34, 11-12.15-17; psaume 23;1 Corinthiens 15, 20-26.28; Matthieu 25, 31-46