Prédicateur : Abbé Guy-Michel Lamy
Date : 08 juin 2014
Lieu : Eglise du Sacré-Coeur, Bâle
Type : radio
« Shalom »
La paix et la joie !
La peur et la tristesse !
Faisant allusion à ce que Jean Delumeau appellera plus tard la « Pastorale de la peur », Annah Arendt écrivait dans un livre publié en anglais en 1954 et traduit en français dix-huit ans plus tard : « Il est certainement d’une ironie terrible que la « bonne nouvelle » des Évangiles, « La vie est éternelle », ait pu par la suite aboutir non à un accroissement de la joie mais à un accroissement de la peur sur la terre, et n’ait pu rendre à l’homme sa mort plus facile mais plus pénible.
Dans son journal, Julien Green parle d’un célèbre prédicateur anglais du XVIIème siècle qui allait, paraît-il, jusqu’à faire s’évanouir de terreur des hommes à l’écoute de ses sermons.
Et plus d’un paroissien âgé du Sacré-Cœur, homme ou femme, m’a parlé de cette peur de son enfance et de son adolescence entretenue par la prédication de certains curés ou pasteurs.
Une peur de l’enfer inventée par Platon quatre siècles avant Jésus-Christ pour faire marcher droit la multitude (lui-même étant d’origine aristocratique), et remontant chez nous surtout à la fin du Moyen-âge : ces XIV° et XV° siècles, qui n’en sont après tout que deux sur les dix que recoupe le Moyen-âge dans son ensemble, mais qui auront suffi à faire de lui un « dark age », un âge sombre, alors qu’il est celui de nos plus belles églises romanes et gothiques.
Né lui-même neuf ans avant la découverte des Amériques, Martin Luther s’en fera à son tour l’écho en décrivant ainsi sa formation religieuse monastique : « Nous pâlissions au seul nom du Christ, car on ne nous le représentait jamais que comme un juge sévère, irrité contre nous ».
Juge certes, mais nous jugeant avec amour, ce qui n’est pas évident à concevoir à moins peut-être d’avoir connu des parents qui nous aimaient profondément.
« Non abbiate paura », « N’ayez pas peur », a martelé le pape Jean-Paul II sur la place Saint-Pierre de Rome au jour de son intronisation, répétant les mots que Jésus lui-même adresse à Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé au jour de sa résurrection.
Ici, pour ceux que Daniel Marguerat appelle « les séquestrés du dimanche soir » (et séquestrés par peur des Juifs) : c’est « shalom », deux fois « shalom », en latin : « pax vobis » ; en français : « la paix soit avec vous »
Jésus leur avait promis qu’il reviendrait : « Un peu de temps, et vous ne me verrez plus, et puis un peu de temps encore, et vous me verrez » (Jn. 16, 3).
Et quelques versets plus loin : « …vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie » (Jn. 16, 20)
Cette joie à laquelle saint Luc fait plusieurs fois allusion en parlant du « cœur brûlant » (« brûlant » de joie) des disciples d’Emmaüs (Luc. 24, 32). Cette joie des disciples, même ayant du mal à croire : « Et comme dans leur joie ils refusaient de croire » (Luc 24,41). Cette joie d’un Pascal transcrite dans son célèbre Mémorial du lundi 24 novembre 1654 : « Joie, joie, joie, pleurs de joie ».
Jésus s’est frayé un passage dans cette maison fermée et triste, comme il s’en fraie en tout homme qui accepte de s’ouvrir à lui et de le reconnaître comme le Messie (mot hébreu) ou comme le Christ (mot grec) ; le refuser étant le péché par excellence tout au long de l’évangile de saint Jean.
Dans un petit essai intitulé « Pour une spiritualité de l’insurrection », publié en 2004, Francine Carrillo s’amuse à faire remarquer qu’on a presque les mêmes lettres en hébreu pour le mot joie : « hasimha » et messie : « mashiah ».
« Seigneur, donnez-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres », demandait saint Thomas More, chancelier d’Angleterre et ami d’Erasme, mort décapité une année avant lui.
C’est une prière qui commence par ces mots : « Seigneur, donnez-moi une bonne digestion, et aussi quelque chose à digérer… ».
Ça me rappelle les propos d’un moine qui avait un jour déclaré au cher abbé Zundel : « J’ai autant de dévotion à manger ma soupe qu’à célébrer la messe ».
Amen
Fête de la Pentecôte
Lectures bibliques : Actes 2, 1-11;1 Corinthiens 12, 3b-7.12-13; Jean 20, 19-23