Homélie du 18 avril 2014

Prédicateur : Abbé Bernard Allaz
Date : 18 avril 2014
Lieu : Eglise de Farvagny
Type : radio

Depuis ce vendredi-là

Oui, depuis ce vendredi-là, tout a changé dans le monde. Un choc, Jésus est mort ! Il est mort sur une croix. Comme le dernier des derniers. Il a pourtant apporté à chacun, lors de son passage sur la terre, un immense amour. La certitude, par la résurrection de la fille de Jaïre, par celle du fils de la veuve de Naïm et celle de son ami Lazare, qu’il était le maître de la vie et de la mort. Comment comprendre qu’il a été jusqu’à l’extrême de l’amour en donnant sa vie pour sauver tous les hommes ? Les chemins des « pourquoi ? », « à cause de quoi ? », « pourquoi nous ? » ne conduisent à rien, si ce n’est au doute qui nous enferme sur nous-même. Pour que la tristesse et le désespoir ne triomphent pas, ouvrons notre cœur et faisons nôtre ce grand mystère.

« Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. »

Mettons-nous à l’écoute de la foi de celle qui nous a ouvert le chemin de la petite voie de sainteté.

Quelques années après la « Crucifixion en jaune » peinte par Gauguin, où s’exprime l’ardente dévotion des Bretonnes, une jeune Carmélite, sainte Thérèse de Lisieux, écrivait son « acte d›offrande », dont voici un extrait:

Je vous remercie, ô mon Dieu! de toutes les grâces que vous m’avez accordées, en particulier de m’avoir fait passer par le creuset de la souffrance. C’est avec joie que je vous contemplerai au dernier jour portant le sceptre de la croix; puisque vous avez daigné me donner en partage cette Croix si précieuse, j›espère au Ciel vous ressembler et voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre Passion…

Après l’exil de la terre, j’espère aller jouir de vous dans la Patrie, mais je ne veux pas amasser de mérites pour le Ciel, je veux travailler pour votre seul Amour, dans l’unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Cœur Sacré et de sauver des âmes qui vous aimeront éternellement.

Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice, et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même. Je ne veux point d’autre Trône et d’autre couronne que Vous, ô mon Bien Aimé !…

A vos yeux le temps n’est rien, un seul jour est comme mille ans, vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant vous…

Afin de vivre dans un acte de parfait Amour, je m’offre comme victime d’holocauste à votre amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu’ainsi je devienne martyre de votre Amour, ô mon Dieu…

Sainte Thérèse de Lisieux

Cet acte d’offrande nous interpelle. Il nous engage à suivre Jésus jusqu’au bout du chemin, surtout si dans nos vies les épreuves sont nombreuses. Ne l’oublions jamais, Jésus nous a dit : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » Lc 9, 23-24

Lorsque tu portes ta croix n’oublie jamais que lui aussi est avec toi. Il notre Simon de Cyrène et bien plus. Lorsque tu souffres, appuie ton visage sur le bois et tu découvriras qu’il est là. En général silencieux, comme l’ami véritable. Rarement parlant mais parfois te disant courage, confiance, continue d’avancer je suis avec toi. Et alors un ami surviendra pour partager ta souffrance. N’aies pas peur de pleurer ! De partager ta douleur ! « Toute peine partagée est une peine soulagée. » affirme le proverbe et le bon sens de la vie.

Pour avoir la chance de vivre un moment si fort. Il faut régulièrement fréquenter le Crucifié. N’ayez pas peur de lever votre regard vers le Christ en croix. Chaque crucifix, chaque chemin de croix nous offre un message. Beaucoup ne nous touchent pas, ils nous laissent indifférent et pourtant… Tant de croix sur les routes des hommes. Elles rappellent les missions du passé, un accident, l’affirmation de la foi, … Les plus connues sont vénérées car pour des saints elles ont parlé. Que ce soit celle de saint François ou de Don Camillo pour ne citer que les plus familières. Chacun un jour, rencontre Jésus crucifié en contemplant un crucifix.

Dans mon enfance, c’est par le chemin de croix de Longeborne, près de Bramois où ma grand-maman, Marie, allait souvent demander des grâces, que j’ai vécu la découverte cette dévotion. Elle nous conduit par la communion aux souffrances de Jésus, au partage de la douleur des proches. L’après chemin de la croix était toujours une source de rencontres, de solidarité, d’amitié et chacun repartait avec l’espérance dans son cœur.

Dans ma vie de prêtre, notre Evêque Pierre Mamie, en 1981, m’a confié la paroisse de Belfaux. En service d’aumônerie militaire le jour de la parution de cette nomination, un soldat me dit : « Je te salue, curé du Saint Crucifix. » Du Saint Crucifix, je n’en ai jamais entendu parler. Mon étonnement était grand. Qu’a-t-il de plus que les autres ? Une chance immense pour ma vie de prêtre que ce bonheur de le découvrir et de partager avec lui douze années de ministères.

**Datant de la fin du XIIIe siècle, le saint Crucifix de Belfaux, célèbre par les grâces obtenues, est l’un des plus anciens du pays. Les reliques qu’il renfermait devaient attirer les pèlerins bien avant l’incendie qui réduisit l’église en cendres vers 1470, mais qui laissa le crucifix « complètement indemne » au milieu et au-dessus des tisons enflammés ». L’authenticité de ce miracle fut reconnue le 2 juin 1478 par Mgr Benoît de Montferrand, évêque de Lausanne, par un acte rédigé en latin et conservé dans les archives de la paroisse de Belfaux.

Touché en plein cœur par ce signe source de foi, de confiance et d’espérance j’ai désiré le faire connaître dans le monde entier. En préparant un petit carnet de prière, « Au pied de la Croix prions…» j’ai découvert que le Crucifié apportait guérison, conversion, courage et que son visage invitait à la confiance. Qu’en le regardant, en se plaçant différemment à ses pieds, il nous adressait un message nouveau. J’ai reçu de nombreux témoignages et j’ai été témoin de miracles. Sa présence habite mon cœur de prêtre. Ensemble, nous vivons une belle aventure.

Lors de la restauration du pèlerinage et de la consécration du nouvel autel en 1986, toute la communauté s’est mobilisée. Le vendredi soir, des processions sont parties de tous les villages de la paroisse avec une croix confectionnée et portée par les jeunes. Le Seigneur nous avait bénis d’une pluie abondante. La ferveur nous a fait surmonter ce désagrément. Mais dans la nuit de samedi à dimanche, Christophe est mort, d’une méningite foudroyante. Ce fut la consternation. Il avait porté la croix durant la procession. En mon cœur la révolte, rentrant de la famille, vers quatre heures du matin j’ai été prier au pied du Crucifix, lui faisant de vifs reproches. … Il m’a répondu qu’il m’aiderait à trouver les paroles de consolation, de confiance et d’espérance pour la famille, les jeunes et tous. Il a tenu parole ! En cette circonstance et en beaucoup d’autres. Je n’ai jamais célébré sans un long regard porté sur son visage.

A la fin d’une messe, un grand-père, du foyer St-Germain à Gruyères, m’invite dans sa chambre pour me montrer un crucifix qu’il avait sculpté. Ce qui m’a frappé en le contemplant, le visage de Jésus, c’était celui de l’artiste. Il a pris peur. Mais non, nous sommes faits à son image !

Une grande joie en arrivant, l’automne dernier, dans l’unité pastorale de Saint Protais, au Gibloux, sur chaque autel, une belle croix de St-Damien. Cette croix qui a parlé à St-François : « Va, reconstruis mon Eglise ! » C’est notre mission à tous, rejoindre celui qui souffre, l’écouter, cheminer avec lui, le porter dans la prière avec la communauté et veiller ensemble à ce que chacun soit respecté, accueilli, accompagné et aimé. C’est l’appel que je ressens en ce Vendredi-Saint. Que nous soyons tous témoins de l’espérance et de la joie de l’Evangile au cœur de nos communautés, de nos familles et milieu de vie. N’ayons pas peur de faire un chemin de croix, de prendre un crucifix dans la main. Nous rencontrerons notre Sauveur et par lui nous serons envoyés vers les autres.

(Court moment de silence)

Après vous avoir partagé la place de la croix dans ma vie. De tout cœur, je vous partage la richesse des sept paroles de Jésus sur la croix. Elles sont les sources vives de mon ministère

« Père, pardonne-leur,
parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. » Lc 23, 24
A tout péché, miséricorde. N’est-ce pas folie pour le monde d’aujourd’hui ! Pourtant un jour, il faut pardonner. La paix du cœur, la santé, la tranquillité sont à ce prix. Pour agir ainsi, il faut une foi profonde et une miséricorde sans limite.
Lorsque je suis à Auschwitz, avec les pèlerins que j’accompagne, en Pologne, je lis cette prière :

« Seigneur,
lorsque tu reviendras dans ta gloire,
ne te souviens pas seulement
des hommes de bonne volonté,
souviens-toi également
des hommes de mauvaise volonté.

Mais ne te souviens pas alors
de leurs cruautés,
de leurs sévices et de leurs violences.

Souviens-toi des fruits
que nous avons portés,
à cause de ce qu’ils nous ont fait.

Souviens-toi de la patience des uns,
du courage des autres,
de l’humilité, de la grandeur d’âme
et de la fidélité
qu’ils ont réveillés en nous.

Et fais, Seigneur, que les fruits
que nous avons portés
soient un jour leur REDEMPTION. »

Prière retrouvée dans la poche de la veste d’un juif qui a passé à la chambre à gaz.

Demandons en ce vendredi-saint ce même courage et ayons à cœur de tout pardonner, de prier pour ceux qui nous ont offensés.

Le bon larron :

« Jésus, souviens-toi de moi
quand tu viendras inaugurer ton règne. »

Jésus répondit :
« Amen, je te le déclare, aujourd’hui,
avec moi tu seras dans le paradis. » Lc 23, 42-43

Que de questions lors d’un décès, mais où vont nos bien-aimés, sont-ils dans le Royaume ? Cette affirmation de notre Sauveur en Croix, nous permet d’être sûrs que les bras de Dieu s’ouvriront pout eux. Comme l’affirme ce cantique, source d’espérance. En Bulgarie, au monastère de Rila, entièrement décoré par des fresques, sur la gauche, avant d’entrer dans l’église, il y a le bon larron, seul au paradis. Il attend la venue de Jésus-Ressuscité. Il est arrivé avant lui. Jésus-ressuscité a fait le détour par le shéol, l’enfer de notre credo.

Au cœur de notre prière plaçons chaque jour une demande de pardon et les portes du paradis seront toujours ouvertes. N’ayons pas peur ! L’important est de donner sa vie en apportant à chacun la bienveillance.

Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère :

« Femme, voici ton fils. »
Puis il dit au disciple :
« Voici ta mère. » Jn 19, 26-27

Jésus nous fait un cadeau merveilleux. Pour que sa Mère ne soit pas seule. Il lui confie Jean, son apôtre fidèle, jusqu’au bout. Ecoutons la voix du Seigneur ! En chaque épreuve il nous envoie vers les autres. Il nous confie un être à aimer. Alors la blessure de la séparation devient petit à petit tendresse.

Dans mon ministère d’aumônier militaire, j’ai été témoin de la fécondité de cette parole. Un accident mortel de circulation, un jeune mort tragiquement vers 11h00 du matin. Le temps que nous arrivions avec le Colonel dans la famille, il était environ 17h00. La maman n’était pas à la maison, les petits enfants sont allés la chercher. Elle est arrivée en salopette. A la nouvelle, elle s’est écroulée, perdant connaissance. A son réveil, après un silence elle nous confie sa honte : « Jean-Marie est mort depuis onze heure ce matin et moi je ramasse des fruits. J’ai autre chose à faire ! Je ne remettrai plus mes habits de travail, j’irai visiter les malades, entourer les personnes âgées. Elle l’a fait jusqu’au bout de ses forces pendant plusieurs années. Elle sentait en son cœur que Jean-Marie était heureux qu’elle donne sa vie pour entourer les plus isolés.

« Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Mt 27,46 / Mc 15,34

Ce cri de Jésus rejoint tous les désespérés. Tous ceux qui, pourtant aimés, ont perdus le contact avec leurs proches. Souvent, ils vont jusqu’à l’extrême détresse et perdent leur vie. Veillons pour que personne autour de nous ne connaisse un si grand désespoir. Soyons à l’écoute de l’autre et favorisons leur engagement au service du prochain.

« J’ai soif. » Jn 19, 28

Seigneur, donne-nous soif de ta parole ! Bannis de nos cœurs les « à quoi bon ! », l’indifférence face à la souffrance. Donne-nous l’audace de vivre des 8ème et 9ème béatitudes : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » Mt 5, 10-12

« Tout est consommé. » Jn 19.30

Don total de sa vie, simplement qui conduit à l’ultime parole.

« Père,
je remets mon esprit entre tes mains. » Lc 23, 46

Seigneur accorde-nous la joie, la paix du cœur pour qu’au soir de la vie tes paroles soient les miennes. Que je me remette entre tes mains en toute confiance. Donne-nous la joie de bien vivre notre vie au service de tous les hommes. Faisons nôtre cette prière :

Chrétiens et païens
Les hommes vont à Dieu dans leur misère,
Ils demandent du secours, du bonheur et du pain,
demandent d’être sauvés de la maladie,
de la faute et de la mort,
Tous font cela, tous, chrétiens et païens.
Des hommes vont à Dieu dans sa misère,
le trouvent pauvre et méprisé,
sans asile et sans pain,
le voient abîmé sous le péché,
la faiblesse et la mort.
Les chrétiens sont avec Dieu dans sa Passion.
Dieu va vers tous les hommes dans leur misère,
Dieu rassasie leur corps et leur âme de son pain;
Pour les chrétiens et les païens
Dieu souffre la mort de la croix,
et son pardon est pour tous, chrétiens et païens.

Dietrich Bonhoeffer

Notes :

La parole de Dieu de la nouvelle traduction liturgique.

L’acte d’offrande de Ste-Térèse de l’Enfant Jésus,

Manuscrit autobiographiques de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Lisieux, Office central de Lisieux. 1957, p 308-309.

Dietrich Bonhoeffer, Résistance et Soumission, Lettres et notes de captivité, p 367-368, Ed Labor et Fides, 1973»

Méditation pour la cérémonie de la Passion du Vendredi-Saint,

Lectures bibliques : Isaïe 52, 13 – 53, 12; Hébreux 4, 14-16 ; 5, 7-9; Jean 18, 1 – 19, 42

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