Homélie du 15 septembre 2013

Prédicateur : Pasteur Christian Pittet
Date : 15 septembre 2013
Lieu : Eglise Notre-Dame, Vevey
Type : tv

Célébration oecuménique du Jeûne fédéral

Prier pour le peuple, voilà bien ce que fait Moïse. Il intercède auprès de Dieu pour qu’il se souvienne de ses promesses : « ce n’est pas en faisant descendre ta colère sur ce peuple que tu permettras de faire naître la descendance nombreuse promise à Abraham ! » Comme si Dieu ne le savait pas !

Par contre, Dieu se réjouit de la prise de conscience par Moïse de la faute du peuple. Quelle est la faute du peuple : l’idolâtrie, certes, mais qu’est-ce qui pousse le peuple à l’idolâtrie : l’impatience ! Moïse a disparu sur la montagne pendant 40 jours… et rien ne se passe. C’est le sentiment du vide, l’absence d’action du leader, interprétée comme l’absence de Dieu, qui pousse le peuple vers une nouvelle idole. Aaron va même réussir à lui prendre tout son or pour fabriquer ce leader brillant, mais tout aussi vide, mort. L’angoisse du vide nous jette dans les bras de ceux qui donnent l’illusion de la puissance, du savoir, de la force : un ersatz de Dieu parce qu’on a perdu de vue le vrai Dieu.

Moïse, lui, est loin du peuple, mais il est en prise avec le Dieu vivant, qu’on ne peut rejoindre qu’en prenant de la hauteur, en regardant vers le haut, vers l’universel, vers l’éternel. Et comme aurait dit Soeur Emmanuelle : « A ce moment-là, on peut accrocher sa charrue à une étoile ! »

Prier pour le peuple, c’est demander pardon à Dieu pour notre idolâtrie, pardon pour tous ces moments où nos coeurs se voilent à sa lumière et que nos esprits choisissent de suivre des guides limités, éphémères : que ce soient des personnes, des idées ou des besoins. Ils ne sont pas inutiles… juste limités.

Prier pour le peuple, c’est aussi s’engager en tant que chrétien, pour que l’impatience ne prenne pas le dessus, pour que les plus éloignés de Dieu perçoivent les fruits de la foi.

Comme les Hébreux, nous sommes en chemin à travers le désert, et dans ce cheminement, Dieu donne des signes, des paroles, des perspectives, des règles d’organisation aussi. Il y a plusieurs tribus, mais qui se soutiennent pour aller dans la même direction : la terre fertile où la vie sera abondante. Et Dieu fait des miracles de temps à autre pour que la marche ne s’arrête pas. Par contre, c’est bien le peuple qui marche, c’est la force et la foi du peuple qui permettront d’arriver à bon port.

La terre, l’eau, le feu et l’air sont les éléments constitutifs de la vie. Mais déchaînés, ces éléments peuvent aussi être porteurs de morts : coulées de boue, ouragans, tsunamis, incendies.

Porteur dépose l’éolienne

(le souffle pour dire la vie, le mouvement, l’agitation)

Les éléments ont été utilisés pour symboliser la force de Dieu, de sa Parole, de son Esprit, de sa colère ou de son pardon… Et toute cette force, Dieu veut nous la transmettre. Ces images sont-elles là pour nous faire comprendre qu’il ne tient qu’à nous de faire de cette puissance une force de vie ? Et Jésus nous indique la voie, le canal par lequel passe la vie de Dieu, à travers tout son enseignement… et en particulier dans ces paroles que nous venons d’entendre, c’est la voie du pardon qui est indiquée. Un pardon qui dépasse toutes les prévisions de Pierre.

Dans la tradition rabbinique, il est habituel de parler d’un pardon renouvelable 4 fois. Alors avec 7 fois, Pierre pense déjà faire preuve d’une générosité incommensurable – 7 étant le chiffre de la perfection. Or Jésus le déstabilise en lui disant qu’il est encore bien loin de la réalité du pardon que Dieu souhaite voir entre les humains. Et découlant de ce principe, Jésus propose une procédure pour gérer les dérapages en Eglise. Une procédure qui a trois étapes : entre quatre yeux, puis avec une ou deux personnes, enfin en communauté.

C’est à la lumière de cette quête du pardon qu’il nous faut entendre la parole « Ce que vous lierez ou délierez sur terre sera lié ou délié dans le ciel. » Loin de donner une procédure d’exclusion, Jésus rappelle que le coeur du croyant souhaite que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel. Dit autrement, ni le pardon ni la justice ne doivent rester des idéaux dans les nuages.

Prier pour le peuple alors, c’est mettre en oeuvre une révélation du péché en vue de la repentance et du pardon. Celui qui n’écoute pas l’Eglise, considère-le comme un païen ou un publicain. Cela ne veut pas dire un moins que rien, puisque Matthieu appelle Jésus « l’ami des publicains ». Cela signifie qu’il y a de la distance entre cette personne et la communauté, et ce chemin demande à être re-parcouru pour rétablir le lien de fraternité.

Prier pour le peuple, c’est rétablir un lien de fraternité entre les gens. La procédure proposée par Jésus concerne l’Eglise, mais on peut le prendre pour tous nos rapports humains : d’abord se parler, ensuite demander de l’aide, enfin avoir recours à la communauté. Celle-ci peut aussi être civile. Et la communauté civile s’est dotée de différentes institutions pour faire ce travail.

Construire ou reconstruire ces liens de fraternité, c’est le coeur de notre prière en ce Jeûne Fédéral. Dans ce temps où les communautarismes de tout poil refont surface pour résister à la centralisation et à la mondialisation, ne laissons pas la fraternité se déliter. Face à une violence surmédiatisée, ne laissons pas la peur nous éloigner des autres. Et face aux difficultés économiques, écologiques, sociales ou politiques, ne démissionnons pas !

Soutenons-nous les uns les autres, non seulement dans un travail de solidarité, où l’on relègue volontiers les Eglises, et qui ressemble souvent à du colmatage de brèches, mais collaborons aussi dans le travail de refondation d’une société aux valeurs disparates.

La traversée du désert semble parfois longue, désespérante, on ne sait plus s’il faut écouter Aaron ou Moïse, alors asseyons-nous de temps en temps, discutons, prenons le temps de régler les différends, remettons tout cela à Dieu et reprenons la route avec confiance… car si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quelque chose, dit Jésus, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Amen

 

Hier à Berne, la Communauté de travail des Eglises chrétiennes de Suisse a organisé une célébration invitant à « revitaliser le Jeûne fédéral. » Plusieurs parlementaires y ont participé, suite à l’appel de 119 d’entre eux qui ont signé l’an dernier un appel en faveur du Jeûne fédéral. Monsieur André Bugnon, conseiller national vaudois et ancien président de l’Assemblée nationale a signé cet appel. Nous le remercions de nous adresser un message durant cette célébration.

Intervention de Monsieur André Bugnon

Mesdames et Messieurs, chers paroissiennes et paroissiens,

Un proverbe africain dit : « Lorsque tu bois de l’eau pense toujours à celui qui a creusé le puits ».

Connaissant bien l’Afrique, après avoir passé, entre autres, 15 jours chez une famille africaine dans une case sans eau courante ni électricité, j’ai pu mesurer la valeur de ce dicton en allant puiser l’eau dans le puits.

Dans nos régions pour avoir du lait ou du pain frais à 6h du matin, il faut que le paysan et le boulanger se lèvent tôt. C’est en étant conscient de cela que j’ai ressenti de la reconnaissance envers autrui pour ce que nous pouvions obtenir.

Il va de soi – et ce serait trop facile – que les biens et valeurs qui font que la vie des humains dans notre pays est agréable et paisible ne tombent pas ainsi gratuitement du ciel. Comme cela ne tombe pas du ciel automatiquement il faut que les êtres humains participent à ces réalisations mettant ainsi en pratique le proverbe biblique «Aide-toi le ciel t’aidera».

Ainsi tant le pain, le vin et les autres nourritures terrestres, de même que, dans le domaine sécuritaire, la stabilité politique, la paix et le développement économique de la Suisse sont dus au travail et à l’engagement d’hommes et de femmes qui ont agis pour mettre ces biens à disposition de la collectivité. Ils ont travaillé physiquement ou intellectuellement afin que les habitants de ce pays puissent vivre dans la tranquillité et l’harmonie tout en étant rassasiés des biens de ce monde. Au fil des générations d’autres hommes et d’autres femmes ont continué de s’engager pour maintenir voire développer ces valeurs.

La reconnaissance pour ce que l’on a obtenu envers celles et ceux qui nous l’ont donné est le but voulu lors de la mise en place d’une journée du Jeûne fédéral. Les cantons protestants ont décrété l’introduction d’un jour de jeûne annuel en 1639 alors que la Diète catholique en faisait de même en 1643. Toutefois c’est en 1796 que la Diète fédérale a décidé de célébrer dans toute la Suisse un jour de jeûne en signe de reconnaissance pour la préservation des misères de la guerre jusque-là.

Nous pouvons dire que, grâce à la mise en place du concept de neutralité, cette préservation a continué d’exister puisque notre pays a échappé également aux conflits qui ont suivis. Cette célébration du jeûne a voulu être et doit être encore perçue comme un symbole de l’unité de la Suisse, nation née de la volonté collective de ses habitants.

J’ai toujours trouvé merveilleux le fait que nous puissions être reconnaissants pour ce que nous avons reçu. Bien sûr il ne s’agit pas d’être béat et de dire merci en permanence même quand la vie vous donne des gifles. Dans ma jeunesse de fils de paysan où, alors que les autres jouaient, il fallait sortir les sarments des vignes, ou faire les moyettes en été ou soigner les veaux, je trouvais les messages bibliques autour de la reconnaissance un peu facile : reconnaître quoi quand vous n’avez rien ou pas grand-chose, parce que je pensais n’avoir rien reçu à ce moment-là. J’ai bien vu par la suite, lorsque j’ai été en âge de comprendre, que ma perception de ce qui fait le bonheur était erronée et que le fait d’avoir pu passer une vie à la campagne en pleine nature en produisant de la nourriture pour les animaux et les humains m’a beaucoup donné.

Bien sûr vous me direz maintenant : c’est facile de venir prôner la reconnaissance quand la vie semble vous avoir tout donné, comment dire à celles et ceux à qui elle n’a rien ou peu donné d’être reconnaissants ? Et bien je vais vous le dire, la vie ne m’a pas seulement donné, mais elle m’a aussi enlevé.

Enlevé une fille de 38 ans par maladie. Et même s’il est difficile d’accepter un tel sort, je reste reconnaissant envers mes parents qui m’ont donné la vie, envers mon épouse et mes autres enfants qui font qu’elle soit acceptable, envers les autres humains que j’ai rencontrés – et ils sont nombreux – pour la qualité de nos rencontres, et envers les hommes et les femmes qui ont construit ce havre de paix qu’est notre pays.

Ainsi quelle que soit notre situation familiale, personnelle, professionnelle ou autre, nous bénéficions dans ce pays de l’état de stabilité, de sécurité et de niveau économique que nous avons pu atteindre, grâce à la volonté et à la vision de ceux qui nous ont précédé et ont mis en place un véritable Etat démocratique et libre. Ils ont voulu qu’il en soit ainsi. Si nous ne sommes pas aveugles, dans le sens imagé du terme, et à l’époque de la télévision et d’internet il est difficile de ne pas voir ce qui se passe ailleurs, nous ne pouvons qu’être reconnaissants pour ce que nous avons reçu dans notre pays. C’est le symbole voulu par cette journée du jeûne fédéral et je suis heureux de partager ce moment de reconnaissance avec vous.

Merci pour votre attention.

Lectures bibliques : Exode 32, 7-11.13-14; 1 Timothée 1, 12-17; Luc 15, 1-32

https://www.cath.ch/homelie-du-15-septembre-2013/