Prédicateur : Père Jean-Bernard Livio
Date : 16 novembre 2014
Lieu : Collégiale St-Martin, Porrentruy
Type : tv
Attention à ne pas se tromper, les textes de la liturgie de ce jour ne veulent pas être une leçon d’économie domestique! Du reste, si l’évangile d’aujourd’hui semble nous parler d’argent, car le talent était une pièce de monnaie d’une grande valeur à l’époque de Jésus, le langage populaire a retenu un autre sens pour ce mot « talent », qui est une aptitude particulière qui nous est donnée pour vivre: par exemple dans l’expression « avoir du talent ».
Voilà donc la première leçon que nous pouvons retenir de cet évangile: tous – pas seulement les trois personnages de la parabole – nous avons reçu des talents. Peu importe du reste, de savoir combien nous en avons reçu, avoir du talent est un don! Or quand Jésus parle à ses disciples en paraboles, c’est pour leur permettre de comprendre une réalité qui souvent leur échappe: il veut par exemple faire comprendre qui est son Père, comment Dieu se manifeste, ce qu’est le Royaume de Dieu; il aime à commencer son enseignement par: « Le royaume des cieux, ou de Dieu, est semblable à … » Et de raconter une petite histoire, qui nous amène à saisir la réalité, avec dans l’histoire une pointe qui surprend et fait réagir, afin qu’une fois entendue, jamais plus nous ne l’oublions. Jésus est un merveilleux pédagogue! Avec son histoire de talents, Jésus veut surtout nous dire: n’attendez pas que Dieu fasse le travail à votre place. Et reconnaissons-le: souvent nous prions, nous prions, pour demander à Dieu ce qu’il faut faire, ou comment le faire… Nous attendons sa réponse – qui ne vient pas! Et nous pensons alors que Dieu est aux abonnés absents, qu’il est parti en voyage! Justement le maître, dans notre parabole, part en voyage. Ce qui signifie qu’il ne reste pas là à tout diriger; il fait confiance, totalement, à ses serviteurs pour gérer ses affaires. Quelles affaires? Mais notre quotidien, notre monde, nos vies… Dieu ne gère pas nos vies à notre place, il nous fait confiance; il nous invite à être co-gestionnaires de la Création en quelque sorte, il nous élève à sa hauteur en nous voulant responsables. Et quelle responsabilité! Quelle merveille! Oui, faire fructifier nos talents, c’est là que se vit notre joie, celle de participer, d’œuvrer et d’accomplir, même si parfois avec difficulté, renoncement, échecs…
Et un jour, « longtemps après » nous dit l’évangile, le maître parti en voyage revient. Ce retour signifie la fin de notre responsabilité, la fin de notre vie, l’entrée dans le Royaume, avec tout ce que nous avons reçu et fait grandir, avec tout ce qui nous a été donné et que nous avons partagé. Si vous tenez vraiment à rester dans un langage économique, on pourrait dire: à l’heure de rendre des comptes, il nous est demandé: ›qu’ai-je fait de ce que je suis et de que j’ai reçu?’ Ce même évangéliste Mathieu, dans la parabole du jugement dernier qui suit immédiatement le texte de ce jour, nous incite à repérer tous ces moments dans la vie où l’on a « donné à manger, donné à boire, accueilli l’étranger, vêtu celui qui est nu, visité celui qui est malade ou en prison »… Ou plus simplement encore, chaque fois que vous avez par votre sourire illuminé le visage de votre voisin fatigué. Ne venez pas dire que vous ne l’avez jamais fait, parfois sans trop vous en rendre compte, spontanément, gratuitement. Ainsi, comme dans la parabole, nous sommes doublement gagnants: des talents reçus et de ceux que nous avons fait fructifier en l’autre autour de nous.
C’est pourquoi je voudrais profiter de l’occasion pour vous remercier, vous qui m’entendez par les ondes: vous les malades, vous les personnes seules, âgées, ou blessées par la vie, oui vous remercier pour toutes les fois où vous avez accueilli avec un sourire vos soignants, ou vos visiteurs d’un moment: par votre façon de les accueillir par un petit bonjour, vous leur avez donné cette joie dont ils manquaient parfois après une journée épuisante. Je le sais parce que je l’ai souvent vécu, grâce à vous! Mais la parabole parle aussi d’un troisième bénéficiaire de talent: peu importe qu’à lui fut confié un seul talent; il compte lui aussi parmi ceux qui reçoivent. Car même le plus pauvre des plus pauvres est aussi inclus dans la parabole d’aujourd’hui. Mais, lui, fait partie de celles et ceux qui n’arrivent jamais à faire confiance, à s’ouvrir sur un au-delà d’eux-mêmes, à voir le soleil au-delà des nuages de l’existence. On l’a entendu: et il le dit lui-même en s’adressant au maître: « Tu es un homme dur. J’ai eu peur ».
Peur de qui? La parabole est claire: peur d’un maître qui tient des comptes, peur de la vengeance du « très-haut » peur de Dieu! Mais c’est d’un Dieu qu’on prend pour le Père fouettard! Alors là bien sûr, il est perdant. Mais, où va-t-il chercher cette image complètement déformée de Dieu? Ce n’est pas parce que je ne comprends pas tout de la vie, de la mort, et surtout de la souffrance, que je dois mettre tout cela au compte d’un Dieu qui chercherait sa satisfaction dans une vengeance face à l’absurdité. Tout replié sur lui-même, le troisième personnage de la parabole ne peut que s›isoler, se fermer aux autres, et par là se fermer à toute manifestation possible d’amour. Or Dieu est Amour… et il me veut heureux! Et cet Amour ne peut se vivre que dans l’accueil de l’Autre qui vient à ma rencontre, dans l’ouverture vers l’autre qui a besoin de moi.
Chers amis, remercions Dieu les uns pour les autres pour tous ces talents qui nous ont été largement donnés: qu’ils me permettent de partager avec celles et ceux qui pensent n’en avoir pas assez reçus ou qui les ont perdu en route. Amen. » Jean-Bernard Livio, proverbes, Thessaloniciens, matthieu 33e dimanche du temps ordinaire Lectures bibliques : Proverbes 31, 10-13.19-20.30-31; Psaume 127; 1 Thessaloniciens 5, 1-6; Matthieu 25, 14-30