Homélie du 12 janvier 2014

Prédicateur : Dom Marc de Pothuau
Date : 12 janvier 2014
Lieu : Abbaye de Hauterive, Posieux
Type : radio

Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour.

La fête du Baptême de Jésus que nous célébrons ce matin est placée en écho à celle de l’Épiphanie. Pour tenter d’en cerner l’enjeu, je distinguerai deux choses qui malheureusement ne coïncident pas toujours dans la vie : être aimé et se savoir aimé. On peut être aimé sans trop le savoir en effet. Votre enfant, par exemple, devenu adolescent a besoin d’autres signes que ceux que vous lui donniez quand il était un tout-petit.

Cette évolution des signes que réclame l’amour marque l’histoire compliquée de notre vie affective. Un amour n’existe vraiment que s’il se célèbre. Cette célébration se nomme une « alliance ». Et cela seul nourrit notre coeur. Notre coeur se nourrit de relations qui se manifestent, qui s’expriment et se traduisent en gestes clairs et explicites. Ils signifient : je t’aime ; tu es important pour moi ; tu es ma joie. Notre coeur a besoin de ces manifestations, de ces « épiphanies », pour pouvoir s’appuyer dessus. Un coeur habité par une alliance, c’est un coeur à qui a été confié beaucoup d’amour, c’est un coeur confiant. Ne cherchons pas ailleurs la source de la confiance en soi.

Par conséquent, il ne suffit pas d’aimer ceux qui nous entourent, il faut savoir le leur manifester, c’est-à-dire célébrer cet amour. Êtes-vous bien certains que ceux qui partagent votre vie et que vous aimez, se sentent effectivement aimés, actuellement aimés ? Les mises à jour en ce domaine sont bien plus importantes qu’en informatique, et les bugs bien plus douloureux ! Combien il est délicat de célébrer une alliance ! Combien merveilleux aussi : c’est là le bonheur de la vie !

Or sans cesse Dieu nous déclare qu’il nous aime. Mais qui le sait ? Israël a été choisi pour le savoir et le faire savoir aux nations. Par le prophète Jérémie, par exemple, Dieu dit à son peuple : Es-tu pour moi un fils si cher, un enfant qui me procure une telle joie que chaque fois que je t’évoque, je répète et répète sans cesse ton nom ; et en mon coeur, quel émoi pour toi ! Je t’aime, oui, je t’aime (cf. Jr 31, 20). Mais Israël l’oubliait sans arrêt. Les signes de la première Alliance étaient tous des célébrations de cet amour tendre autant que jaloux du Seigneur, pour que son peuple n’oublie pas. Celui de la Pâques tout spécialement. Or ce matin c’est justement dans ce signe que Jésus entre par son baptême.

Et Dieu-le-Père se déclare à nouveau : Celui-ci est mon Fils bien aimé, en lui j’ai mis tout mon amour. Notons qu’il ne s’adresse pas alors à Jésus lui-même. Jésus se savait aimé tout spécialement depuis le recouvrement au Temple : Je dois être aux affaires de mon Père déclara-t-il alors à ses parents stupéfaits. Et silencieusement il avait répondu à cet amour, puisque c’est cela toutes les affaires du Père : l’Alliance ! Un amour qui se déclare et auquel il s’agit de répondre. De 12 à 30 ans Jésus avait répondu dans le silence de Nazareth à son Père. Là, il sanctifiait le monde en célébrant silencieusement son alliance avec son Père, leur éternelle étreinte dans l’Esprit.

Mais ce matin Jean-Baptiste en devient le témoin : Jésus apparaît maintenant comme le Fils bien-aimé, en qui le Père a placé tout son amour, toute sa joie, sur qui l’Esprit Saint vient reposer. Pour Jésus il ne s’agit plus seulement de répondre, mais de répandre cet amour ! Sa conscience d’être aimé, devient conscience qu’il est lui-même tout l’amour manifesté à Israël, qu’il est lui-même l’Alliance. Il doit maintenant célébrer cet amour avec son peuple et bientôt toute l’humanité. Non seulement Jésus est aimé, non seulement il se sait aimé, mais en plus il sait que de lui, de sa propre capacité à exprimer l’amour, dépend la manifestation de l’amour de Dieu dans le monde. Le Père lui a confié tout son amour. Il est tout l’amour confié par le Père. Voilà l’incroyable conscience de Jésus ! Le mystère de toute sa personnalité se trouve là. De même que notre personnalité profonde se situe dans l’histoire de nos alliances et notre manière de les célébrer, de même le mystère du Christ se résume en ceci : il est lui-même l’Alliance, comme nous l’avons entendu dans la 1ère lecture tirée d’Isaïe!

Alors que conclure de cela pour nous-mêmes ? Par notre Baptême Dieu nous fait entrer dans cette Alliance : nous sommes plongés dans la conscience même de Jésus. Quelle joie et quelle responsabilité ! Quelle joie que cette responsabilité ! Chaque baptisé est, en Jésus, l’Alliance de Dieu avec les hommes, signe par lequel Dieu déclare et manifeste au monde sa tendresse.

Renouvelons donc notre conscience, ce matin, en célébrant l’Alliance nouvelle et éternelle dans cette Eucharistie. Revitalisons nos gestes et nos rites en puisant dans cet amour brûlant de Dieu pour chacun afin que l’humanité ne puisse plus ignorer combien elle est la bien-aimé de Dieu !»

Baptême de Jésus

Lectures bibliques : Isaïe 42, 1-4.6-7 ; Actes 10, 34-38 ; Matthieu 3, 13-17

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