Homélie du 22 juin 2014

Prédicateur : Abbé Henri Roduit
Date : 22 juin 2014
Lieu : Eglise Saint-Laurent, Riddes
Type : radio

Pierre Teilliard de Chardin a écrit :

Ce que j’appelle comme tout être, du cri de toute ma vie, et même de toute ma passion terrestre, c’est bien autre chose qu’un semblable à chérir: c’est un Dieu à adorer.

Plus l’homme deviendra homme, plus il sera en proie au besoin, et à un besoin toujours plus explicite, plus raffiné, plus luxueux, d’adorer.

En ce jour de Fête-Dieu, où la tradition de l’église catholique nous fait adorer le corps rompu et le sang versé du Christ, signes de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes, nous ressentons aussi ce désir, ce besoin d’adorer dont parlait le Père Teilhard.

Le jeudi saint, la veille de sa mort, à Gethsémani Jésus aurait très bien pu s’enfuir dans la nuit, disparaître de façon à ne pas se laisser prendre par cette « troupe » qu’il a certainement vu descendre vers la vallée du Cédron. Mais quel aurait été le témoignage de sa vie ?

Au contraire Jésus a tenu à célébrer la Pâque juive avec ses disciples et à y greffer la Nouvelle Pâque, le passage à travers la mort elle-même. Les Juifs avaient conscience que la Pâque est un mémorial, c’est-à-dire une célébration qui rend, en quelque sorte, le croyant qui la célèbre contemporain de l’événement célébré. Ainsi fêter la Pâque juive, c’était se rendre contemporain de ceux qui ont vécu la libération d’Egypte, devenir l’un de ceux qui, avec l’aide de Dieu, ont trouvé le chemin de la vraie liberté. C’était accepter d’actualiser pour soi cette libération en accueillant le don de Dieu.

Jésus, célébrant avec ses disciples la Pâque, les entraine donc à travers le mémorial juif à accueillir cette alliance libératrice avec Dieu. Mais il va plus loin. Après avoir, lors du dernier repas, rappelé l’essentiel de la Bonne Nouvelle pour laquelle il est venu en ce monde, il décide d’affronter le martyr qui se présente à lui. Il le dit très clairement aux disciples « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance Nouvelle et éternelle », comme il dira à Gethsémani « Père, écarte de moi cette coupe, cependant non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Jésus tient à instaurer un nouveau mémorial qui ne célèbre pas tant la libération d’un esclavage extérieur que la libération de l’esclavage intérieur qu’est le péché.

Reconnaissons que cette libération est le grand besoin de notre société. En caricaturant je dirais que de nos jours chacun est porté à se prendre pour son unique référence, à être sûr d’avoir raison même si tous les autres pensent autrement, à chercher la satisfaction de ses désirs même s’ils portent préjudice à d’autres, au groupe, à la communauté. Comment vivre en société si chacun n’a d’autre référence que soi-même ? Quelle cohésion reste possible ?

Aujourd’hui nous sommes invités à découvrir la folie d’amour du Christ qui nous laisse ce grand sacrement. Par fidélité à cette folie, il nous faut quitter notre enfermement sur nous-mêmes pour nous ouvrir à l’amour infini de celui qui se donne et pardonne jusqu’au bout, de celui qui est victorieux par delà la mort. C’est ainsi que nous devenons, à sa suite des hommes libérés.

Wolfgang Goethe disait : « Le plus grand bonheur de l’homme qui réfléchit, c’est, après avoir cherché à comprendre ce qu’on peut comprendre, d’adorer ce qui est incompréhensible ». Osons croire à ce mémorial qui nous donne la force d’aimer du Christ, qui nous fait membre de son corps, qui nous permet de vivre avec les autres dans la cohésion parce que nous avons la même référence, la volonté de Dieu le Père et que nous sommes ainsi en communion avec Jésus. Osons adorer le Christ présent sous les apparences du pain et du vin. Osons être, comme le disait Pierre Teilliard de Chardin, en proie au besoin, et à un besoin toujours plus explicite, plus raffiné, plus luxueux, d’adorer.

J’aimerais terminer par une méditation de Christine Reinbolt :

Tu aurais pu, Seigneur, au moment de la Cène, te contenter de revêtir la tenue de service, et te tenir aux pieds de tes apôtres.

Mais tu as voulu aimer tes amis jusqu’à l’extrême, en t’abaissant jusqu’à la mort     par amour pour nous.

Tu aurais pu, Seigneur, au moment de la Cène, te contenter de rompre le pain et le partager entre tous.

Mais tu as voulu aimer tes amis jusqu’à l’extrême, en te brisant d’amour pour nous.

Tu aurais pu, Seigneur, au moment de la Cène, te contenter de faire couler le vin, et offrir la coupe entre tous.

Mais tu as voulu aimer tes amis jusqu’à l’extrême en versant ton sang par amour   pour nous.

Tu as tout offert, Seigneur, dans un élan d’amour total: ton corps et ton sang,

pour que germe en nos coeurs une moisson de vie,

et qu’à jamais, nous puissions vivre debout !

Fête-Dieu

Lectures bibliques : Deutéronome 8, 2-3.14b-16a;1 Corinthiens 10, 16-17; Jean 6, 51-58

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