Homélie du 29 septembre 2013

Prédicateur : Abbé Patrick Werth
Date : 29 septembre 2013
Lieu : Eglise du Christ-Roi, Bienne
Type : radio

Piaf, la pécheresse publique pour laquelle l’Eglise – il y a cinquante ans – ne pouvait pas célébrer de messe de funérailles, Piaf est l’exact inverse du riche de la parabole que vous venez d’entendre.

Pour comprendre cette affirmation, il faut se remémorer deux-trois choses en lien avec l’Evangile et deux-trois choses en lien avec la vie de l’artiste.

Parce que je pense qu’il vaut la peine d’aimer le Christ et l’Eglise, tout en restant autocritique, je peux comprendre l’opinion du philosophe allemand du 19e siècle Nietzsche quand il reproche au christianisme d’empêcher les personnes d’aller au bout de leur potentiel de créativité en les obligeant à recouvrir un lourd manteau de fausse modestie. Mais environs cent ans plus tard, que voyons-nous ? Pour ainsi dire partout, les gens sont libérés de la tutelle de l’Eglise et c’est une bonne chose. Mais quel est le résultat ? Les gens sont-ils vraiment intéressés à aller au bout de leur potentiel de créativité, sont-ils plus responsables ? Je vous laisse juge en observant presque chacun-e qui ne décolle plus de son i-phone, qui court après les objets quitte à les acheter à crédit ou sur le dos de personnes qui travaillent dans des conditions parfois épouvantables. En cela, nous sommes tous un peu l’homme riche et impitoyable de l’Evangile d’aujourd’hui.

Jésus est un idéaliste et l’Eglise n’est pas sans faute. Mais quelle question nous posent-ils à travers la parabole que nous venons d’entendre ? Ils nous demandent si le sens de la vie consiste simplement à gagner toujours plus pour pouvoir profiter toujours plus ? Et comme ils pensent aussi toujours au plus faible, ils proposent une autre voie, une autre voie que la célébration quasi permanente de nous-mêmes.

Jésus – et on n’en est pas surpris – propose une solution radicale qui n’est pas donnée à tout le monde : vend tout, donne tout et suis-moi.

L’Eglise – responsable de défendre l’essentiel du message du Christ à travers les siècles – est un peu plus modeste : elle propose de chercher une voie moyenne entre ses propres intérêts et la défense des plus fragiles.

Mais pourquoi Piaf, celle à qui on a refusé des funérailles religieuses parce qu’elle était considérée comme une pécheresse publique, pourquoi Piaf est-elle si proche de l’idéal du Christ ?

Beaucoup de gens ont entendu sa voix et connaissent ses chansons les plus célèbres telles l’Hymne à l’amour et Non je ne regrette rien.

Mais cinquante ans après sa mort, et même si le film dans lequel Marion Cotillard interprète formidablement bien le rôle de l’artiste a eu un immense succès, ils sont logiquement moins nombreux à se rendre compte de la dimension dramatique de la vie de Piaf qui va chercher l’amour toute sa vie, qui va le chanter toute sa vie, … sans vraiment le trouver.

Mais qui sait encore que Piaf n’a pas seulement une vie en bâtons de chaises : qu’elle dort le jour, emmène sa cour voir quinze soirs de suite la même pièce de théâtre, se drogue pour supporter sa polyarthrite, elle est aussi d’une générosité absolue. Pour elle qui a été pauvre et dont on pourrait comprendre qu’elle désire compenser, l’argent ne représente rien. Il y a des liasses de billets dans un tiroir et on se sert, les profiteurs aussi.

Piaf, celle qui ne chantait jamais sans sa croix autour du cou, a eu une vie qui rappelle celle de Marie-Madeleine, la pécheresse de l’Evangile, celle que Jésus accueille parce qu’il sait qu’elle recherche l’essentiel : elle veut aimer et elle veut être aimée. Comme le Christ a accueilli Marie-Madeleine, comme il a accueilli Lazare, je ne doute pas un instant qu’il a accueilli Piaf dans la vie éternelle. Amen

26e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Amos 6, 1a.4-7; 1 Timothée 6, 11-16; Luc 16, 19-31

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