Prédicateur : Abbé Mario Pinggera
Date : 19 octobre 2014
Lieu : Eglise de Richterswil (ZH)
Type : tv
L’année 2014 touche bientôt à sa fin. Elle a été et est une année spéciale.
Dans leur rétrospective de fin d’année, la plupart des journaux la décriront sans doute comme l’année qui a vu le plus de crises et d’instabilité depuis la deuxième guerre mondiale.
Dans les faits, nous ne pouvons que constater de plus en plus de crises et de guerres. Une triste réalité qui touche aussi le continent européen.
Ce dimanche de la Mission est forcément teinté de ces évolutions désolantes.
Des millions d’êtres humains fuient des situations terribles où leur vie est menacée, espérant trouver ailleurs une vie meilleure. Mais réaliser ce projet est pour le moins incertain. Au Moyen-Orient, les meurtriers sanguinaires du groupe Etat islamique traquent leurs victimes au nom de Dieu.
Il est vrai que tous ces événements ne nous sont proches que via les médias – donc finalement assez loin. Mais depuis qu’un avion de ligne a été abattu en Ukraine et dont les victimes sont principalement néerlandaises, c’est évident: Il n’y a pour ainsi dire plus de distance entre nous et les évènements de l’année 2014.
Nous sommes vraiment tous concernés. Les pays occidentaux ne sont plus une exception dans un îlot de paix. D’ailleurs ce n’est plus le cas depuis longtemps.
Alors beaucoup s’interrogent : « comment en est-on arrivé là ?».
A ce titre, la situation que présente l’Evangile d’aujourd’hui est classique. Classique dans la mesure où elle met en évidence comment les hommes peuvent se blesser mutuellement. La situation est presque banale: En Israël, à l’époque de l’occupation romaine, on estimait qu’il n’était pas juste que la puissance occupante, en la personne de l’empereur romain, augmente les impôts. Et là, il y a ce Jésus, qui faisait beaucoup parler de lui, qui proposait aux gens une nouvelle façon d’être en relation avec Dieu, et qui par moment critiquait fortement l’establishment religieux. Il disait que ce n’est pas l’homme qui est au service de la loi, mais le contraire : la loi doit être une aide dans la vie des hommes et les femmes et non pas les harceler. Ce point de vue est tout à fait nouveau, mais pas seulement nouveau, il est meilleur parce qu’il est libérateur. Le Dieu d’amour dont parle Jésus est un Dieu qui libère, qui libère de tout ce qui touche à la vie humaine.
Mais l’establishment religieux face à ce Jésus se comporte, comme tout système d’inspiration totalitaire, quand il est remis en cause. Il a de la peine à défendre sa position, faute d’arguments raisonnables, il est obligé de recourir au mensonge, à la trahison jusqu’à devenir impitoyable. Des responsables religieux veulent tendre un piège à Jésus, dans l’espoir qu’il contribue à susciter un boycott contre l’impôt de l’empereur. Très sobre, Jésus déclare que l’empereur a droit à ce qui lui appartient, c’est-à-dire les impôts. Et que Dieu mérite, ce qui lui appartient.
Ce qui appartient à Dieu, ou ce à quoi il a droit, de toute évidence, il ne le reçoit pas. Et Jésus met ainsi en évidence que les pharisiens, une fois de plus, n’agissent pas en faveur de Dieu, puisqu’ils lui refusent justement ce qui lui appartient. C’est une accusation forte.
On peut faire le même parallèle concernant les troubles de cette année 2014, et pas seulement pour ceux qui génèrent le mensonge et la tricherie ou qui ne peuvent plus se défendre par des arguments raisonnables.
Dans la langue de l’Evangile, cela se traduit par : là où des guerres sont menées, où des gens sont tués, Dieu n’arrive pas à placer un mot. La lecture de la lettre de saint Paul aujourd’hui évoque de manière impressionnante le dévouement de notre amour, la fermeté de notre espérance dans le Christ. Aujourd’hui des hommes et des femmes portent un tel témoignage lorsque, au plus fort de la guerre, dans les pires persécutions, par exemple, en Syrie ou à Gaza, ils ne perdent malgré tout pas espoir. Il est troublant de voir des enfants jouer au milieu des décombres avec les seuls jouets qui n’ont pas été détruits.
En ce dimanche de la mission, nous devons avoir dans notre objectif l’ensemble des situations. D’une part, les régions du monde déjà mentionnées qui ont perdu leur équilibre à cause des troubles. Mais il nous faut aussi porter notre regard sur nous-mêmes, même si, sous nos latitudes, Dieu merci, aucune guerre n’a éclaté, mais la tromperie, la méchanceté, existent bel et bien chez nous aussi. Aujourd’hui, il suffit d’un fait non avéré diffusé par un média qui provoque ensuite une tempête médiatique pour mettre fin brusquement à une carrière. Quand une vie est ainsi détruite et qu’on révèle par la suite que c’était une pure campagne de diffamation, plus personne ne s’y intéresse. Ce n’est pas seulement la faute aux médias, mais aussi à nous tous qui les consommons à la recherche de plaisir et de quête de sensationnel. C’est par ce même mécanisme que Jésus a fini par être cloué sur une croix. Sans avoir commis de faute, mais à cause des cris de la foule.
Et si nous dirigeons notre regard sur l’ensemble, aujourd’hui en ce dimanche de la mission universelle, nous devons bien sûr jeter un regard sur le Synode des Évêques qui se termine à Rome et qui est consacré à la famille. Des évêques du monde entier y ont participé. Je pense par exemple au travail extrêmement précieux de Paul Hinder, évêque d’Arabie, qui rend possible, parfois dans des conditions très difficiles, pour les chrétiens de pays comme en Arabie Saoudite, d’avoir une vie religieuse et communautaire. Je pense aussi à l’évêque Erwin Kraeutler, qui en Amazonie a développé une pastorale très riche depuis des décennies parfois au péril de sa vie. Il existe de nombreux autres porteurs-porteuses d’espérance dans l’Eglise.
Mais on peut aussi se demander comment il peut encore arriver de nos jours que des postes à responsabilité soient occupés par des évêques qui semblent avoir perdus le contact avec la base. Des personnalités qui ne peuvent plus ou ne veulent plus remplir leurs tâches prioritaires, qui est de construire des ponts et non de les démolir.
Ou alors cette instrumentalisation inacceptable de la messe tridentine, que certains considèrent comme l’unique vérité. Bien sûr, on peut se réjouir d’une liturgie préconciliaire avec tous ses apparats de fête. D’un point de vue esthétique cela peut se comprendre, tous les ornements et autres objets hérités d’autrefois, auxquels s’ajoute un rite très précis.
Mais cette posture absolutiste est-elle vraiment dans le sens de Jésus-Christ?
Et pour rester avec l’Évangile, qu’en est-il de Dieu? Obtient-il de nous ce qui lui revient, ce qui lui appartient? Obtient-il de l’Eglise, ce qui lui appartient? Qu’est-ce qui appartient en fait à Dieu? Si Dieu par essence n’est rien d’autre que l’amour lui-même, cela donne à l’Eglise une direction claire. La direction de l’amour infini que son fils Jésus-Christ, de manière si impressionnante, nous invite à vivre et qu’il introduit dans notre monde. Et qui lui a coûté la vie. Il a toujours été dangereux et ça l’est encore aujourd’hui, de s’en prendre aux puissants. Y compris aux puissants de la religion.
Mais Jésus s’est toujours placé au-delà des traditions religieuses et des règles, quand la miséricorde et le pardon ont été refusés à des gens. A chaque fois, il leur a rendu leur dignité.
Si l’on compare les traditions religieuses et les règles d’il y a 100 ans avec celles en vigueur aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. En particulier, ces derniers temps avec les options prises par le pape François. Sa façon de diriger est clairement différente de tous ces prédécesseurs. Cela commence par des détails comme les habits et la voiture, mais cela influence profondément toute l’administration de l’Eglise. Nous avons à nouveau, après des décennies, un pape qui dirige l’Eglise et ne laisse pas à la curie des décisions essentielles.
Le pape d’Amérique du Sud montre également que notre Église est effectivement une Eglise mondiale, que chaque partie du monde a ses multiples traditions, c’est pourquoi l’Eglise possède un trésor très riche dans l’expression religieuse.
Nous devrions nous en rappeler particulièrement aujourd’hui, Journée Mondiale des Missions. Une célébration d’un peuple indigène en Amazonie est totalement différente d’une messe dans un pays germanophone. Et c’est tout aussi bon et juste!
Cet été, j’ai participé à une messe dans une communauté africaine à Bruxelles, le lendemain j’ai vécu une messe dans la cathédrale de Bruxelles. Il y a un monde entre ces deux réalités, ou mieux, des continents.
Et cela fait du bien qu’à Rome, il y ait un pape qui est conscient de cela et ne voit pas cette diversité comme une menace pour la pureté de la foi, mais comme une diversité d’expression religieuse du peuple, les enfants de Dieu, qui fixe leur propre liturgie et donc la prière à Dieu.
Le Pape François se concentre sur la tâche la plus importante d’un pape, à savoir le gouvernement de l’Église dans l’esprit de Jésus-Christ. Pas n’importe quelles règles ou traditions sont célébrées, sous prétexte qu’elles existent depuis longtemps, mais il est attentif à ce qui est réellement nécessaire, dans le sens vrai de la parole, tourné vers le besoin. Cet état d’esprit prend en compte les besoins et soulage la souffrance ou même l’élimine, rend à Dieu ce qui lui appartient. Dieu aime sa création – à l’extrême. Et qui peut amener les gens à Dieu, rend à Dieu ce qui lui appartient justement. Telle est la tâche essentielle de l’Église. Si elle ne peut pas la remplir, elle est inutile, elle se détruit.
Rendre à Dieu ce qui lui appartient. Ce n’est pas juste l’affaire dont se préoccupe le Synode des Évêques. Elle nous concerne, tous, sans exception.
Dimanche de la Mission universelle
Lectures bibliques : Isaïe 45, 1.4-6; Psaume 95; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b; Matthieu 22, 15-21