Homélie du 01 septembre 2013

Prédicateur : Chanoine Guy Luisier
Date : 01 septembre 2013
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

L’été tire sur sa fin. C’est une saison culturelle un peu à part. Et aussi une saison spirituelle à part. Je voudrais l’aborder sur le plan culturel, mais nous pourrons ensuite y trouver des résonnances spirituelles en lien avec le Message de Jésus que nous venons d’accueillir.

L’été est le temps des spectacles en plein air. Les festivals vont leur train. On va au concert, au théâtre ou au cinéma sous les étoiles. Certains d’entre nous ont eu la chance de visiter, parmi des ruines antiques, des théâtres ou des amphithéâtres romain ou grecs. On admire les architectures et l’acoustique. Car l’enjeu, en ces temps-là, lorsque la technique était rudimentaire, était de se faire entendre depuis la scène, et aussi de se faire voir, de capter l’attention.

Dans le théâtre antique, pour être vus de loin et reconnus des derniers spectateurs, les acteurs devaient s’allonger et grandir en se mettant des chaussures à talons démesurés, des vêtements très amples et des perruques très fantaisistes. Ainsi harnachés ils n’étaient plus tout à fait maîtres de leurs mouvements. Ils devaient se déplacer très lentement ou prendre le risque d’être ridicules, comme le demandaient d’ailleurs les pièces comiques.

Ce qui était vrai dans les théâtres d’il y a bien longtemps est souvent vrai dans la vie de tous les jours, jusque dans nos aujourd’hui.

Tout théâtre est parabole de la réalité. Certaines personnes d’ailleurs prennent leur vie réelle comme la scène de théâtre de leur existence, et souvent leurs proches comme des faire-valoir. Soyons lucides, personne n’échappe à cette tentation. Chacun de nous se met en scène, chacun joue son cinéma. Un peu au moins.

Pour être vus et reconnus, combien d’entre nous s’encombrent de déguisements et de mensonges plus ou moins consentis, se drapent dans des orgueils ridicules, se juchent dans des certitudes qui cachent leurs faiblesses et leurs fragilités. Ainsi accoutré, on peine à donner à sa vie un dynamisme libérateur.

Or l’humilité libère. Elle incite à regarder les choses, les personnes, les événements et soi-même en transparence, sans s’encombrer des décors ou de trompe-l’oeil. Elle dégage le terrain et permet donc à la vie de déployer réellement son potentiel. Nous ne sommes pas ici dans les techniques, si modernes, de développement personnel et de réalisation de soi, qui peuvent facilement n’être qu’un décor de plus. Mais, avec cette idée d’une humilité qui libère, nous touchons du doigt l’humilité, la liberté que Jésus applique à lui même et qu’il veut enseigner à tous ses disciples.

Jésus n’est certainement jamais allé au théâtre, même s’il y en avait dans son pays colonisé par les Grecs et les Romains. Jésus n’allait pas au théâtre, sans doute parce qu’il considérait, dans sa mission, que la vie suffisamment riche en distractions positives, en enseignements profonds.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, il regarde les gens vivre, se montrer, chercher la place de choix dans le repas, jouer des coudes pour voir et se faire voir, pour entendre et se faire entendre. Il lit la réalité avec un critère qu’il nous propose, pour notre propre lecture de notre réalité et de la réalité du monde : l’humilité de la dernière place.

L’humilité libère. L’humilité, qui fait fi des déguisements encombrants, des prise de hauteur orgueilleuses et souvent ridicules, libère. Elle nous rend libres, libres de nos mouvements. Pas seulement de nos mouvements physiques mais aussi de nos mouvements intérieurs, beaucoup plus importants : que de mouvements d’âme qui s’appuient sur l’envie et l’orgueil et qui finissent par nous enchaîner à eux !

Quand on n’est plus attaché à son petit pré-carré, à sa petite place de choix qui rassure, aux échos de sa réputation chez les autres, on finit par tout posséder.

On aboutit au paradoxe : moins on possède, plus on possède. Moins on prend de place plus on en gagne.

Je me suis demandé pourquoi on aboutit à un tel paradoxe. Et c’est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui m’a donné la solution. Elle a dit : « Il me semble que l’humilité, c’est la vérité ; je ne sais pas si je suis humble, mais je sais que je vois la vérité en toute chose. »

Les textes bibliques d’aujourd’hui nous engagent sur ce chemin de vérité. Quand Jésus dit que « Qui s’abaisse sera élevé », il parle d’abord dans le concret. Celui qui est humble voit le monde de façon plus vraie et transparente, plus dégagée de plus haut que les autres, plus largement que les autres.

C’est pourquoi Dieu manifeste sa toute puissance dans la toute humilité, de sa vie, de sa croix, de sa mort et de sa résurrection. Et c’est pourquoi il nous invite à faire comme lui.

Humilité, vérité et liberté, c’est un trio inséparable.

J’en tire deux enseignements qui peuvent dynamiser et aérer notre façon de voir les choses.

D’abord pour notre vie individuelle, nous avons tous en nous des élans et des tentations qui nous poussent à nous mettre en avant. Or se mettre en avant n’est pas synonyme d’aller de l’avant. Au contraire. C’est en se dégageant des artifices qui cachent nos peurs et nos fragilités que nous allons de l’avant. Essayons de prendre du temps pour être plus lucides sur toutes ces peurs qui nous empêchent d’être vrais et libres.

Ensuite et enfin. Si Jésus nous invite à l’humilité de la dernière place, il le fait individuellement mais aussi communautairement. L’Eglise tout entière doit savoir prendre la dernière place. Dans ce monde tel qu’il est, apparemment de plus en plus athée, christianophobe et superficiel, nos Eglises, nos communautés peuvent avoir peur de perdre du terrain, de l’influence, peur d’être évacuées de la scène, du théâtre. Alors on pourrait se demander si peut-être l’Eglise n’a pas elle aussi à d’aller se mettre à la dernière place pour être plus libre et plus vraie.

Les diverses circonstances actuelles rendent cette question plus pertinente que jamais !

Amen.

22e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Si (Ecclésiastique) 3, 19-21.30-31; Hébreux 12, 18-19.22-24a; Luc 14, 1a.7-14

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