Homélie du 19 janvier 2014

Prédicateur : Pasteur Emmanuel Rolland
Date : 19 janvier 2014
Lieu : Cathédrale Saint-Pierre, Genève
Type : tv

«Qui est le plus grand?» Autrement dit, lequel d’entre nous sert-il le mieux Jésus-Christ? Lequel est le plus fidèle à son enseignement? Ce n’est pas la question des disciples qui est originale. C’est la réponse de Jésus.

«Le plus grand»…

Parce qu’il y a en effet un vrai rapport de hiérarchie entre nous. Nous ne sommes pas tous égaux dans le service du Christ. Il y a parmi nous le meilleur, le médiocre et le pire et en l’occurrence, Jésus ne le remet pas en question. Il ne dit pas à ses disciples: «Allez, vous êtes tous de braves gens et vous faites ce que vous pouvez.» Non. La hiérarchie est là. Le problème avec Jésus, c’est qu’elle n’est jamais là où on l’attend. On prend des regards énamourés, on trottine à sa suite, et le voici qui nous dit: «Si quelqu’un veut être le premier…Qu’il soit non pas «mon» serviteur mais le serviteur «de tous».

C’est là qu’on reconnait Jésus, le Maître. Rien pour lui, tout pour les autres. Et joignant le geste à la parole, au cas où on n’aurait pas compris que être serviteur de tous, c’est bien servir ceux qui ne sont pas «de chez nous» ceux qui ne sont pas «comme nous», il prend un petit enfant par la main, le place au milieu d’eux, le prend dans ses bras, et l’accueille.

Nous on cherche – parce qu’on ne comprend jamais rien à rien – pourquoi un enfant? Pourquoi diable un enfant? Et on se met à trouver des tas de qualités aux enfants parce qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit d’ imaginer que Jésus place au centre quelqu’un ou quelque chose qui serait sans «qualité». Alors on dit «oui, parce que ils sont gentils les enfants », comme si les enfants étaient gentils par nature»! Ou alors, on dit: «parce que les enfants font plus et mieux confiance qu’un adulte». Mais allez gagner la confiance d’un enfant qui ne vous connaît pas!

Il nous faut toujours du temps avant de comprendre que ce n’est pas pour ses qualités réelles ou fantasmées que Jésus place l’enfant au centre, mais précisément parce qu’il n’appartient pas au petit groupe, au petit clan, au petit cercle d’initié. Et le plus grand parmi ses disciples, pour Jésus, c’est donc celui ou celle qui arrive à rompre le cercle, à faire une place au milieu du clan à celui qui n’en est pas. A accueillir «celui qui est dehors.»

Que des églises chrétiennes se rassemblent de temps en temps pour manifester leur unité en Jésus-Christ, quoi de plus normal? On ne fait là rien d’extraordinaire si ce n’est que – comme l’aurait dit Saint-Paul – ceux d’Apollos, ceux de Céphas et ceux de Chloé se souviennent qu’ils ne sont pas étrangers les uns aux autres. Pas mal, mais après tout, si l’on considère les choses du point de vue de l’Evangile, ce n’est encore rien du tout.

«Le plus grand?» Celui qui se place au service de tous! Le plus grand? Celui qui n’est pas fermeture mais ouverture. Le plus grand? Celui qui se fiche de savoir qui est de son église et qui n’en est pas, pour exercer les gestes vitaux d’humanité à l’égard de tous.

Malheurs aux petits! Aux petits calculs, aux petites habitudes, aux petits cœurs, aux petites rancœurs. Et le Christ qui n’a jamais méprisé les images fortes va nous servir une série d’allégories qu’on serait bien bête de prendre au pied de la lettre:

Si vous utilisez votre main, nous dit-il, pour repousser plutôt que pour accueillir, coupez votre main, cela vous évitera la sclérose.

Si vous utilisez votre pied pour chasser les gens qui ne sont pas de chez vous plutôt que de faire un pas vers eux, eh bien coupez votre pied, cela vous évitera de voir la gangrène.

Et si vous utilisez votre œil non pas pour vous émerveiller de l’autre mais pour surveiller et punir ceux qui ne sont pas comme vous, arrachez-le avant que votre champ de vision ne se rétrécisse aux 4 murs d’une prison.

Quand on dit que le Christ sauve son Eglise, on voit bien ici que le salut n’est pas une abstraction. Nous sommes ici précisément sauvés de ce qu’il y a de plus primaire, de plus primitif dans nos natures débiles, si promptes à établir des barrières qui finissent par devenir nos tombeaux.

Revenons un instant sur notre passé d’Eglise et faisons preuve ensemble d’un peu d’imagination:

Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils sont partis à pied en croisade vers Jérusalem; S’ils s’étaient coupés les pieds plutôt que de couper la tête des musulmans, l’Eglise, vous en conviendrez, n’en serait aujourd’hui pas là.

Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils ont plongé leurs mains dans les ors du pouvoir, de la richesse et de la puissance , s’ils s’étaient coupés les mains plutôt que de les plonger dans les trésors du monde, l’Eglise aujourd’hui n’en serait pas là.

Si ses disciples s’étaient souvenus de ses paroles quand ils ont regardé muets les juifs persécutés, les pauvres spoliés, les étrangers expulsés, s’ils s’étaient arrachés les yeux plutôt que de les fermer, l’Eglise aujourd’hui n’en serait pas là.

Je simplifie bien sûr à l’extrème mais d’où vient cette image caricaturale de ce que nous sommes si ce n’est de toutes les occasions que nous avons manqué de conformer nos actes à la parole du Christ.

«Qui accueille en mon nom un seul enfant comme celui-là – c’est-à-dire précisément, un enfant qui n’est pas votre enfant; un enfant qui vous est étranger; un enfant auquel rien ne vous relie: ni les liens du clan, ni les liens du sang, et j’ajoute, ni les liens de l’ethnie, de la religion ou de la race – qui accueille donc «en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il a accueilli, c’est celui qui m’a envoyé».

Comment mieux dire que Dieu est «dehors»? Et que sa présence prend le visage de celui ou de celle qui, venant de l’extérieur a été accueilli au milieu de nous.

Aujourd’hui, pour nous, le visage de Dieu prend celui de Marcel Pérès et de ses musiciens que nous sommes si heureux d’avoir pu accueillir, non pas seulement parce que ce sont d’immenses artistes, mais parce qu’ils portent quelque chose qui s’est marginalisé dans chacune de nos églises, et ce quelque chose, on pourrait l’appeler l’art sacré, l’art qui par je ne sais quelle grâce parvient à relier ciel et terre, passé et présent dans une même communion. Donner de l’espace au chant de la liturgie de l’Eglise indivise dans cette cathédrale, temple de la Réforme depuis le XVIème siècle, c’était une manière, en donnant une place à ce qui nous est étranger, de retrouver aussi ce qui nous fonde en brisant le cercle de nos liturgies coutumières.

Aujourd’hui, pour nous, le visage de Dieu prend celui de Samantha Reichenbach qui a demandé à recevoir le baptême. Elle est arrivée un jour en demandant de franchir la porte et cette porte, grâce à Dieu lui est ouverte.»

Lecture biblique : Marc 9, 33-47

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