Prédicateur : Abbé Marc Donzé
Date : 15 décembre 2013
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio
Incroyable la question de Jean Baptiste depuis sa prison. Incroyable qu’il demande à propos de Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ».
Jésus, il le connaissait. Ils étaient même petits cousins (si l’on en croit l’Evangile de Luc). Jésus, il l’avait reconnu comme le Messie, comme le Fils bien-aimé du Père, quand il l’avait baptisé dans le Jourdain.
Et voilà que Jean-Baptiste pose une question comme s’il ne connaissait pas Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ». Incroyable. Mais cela peut s’expliquer tout de même. Jean-Baptiste attendait un Messie puissant et spectaculaire, encore plus puissant que Moïse quand il faisait la nique au Pharaon d’Egypte. Et il ne voyait rien de cela. Jean-Baptiste était désorienté au fond de sa prison.
Réponse de Jésus : il faut regarder ailleurs et autrement. « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Peu avant de mourir, peu avant de se faire couper la tête, Jean-Baptiste doit encore changer sa vision. Il était le doigt, le très noble doigt qui désignait le Messie, dont il imaginait la puissance. Il est appelé à devenir le doigt qui désigne le relèvement des pauvres dans l’amour.
Et c’est ce que l’Église doit faire (entre autres). Être le doigt qui montre la justice de Dieu, cette justice qui remet debout les petits. Être le doigt qui montre la lumière du Christ sur le visage des hommes de réconciliation et de paix. Et voici que défilent au bout de ce doigt :
Nelson Mandela, chez qui le pardon, la justice, l’entente entre les races furent plus fort que tout ;
Jean Vanier qui considère les personnes avec un handicap mental comme infiniment dignes et qui les aime
L’abbé Pierre qui redonna dignité et travail à des personnes qui n’avaient ni toit, ni emploi
Raoul Follereau qui allait apporter de l’espérance au milieu des lépreux
Mais aussi tous ceux qui œuvrent au quotidien, en toute discrétion, pour redonner de la dignité et de l’espoir, pour ouvrir des perspectives d’avenir, pour partager une tendresse qui vient du cœur de Dieu : au lieu d’accueil des requérants à Vallorbe, dans les rues de Lausanne, à la table des cafés du désespoir, dans les centres funéraires, dans les hôpitaux, les EMS, les prisons, comme aussi dans les riches appartements quand le sens de la vie s’est perdu. Partout.
Mais encore défilent au bout de ce doigt tous ceux qui annoncent la Bonne Nouvelle du Christ. Et cette Bonne Nouvelle, c’est : tu es aimé, tu peux te relever, tu as un avenir, la vie a un avenir. Peut-être long, peut-être difficile, peut-être tortueux, mais la vie a un avenir, un horizon, une lumière. Pour toi, même pour toi.
Être le doigt qui montre ce que le bling-bling ne montre pas forcément. Mais, vous l’avez compris, il ne suffit pas d’être le doigt qui montre. Dans la mesure du possible, au nom de l’Evangile, nous sommes appelés à être la main qui agit et la voix qui annonce une Bonne Nouvelle qui va vers la vie, la réconciliation et la résurrection, avec des mots simples, avec cœur, avec respect.
Je pense ici à un doigt célèbre. Dom Helder Camara, qui fut archevêque de Recife au Brésil, ardent défenseur des pauvres et de la justice, était tout petit et très maigre. Mais il avait un long index, très décharné, et d’une force d’expression étonnante. Il tendait son bras et son doigt, en même temps que sa voix prenait du volume, de la chaleur et de la véhémence, pour désigner ce qu’il appelait « les communautés abrahamiques » : ces groupes de personnes qui se lancent dans l’aventure, comme Abraham, pour vivre l’Evangile, pour promouvoir la justice, pour témoigner de l’espérance. Ces communautés étaient importantes au Brésil pour défendre notamment les droits des paysans sans terre. Puissent ces groupes « abrahamiques » se multiplier de mille manières aujourd’hui, ici chez nous, afin que « les aveugles voient, et que la Bonne Nouvelle soit annoncée aux pauvres ».
Être le doigt qui montre, cela ne veut pas dire montrer du doigt pour critiquer, juger, voire stigmatiser ou exclure. Hélas, cela arrive, même dans l’Église, et des personnes se sentent exclues ; ou elles ne se sentent accueillies que partiellement ou du bout des lèvres. Chez nous, on peut penser aux questions qui concernent le divorce, le remariage, l’homosexualité, et bien d’autres encore. L’Église doit trouver des chemins de miséricorde plus clairs, dans la sagesse de l’Evangile, dont le premier mot n’est pas la loi, ni la puissance, mais l’amour dans toutes ses facettes. Montrer du doigt n’est jamais bon, il faut pouvoir élever, mettre debout, donner de l’espérance, si l’on veut être fidèle au Christ. « Les aveugles voient et la Bonne Nouvelle est annoncée. » Le pape François nous y invite ; que les fruits réalisent bientôt la promesse des fleurs. Et que Dieu lui-même nous en donne l’imagination et la force, car ce n’est pas facile de changer son regard et ses mains.
Je repense au doigt de Jean-Baptiste au fond de sa prison. L’Évangile ne dit pas explicitement ce qui est advenu. Mais je crois qu’il a été revêtu de tendresse et qu’il était caressé par une brise légère.
Amen.
3e dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 35, 1-6a.10; Psaume 145, 7-10; Jacques 5, 7-10; Matthieu 11, 2-11